Le 26 juillet 2024, Paris ouvrira les Jeux de la XXXIIIe olympiade de l’ère moderne, et le 28 août les XVIIes jeux paralympiques. Des milliers de personnes handicapées viendront y assister et participer, et elles voudront visiter la ville-lumière. Hélas, le réseau de métro de Paris intra-muros est actuellement inaccessible aux usagers qui se déplacent en fauteuil roulant à l’exception d’une ligne, la 14, et de ses neuf stations. A Marseille, c’est pire : à l’exception d’une extension sur quatre stations, les deux lignes sont inaccessibles, de même que toutes les lignes de bus sauf deux. Consciente du problème, la sénatrice Les Républicains du Morbihan, Muriel Jourda, a fait adopter un amendement au projet de loi d’organisation des jeux olympiques et paralympiques 2024 en cours d’examen au Parlement. Il vise à remplacer la procédure habituelle de consultation du public par une consultation électronique, ce qui raccourcit nettement cette enquête pour réaliser d’éventuels projets d’accessibilité dans des délais plus brefs. « Nous avons procédé à un certain nombre d’auditions, explique la sénatrice, dont des personnes en lien avec le handicap. Il est apparu évident que si l’on voulait que les Jeux Olympiques et Paralympiques soient réussis, il fallait donner également l’accès au métro au public et aux athlètes. C’est un moyen assez évident de se déplacer dans Paris. Or actuellement 3% des stations du métro historique sont accessibles, ce qui est assez peu. L’idée est d’arriver à créer un circuit en étoile. » La constitution d’un réseau noyau accessible, en somme, semblable à celui qui figurait dans le dossier de candidature de Paris pour les Jeux de 2012 et comptait… sept stations. Une proposition qui ne figure pas dans le dossier de Paris 2024, lequel ne comporte aucune disposition nouvelle en matière de transport des visiteurs handicapés dans la capitale. « Il y a à la fois un problème de faisabilité technique et financier qui a peut-être conduit les différents acteurs à ne pas s’engager en sachant qu’ils ne pourraient pas nécessairement tenir leurs promesses, commente Muriel Jourda. Au Sénat, nous ne décidons pas de faire, nous facilitons les choses et nous attirons quand même l’attention des pouvoirs publics sur ce point. Ça a la vertu de mettre en lumière cette difficulté et d’y apporter partiellement une réponse. » Mais les pouvoirs publics veulent-ils de cette accessibilité ?
Le Comité d’organisation de Paris 2024 (COJO) qualifie de « sujet prioritaire » la question de l’accessibilité : « Concernant le métro historique parisien, le COJO travaille avec les pouvoirs publics et le monde sportif et associatif pour relancer la réflexion sur la mise en accessibilité du réseau (actuellement objet d’une dérogation de mise en accessibilité due à des impossibilités techniques et financières). Les pistes de réflexion concernent notamment l’assouplissement des normes de sécurité actuellement en vigueur et la mise en accessibilité de certains tronçons ou de grandes gares de correspondances. Les Jeux permettraient de commencer cet immense chantier qui s’étalerait sur le long terme, bien au-delà de 2024. »
Les politiques n’en veulent pas
Plusieurs acteurs ont la responsabilité de ce dossier. La ville de Paris est concernée au premier chef puisqu’il s’agit de son territoire. Elle n’a pourtant jamais défendu la mise en accessibilité du métro et l’adjoint au maire chargé des Transports, l’écolo Christophe Najdovski, n’a pas répondu à notre demande d’interview : on ne saura donc pas si la doctrine municipale est susceptible d’être ébranlée par la nouvelle loi. L’exploitant du réseau, la RATP, s’est également mise aux abonnés absents… A la différence de Stéphane Beaudet, vice-président en charge des Transports au Conseil Régional d’Ile-de-France et vice-président de l’autorité organisatrice de transports Ile-de-France Mobilités (ex-STIF) qui répond au nom de ses deux responsabilités : « Le sujet de l’accessibilité en général est une priorité pour nous. Je crois qu’on en a fait la démonstration depuis deux ans puisqu’on a multiplié les investissements par quatre. On a signé cette année une convention qui va doubler l’accélération des investissements de la Région pour l’accessibilité des gares SNCF pour deux milliards d’euros d’ici 2020. Sur le métro lui-même, nous avons les neuf stations de la ligne 14 qui sont accessibles, et les stations qui sont à venir. En revanche, la question de l’accessibilité PMR, je pense notamment aux fauteuil roulants, sur l’ensemble du réseau de métro est un sujet beaucoup plus complexe, particulièrement onéreux, et qui ne peut fonctionner que s’il fait système : si l’on descend dans une station, il faut pouvoir sortir à la prochaine. » Stéphane Beaudet estime que les équipements d’accessibilité aux usagers aveugles ou malvoyants (nez de marche, bandes de guidages et de vigilance podotactiles, balises sonores, etc.) seront installés partout dans les deux ans qui viennent, de même pour les supports d’information.
Le Schéma Directeur d’Accessibilité des Transports approuvé par le Conseil Régional le 19 juin 2009 évoquait des « études préliminaires relevant que la mise en accessibilité du réseau métro était techniquement incertaine et d’un coût très élevé (de l’ordre de 3 à 4 milliards d’euros) » et confiait à la RATP « l’étude d’un plan de mise en accessibilité totale ou partielle aux UFR d’un réseau restreint de stations dit ‘noyau’ permettant notamment les principales correspondances avec les autres modes […] Les études sont en cours et leurs conclusions devraient être connues début 2010. » La création de ce réseau noyau figurait dans le dossier de candidature de Paris pour l’organisation des Jeux Olympiques et paralympiques de 2012 finalement accordés à Londres. Que sont devenues ces études qui n’ont jamais été communiquées aux associations pourtant concertées dans diverses instances régionales et le Comité consultatif de l’accessibilité de la RATP ?
« On les a ici, évidemment, confirme Stéphane Beaudet. Je découvre le fait que vous n’ayez pas ces études. Je vais regarder pourquoi elles n’ont pas été communiquées aux associations. Les éléments d’études que j’ai portent sur les stations qui font l’objet d’une Impossibilité Technique Avérée, qui concernent 25% d’entre elles. 25% d’autres sont préjugées techniquement infaisables. Ce qui veut dire qu’il y a à peu près 50% du réseau qui est très difficilement faisable, mais le problème c’est que ce sont précisément les stations les plus importantes, qui pourraient faire noyau et donc réseau. Ce rapport conclut que l’impact que l’on pourrait avoir en traitant les 50% restantes ne donnerait pas un effet réseau suffisant. Il y a une dichotomie très forte entre la nature de l’investissement et ses coûts, et la réalité de l’offre en transport qu’elle permettrait. » Londres l’a pourtant fait pour les Jeux de 2012, et poursuit son effort d’accessibilité d’un réseau plus ancien et étroit que celui de Paris.
Représentant francilien de l’Association des Paralysés de France et nouveau vice-président de la commission Transports et mobilités du Conseil Economique, Social et Environnemental Régional, Claude Boulanger-Reijnen n’a jamais vu les études évoquées par Stéphane Beaudet : « Je n’ai pas connaissance de ces diagnostics d’accessibilité. J’ai récemment rencontré le conseiller de Paris Pierre-Yves Bournazel qui doit déposer un voeu au Conseil de Paris pour obtenir les études réalisées par la RATP qui a discriminé une centaine de stations pour étudier l’accessibilité. Le dossier d’accessibilité n’est jamais mis à l’ordre du jour dans les réunions de concertation. L’ancien dossier de réseau noyau semblerait abandonné alors que nous souhaitons, et Thierry Beaudet le sait, une mise à jour des intentions initiales de ce réseau noyau. » Selon Claude Boulanger-Reijnen, l’échéance olympique conduit les pouvoirs publics à bouger : « La ministre des Transports a évolué dans ses discussions avec la Délégation Ministérielle à l’Accessibilité. Ile-de-France Mobilités commence également à bouger sur le sujet. Je suis le dossier de l’accessibilité du métro avec une très grande fermeté. »
« Ça n’arrivera pas »
L’Île-de-France s’est lancée dans la construction de nouvelles lignes de métro express autour de Paris, dont aucune ne devrait être en service pour les Jeux de 2024, ce qui absorbe tous les financements publics et conduit Stéphane Beaudet à faire des priorités : « Est-ce qu’il faut, dans un réseau de transport parisien où une partie est enterrée et une partie en surface, le réseau de bus notamment qui est particulièrement maillé et accessible ? Est-ce que la nécessité dans notre pays qui n’a pas d’argent est de rendre entièrement accessible le métro pour les PMR ? Je pense que le débat commence quand même ici. En matière de priorisation, Jeux Olympiques ou pas, faut-il rendre le métro accessible ? Je vous réponds franchement : si on est capable en surface d’avoir une accessibilité totale, je ne sais pas si ça doit être priorisé, c’est une réponse que j’assume parfaitement. »
Ce décideur politique fait le choix de la complémentarité entre modes de transport, même si cela entraine des trajets plus longs et complexes pour les usagers handicapés. « La mobilité de demain, conclut Stéphane Beaudet, c’est valable pour les PMR comme pour n’importe quel voyageur en IDF, ce n’est plus un seul mode de transport mais la capacité à mixer, de passer d’un moyen de transport à l’autre grâce aux outils numériques. Soit je prends le métro s’il est accessible, soit le bus, j’ai la capacité de passer de l’un à l’autre parce qu’il y a une interconnexion PMR qui le permet, c’est ça la réponse de service public. Le reste consisterait à faire rêver tout le monde sur deux, trois, quatre, cinq milliards d’investissements pour rendre accessible entièrement le métro. Je préfère vous dire avec beaucoup d’humilité : ça n’arrivera pas. »
A l’horizon 2024
Faute d’accessibilité du métro parisien « historique », les visiteurs handicapés pourront-ils compter sur les nouvelles lignes ou prolongements projetés ? Rien n’est moins sûr, les atermoiements politiques, organisationnels et financiers ont fait perdre des mois précieux. Résultat : l’ensemble des projets du Grand Paris Express est retardé, que ce soit pour des raisons techniques ou budgétaires. Plusieurs concernent les futurs sites olympiques : prolongement sur deux kilomètres de la ligne 14 au nord vers le futur village olympique de Saint-Denis Pleyel, et de quatorze au sud pour relier l’aéroport d’Orly, ainsi qu’un court tronçon entre la 14 nord et Le Bourget où sera implanté le centre des médias, là où travailleront quotidiennement des milliers de journalistes. Ces chantiers ne sont pas encore engagés, seuls les travaux préparatoires sont en cours. Or, un premier prolongement de la ligne 14 vers le nord, pour relier la gare Saint-Lazare à la mairie de Saint-Ouen, accumule déjà deux ans et demi de retard : débuté en janvier 2014, le tronçon de près de six kilomètres n’entrera en service, au mieux, qu’à l’automne 2020. Il ne reste qu’à peine plus de six ans pour construire et mettre en service les tronçons reliant les sites olympiques au coeur de Paris, ce qui est réalisable en travaillant à marche forcée et à condition qu’il n’y ait pas d’incident majeur, un vrai pari sur l’avenir.
Et à Marseille ?
La situation est très différente dans la seconde ville de France, qui recevra quelques compétitions olympiques et paralympiques : lassés de l’inaction de la communauté urbaine Marseille Métropole qui a compétence sur les transports collectifs de la seconde ville de France, des Marseillais réunis en association ont saisi la justice en septembre 2013, défendus par l’avocat Benoit Candon qui a obtenu neuf mois plus tard une mission d’expertise. Le rapport des experts devrait être remis dans le courant du printemps 2018 après moult péripéties mais on sait déjà que trois ou quatre des 23 stations actuellement inaccessibles se verraient reconnaître une impossibilité technique avérée ou un coût disproportionné. Le directeur de la Régie des Transports de Marseille, Pierre Reboud, livrait en septembre 2013 sa lecture de la législation : « La loi n’impose pas de rendre accessibles toutes les stations mais de prévoir des équipements lors de la construction de nouvelles. » Le rapport d’expertise devrait lui prouver qu’il a tort.
Mais pourquoi cette expertise est-elle aussi longue ? « Les experts craignaient de ne pas être payés, expliquait en novembre 2017 Maitre Benoit Candon. Ils ont déposé une demande de provision et le juge a divisé en deux le montant demandé de 200.000€ entre la Régie des Transports de Marseille et l’association au titre de l’aide juridictionnelle, dont le montant a été bloqué par un recours du ministère de la Justice. » L’affaire vient d’être jugée favorablement et les experts vont pouvoir terminer leur rapport, au grand dam des pouvoirs publics : « La ville, la SNCF et la RTM ont plaidé pour ne pas être partie au procès, ajoutait Benoit Candon, par argutie et mémoires. Par exemple en disant que les trottoirs dépendent de la communauté alors que les sorties sont sur des places qui sont propriété et compétence municipale. »
Paris, Marseille, même combat.
Laurent Lejard, février 2018.
PS : la RATP a tardivement adressé par courriel de longs éléments de réponse exposant l’état d’accessibilité et les projets d’extension du réseau qu’elle exploite, dont ceux qui concernent directement les Jeux de 2024. Concernant le métro parisien « historique », elle rappelle les études d’un réseau noyau « facilitant les correspondances avec les autres modes accessibles [réalisées] par la RATP pour le STIF entre 2009 et 2011. Celles-ci ont été présentées aux associations de personnes handicapées en assemblée plénière du schéma directeur de l’accessibilité du STIF le 13 juillet 2012 et aux associations du comité consultatif de l’accessibilité de la RATP le 23 avril 2013. Des pré-études ont été également menées en 2016 dans le cadre de la candidature de Paris aux Jeux Olympiques de 2024 et ont été remises à l’autorité organisatrice avec qui la discussion est en cours. » Si la synthèse des études 2009-2011 a été présentée aux associations, les documents ne leur ont pas été remis, ce que confirmait en février 2014 le prédécesseur de Stéphane Beaudet à la commission transports du Conseil Régional : « Ces documents existent à la RATP, et ce que souhaitent quelques associations, et cela ne me paraît pas une demande illégitime, c’est de pouvoir venir elles-mêmes constater les impossibilités techniques sur la base de ces documents, avec les services de la RATP et du STIF. » Quant aux pré-études de 2016, la RATP confirme implicitement qu’elles n’ont pas été communiquées aux associations de personnes handicapées. On sera amené à en évoquer le contenu si Stéphane Beaudet, qui s’étonne dans l’interview ci-dessus que ces études n’aient pas été communiquées, est logique avec ses propos.