L’accessibilité des lieux culturels, et plus précisément des musées, s’améliore constamment. La plupart des grandes collections sont maintenant visitables par les handicapés moteurs. Les visites guidées organisées en Langue des Signes Française pour les sourds gestuels sont en augmentation et sont généralement très fréquentées. Mais comment faire apprécier aux personnes non- voyantes des peintures, des sculptures, du mobilier ancien, des objets décoratifs ? L’approche française de la muséographie n’est pas d’encourager le visiteur, fût- il aveugle, à toucher les oeuvres d’art qui sont présentés, même en « prenant des gants » : quelques musées le proposent, notamment celui du Louvre à Paris, mais ces visites demeurent limitées à quelques oeuvres.

Des associations ont décidé de développer des actions spécifiques en direction des déficients visuels, et parmi elles Artesens. Maintenant basée à Aix- en- Provence, sa fondatrice, Françoise Reynette, est forte d’une quinzaine d’années de recherches et de pratique de la muséologie, notamment à la Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette (lire cet article traitant de l’accessibilité et des actions pédagogiques). Sa « médiation culturelle » est basée sur le jeu et le mélange: enfants et personnes aveugles sont conviés à découvrir les formes, les matières, les textures, leurs combinaisons dans une oeuvre d’art, tout cela sans avoir recours au regard. Des dispositifs ludiques, tactiles, sonores et olfactifs sollicitent l’attention. Les enfants se prêtent à ce qui pour eux est un jeu, et pour les aveugles une découverte.

Prenons un exemple pratique, Bethsabée, tableau peint par Paul Cézanne: une forme féminine nue est adossée à un rocher, ses pieds reposent sur de l’herbe, à côté sa servante, sur le devant coule une rivière, derrière un arbre, au fond une montagne. L’oeuvre a été « mise en jeu » par Juliette Costiou: « il m’a fallu abstraire mon regard, pour trouver avec des faux- semblants comment exalter ces éléments de la nature ». La peau de Bethsabée est rendue par une étoffe souple et sensuelle, ses cheveux sont des laines à caresser, le velours désigne la robe de la servante, le ciel est fait de voiles de soie, des tissus glacés signalent l’eau, l’arbre est fait de fibres de sisal, la fausse herbe s’enfonce sous la main. C’est en touchant, palpant caressant, effleurant, que le visiteur se constitue sa perception de ce tableau. Une expérience personnelle, subjective.

Claude Gilbert, chargée des publics handicapés au sein de la Direction des Musées de France, estime illusoire de penser qu’un voyant puisse se mettre à la place d’un aveugle. Elle a fait l’expérience et constate qu’il « faut des mots pour décrire des sensations tactiles, un vocabulaire que je n’ai pas. C’est très troublant, ce sont les aveugles qui font l’effort de transposer pour les voyants ». Il faut, en fait, monter toute une machine à voir, en décomposant les personnages ou objets de premier plan, de second plan, il faut manier le verbe, définir des équivalences avec le rendu pictural.

Les oeuvres ainsi traitées sont présentées dans des expositions thématiques. Leur présentation dans les musées est généralement accompagnée de parcours tactiles, d’ateliers, de documents de visite en Braille, etc. Ce travail a contribué à la création du réseau du Musée du Bout des Doigts rassemblant des établissements du Nord et du Pas de Calais. Une trentaine de musées présentaient en France des actions pédagogiques en direction des déficients visuels 1992 ; ils étaient 130 l’an dernier.

Quant à Artesens, elle peaufine sa dernière création, dont une première partie sera bientôt dévoilée au musée de l’Annonciade à Saint- Tropez (Var). « Touches et notes de lumière » présentera à l’automne 2002 un parcours associant 14 tableaux à 14 oeuvres musicales : Cézanne, Signac, Matisse, Picasso, Ravel, Debussy, Stravinsky… Pour mêler dans un flot de textures, de couleurs, de compositions, peinture et musique, aveugles et voyants.

Laurent lejard, novembre 2001.

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