Philippe Thomas, infirme moteur cérébral, est un breton trentenaire. Une belle gueule de séducteur, « une personnalité attachante » confie Isabelle Mathy, productrice de L’homme de compagnie, deuxième court-métrage écrit et réalisé par Philippe Thomas. Comme le premier (La joie, 1996), il met en scène Fred, IMC séducteur friand de jupons, et ses aventures amoureuses. Ses deux films témoignent d’une maîtrise de l’écriture et de la réalisation qui le font entrer dans le cercle très fermé des professionnels du cinéma.

« J’étais photographe, mais j’en avais un peu marre » confie Philippe Thomas. « J’aime raconter des histoires, j’ai voulu évoluer vers le cinéma et j’ai suivi une formation pratique pour devenir réalisateur, entre 1994 et 1996. J’ai été accueilli normalement dans le centre, je disposais d’une tierce- personne pour m’aider à prendre des notes mais il n’y a pas eu de regard particulier par rapport à mon handicap; dans le monde du cinéma on voit un peu de tout ». Dans la foulée, il réalise son premier court- métrage, La joie: « Mon premier film était une provocation, le second raconte une histoire ».

Isabelle Mathy a été séduite par le scénario de « l’homme de compagnie » qu’elle a lu avant de rencontrer l’auteur. Elle a eu envie de produire le film : « Il présente une vision vécue de l’intérieur d’aspects de la vie d’un jeune infirme moteur cérébral. Je me suis ensuite posé la question de travailler avec un réalisateur handicapé moteur, mais en fait ça n’a pas changé grand chose, j’étais déterminé par la qualité du scénario ». Le film suit le parcours obligé des courts- métrages : il est présenté dans des festivals pour acquérir une notoriété qui le rendra achetable par une chaîne de télévision. Olivier Harland, conseiller auprès de la direction des programmes de France Télévision et lui- même infirme moteur cérébral, s’est dit très intéressé.

« Très souvent on dit que l’intégration passe par le travail » précise Philippe Thomas. « Mais moi, je pense que cela passe également et surtout par la sexualité. Car malgré tout, parler de la sexualité des personnes handicapées, cela reste de nos jours un sujet tabou. Depuis une vingtaine d’années, le sexe et la pornographie se sont « démocratisés », par les films de Canal+ en quelque sorte, voir les opus de Catherine Breillat (Romance, avec Rocco Siffredi) ou de de Virginie Despentes (Baise- moi), le livre de Catherine Millet (La Vie sexuelle de Catherine M.), mais cela demeure la sexualité des valides. Les homosexuels ne se cachent plus – avancée du PACS – depuis peu. Cependant, les récentes discussions sur la pornographie, enfin sur les sujets liés au sexe, prouvent que tout n’est pas aussi simple. Donc vous imaginez pour les personnes handicapées… »

Philippe Thomas a des projets de longs- métrages, dont les scénarios sont écrits et en recherche de financement. L’un d’entre eux mettra à nouveau Fred en scène, « A travers les prunelles de tes yeux » (titre provisoire), pour répondre à la demande d’un producteur. Dans un tout autre registre, « Cinémachie » sacrifie au passage obligé de tout réalisateur par la case « polar »; l’actrice Marion Cotillard (Taxi) a donné un accord de principe. Le tournage de ces deux projets n’est pas encore défini.

François Hadji Lazzaro, acteur et producteur musical (Pigalle, Les garçons bouchers), participerait également au film. Les soubresauts actuels du monde du cinéma, secoué par la déconfiture de Vivendi Universal et les restrictions budgétaires de Canal Plus, retardent toutefois l’émergence des projets. Philippe Thomas doit évoluer dans ce milieu difficile, dont il subit les aléas au même titre que les autres réalisateurs professionnels. Il refuse toutefois d’envisager de tourner des films publicitaires, à la différence de la plupart de ses confrères : « il faut travailler très vite, dans des conditions parfois difficiles. Je n’en suis pas capable du fait des conséquences de mon handicap ».

Des festivals ont toutefois refusé de présenter « l’homme de compagnie », leurs sélectionneurs croyant que le réalisateur était valide. « Je trouve dommage de considérer qu’il faut être handicapé pour faire un film sur le handicap » conteste Philippe Thomas « comme s’il fallait être personnellement concerné pour montrer à l’écran les aventures amoureuses d’une personne handicapée ». Dans ce film, les places sont en effet inversées : l’acteur est valide (David Jeanne Comello, absolument excellent dans son rôle de composition), le réalisateur handicapé moteur. Le producteur de son premier film avait d’ailleurs exigé que soit tourné un « making of » pouvant mettre en évidence le handicap du cinéaste !

Parce qu’au-delà des conséquences de son infirmité motrice cérébrale, Philippe Thomas est un cinéaste de grand talent, et c’est bien ce qui compte !

Laurent Lejard, novembre 2002.


Les Synopsis :

La joie (7mn, 1996) : Fred fait l’amour avec sa copine sur son fauteuil roulant. Lors des ébats, ils tombent, elle rie. Fred veut maintenant se suicider au revolver, sa copine l’a quitté pour un autre « zanzan » lors d’une partie acharnée de mikado. Au gré de ses mouvements désordonnés, les balles brisent l’aquarium, au grand profit du chat qui en boulotte les poissons, puis butent le matou et enfin la voisine qui vient prévenir Fred qu’une fortune l’attend au téléphone d’un jeu télé ! Fred tente de se pendre, la corde cède, il tombe au sol et chante « Y’a d’la joie »…

L’homme de compagnie (11mn, 2002) : Fred déambule dans une rue piétonne sur son fauteuil électrique, baladeur sur les oreilles, tee- shirt et short. Une jeune femme attirée par son sourire l’aborde, ils boivent un verre ensemble. Un séducteur macho se fait rembarrer par la fille. Ils partent chez elle. L’ascenseur est trop étroit pour le fauteuil, elle tient Fred dans ses bras et il monte les étages le nez dans les seins de la jeune femme. Ils jouent au scrabble: « suce, avec le u de anus », place Fred qui veut « entreprendre » la demoiselle. Elle refuse d’abord, puis se laisse convaincre. Une voisine fait irruption au moment fatidique et ils se séparent: la jeune femme, désigant Fred qui s’éloigne, dit à l’un de ses amis, « c’est mon homme… mon homme de compagnie »…

D’autres informations (scénario, photographies, récompenses, coordonnées…) sont disponibles sur le site Internet du film L’homme de compagnie.

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