La Sarah des Enfants du silence, la Ada de La leçon de piano, la Nell de Michael Apted, le couple sourd de Sans pouvoir le dire de Liliana Cavani, le trisomique belge du Huitième jour de Jaco Van Dormael, ou encore la Dancer in the Dark de Lars Von Trier. Des personnages « différents » ont ces dernières années crevé l’écran, nous offrant peut- être une alternative, une autre perspective sur le bruit de l’univers…

« Si le cinéma regorge de corps brisés, d’invalides de guerre, de paralysés, d’amnésiques, d’autistes et d’aveugles, le sourd a longtemps semblé être le personnage invisible de la création audiovisuelle », explique Guy Jouannet, éducateur à l’Institut national des jeunes sourds (INJS) de Saint- Jacques et « Monsieur Cinéma » de la Surdité. Opprimé par la dictature de l’oral et du verbal, avec une image souvent malmenée et déformée, le sourd reste l’inconnu. L’audiovisuel a préféré l’ignorer ou l’identifier de façon très floue, sans caractéristique propre, dans le rôle du muet aphasique ou celui du sourd mutique imprécis. Il a hésité à le caricaturer même s’il l’a souvent confiné dans le mélodrame après en avoir fait un acteur de comédie (le sourd cher au Vaudeville).

Pourtant quelques dates incontournables parsèment la représentation cinématographique du sourd, où ce dernier est enfin habillé de ses vrais atours, et apparaît si ce n’est connu, au moins visible : 1937, Chéri Bibi de Léon Mathot ; 1948, Johnny Belinda de Jean Negulesco ; 1952, Mandy d’Alexander Mackendrick ; 1962, Miracle en Alabama d’Arthur Penn ; 1968, Le coeur est un chasseur solitaire de Robert Ellis Miller ; 1970, Tristana de Luis Buñel ; 1979, Silence mon amour de Robert Markowitz ; 1985, L’âme sœur de Fredi.M.Murer ; 1986, Les enfants du silence de Randa Haines ; 1987, Suspect dangereux de Peter Yates ; 1988, Capitaine Johnno de Mario Andreacchio ; 1989, La Cité des douleurs de Hou Hsio Hsien ; 1992, Le pays des sourds de Nicolas Philibert ; 1993, Sans pouvoir le dire de Liliana Cavani ; 1995, Professeur Holland de Stephen Herek et Ridicule de Patrice Leconte ; 1996, La vie silencieuse de Marianna Ucria de Roberto Faenza ; 1997, Les silencieuses de Valeri Todorovski ; 2000, Retour à la vie de Pascal Baeumler…

Du personnage sourd au comédien sourd. Ces vingt dernières années, le Sourd est devenu sujet d’une dignité chèrement acquise et d’une différence qui ne craint plus de s’afficher. Mais très longtemps interprété par des comédiens entendants, il devra à la télévision la possibilité d’habiter son propre rôle. « Cette évolution générale, les cinéastes l’ont compris très récemment, est bien entendue positive, même si elle entraîne des frais supplémentaires et des dispositions particulières, la présence d’un interprète par exemple », explique Guy Jouannet, qui est intervenu en tant que conseil sur de nombreux tournages. La forte impression de vérité et d’authenticité que peut apporter un comédien sourd récompense généralement les créateurs. Les scénaristes peuvent maintenant écrire des rôles pour des acteurs sourds.

Cependant le paradoxe demeure pour le spectateur sourd qui n’a que rarement accès aux images qu’on lui propose de lui- même, souvent présentées en français et sans sous- titres. C’est pourquoi des festivals indépendants spécifiques ont vu le jour. Proposé en 1994 au public sourd (et entendant) à la Vidéothèque de Paris, « Images, signes et ponctuation » a constitué une première, suivie l’an dernier du festival du cinéma sourd, intitulé « Visions du silence », organisé par l’équipe de l’émission hebdomadaire L’Oeil et la Main, en partenariat avec la Cinquième, le Forum des Images et le centre Erasme. Ce festival a démontré la grande richesse et diversité des courts métrages européens réalisés par des sourds ou mettant en scène des personnages et des comédiens sourds. « Le regard porté par notre société sur la communauté sourde semble aujourd’hui évoluer et le cinéma se fait l’écho de cette évolution », explique Marie- Thérèse L’Huillier, rédactrice en chef de l’Oeil et la Main et instigatrice de cette manifestation.

En attendant une prochaine édition de ce festival que les organisateurs souhaiteraient bien pérenniser, vous pouvez vous procurer l’ouvrage de Guy Jouannet : L’écran sourd, véritable bible des représentations du sourd dans la création cinématographique et audiovisuelle.

Emmanuel Benaben, décembre 2000.

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