Depuis 1990, le Centre d’Aide par le Travail Arc-en-Ciel, installé près de Troyes à La Chapelle Saint- Luc (Aube), conduit une activité artistique : il accueille une douzaine de personnes handicapées mentales ou psychiques qui composent le groupe Signes Particuliers. « Depuis l’origine, les membres du groupe sont quasiment les mêmes, précise leur éducateur, Guy Velut. Nous avons connu un seul départ, immédiatement remplacé. Nous n’avons pas choisi les personnes que nous avons accueillies, elles ont été orientées par la Cotorep en fonction de leur formation ou de leurs qualités musicales ». Huit sont musiciens ou chanteurs, les quatre autres assurent la technique et la régie son. Depuis la création du groupe, 300 spectacles, quatre C.D et deux singles ont été réalisés.

On pourrait s’étonner de ce que les artistes ne participent pas à l’écriture des textes et de la musique, la plupart étant l’oeuvre de Guy Velut : « Le processus de créativité ne nous semble pas adapté aux personnes handicapées mentales ou psychiques. Créer nécessite un grand investissement personnel, on donne beaucoup de soi. Cela fait remonter des impressions et des choses enfouies dans la relation parents- enfant, et peut dégénérer en conflit relationnel et psychique. Il faut être très prudent, et le C.A.T n’est pas un cadre thérapeutique adapté pour traiter ces conflits ». La moitié des pensionnaires d’Arc- en- Ciel est psychotique, l’interprétation et le travail musical leur permet de s’exprimer. C’est là qu’intervient le support thérapeutique : « On utilise la musique, poursuit Guy Velut, pour établir la communication dans un cadre protecteur ». Les artistes se sont approprié le répertoire qu’ils interprètent, des chansons qui évoquent une vie rêvée, incitent à touches discrètes à la tolérance, à l’acceptation de l’autre. Ici, on est dans la douceur de la mélodie, dans le calme tranquille des âmes apaisées, une agréable ballade musicale. Sur disque comme sur scène, quelques pièces instrumentales nous font percevoir une influence folk, celle des bretons de Tri Yann: « Nous les avons rencontrés il y a quelques années, précise Guy Velut, puis ils nous ont proposé d’assurer leur première partie à l’Olympia, en juin 1999, devant un public qui ne savait pas qu’il entendrait des artistes handicapés ».

Ce concert est le meilleur souvenir de Nicolas Salagnac, chanteur leader : « On ressent beaucoup de force du public, ça nous donne envie d’aller plus loin. On peut dépasser le handicap parce que sur scène on ne le voit pas. Les spectateurs peuvent avoir un regard différent, ils ont vu et entendu des artistes. On donne des émotions, on reçoit des félicitations ». Didier Gassaud est un musicien éclectique, il est souvent au piano mais joue aussi de l’accordéon diatonique et de la flûte : « Je montre mes capacités au public, pour qu’il entende ce qu’on est capable de faire. C’est une joie et un partage, une envie de faire découvrir des choses à des gens qui en veulent de plus en plus. Il m’arrive de dépasser le cadre de la scène; lors d’un concert, en 1996, j’ai noué une relation avec un spectateur qui se poursuit toujours ». Daniel Amaral officie au synthétiseur : « J’en utilise un qui est portable, en bandoulière à la manière d’une guitare. C’est ce que j’adore le plus. Je travaille à l’oreille, je n’ai pas appris la musique ». Cela ne l’empêche pas de montrer une grande virtuosité sur son instrument préféré !

Après des années fastes, Signes Particuliers est victime comme d’autres institutions culturelles de personnes handicapées de l’absence d’un lieu de retrouvailles : « Nous avons bien marché durant les années 1990, précise Guy Velut, notamment grâce au Festival de Figeac désormais disparu. Il permettait aux compagnies de confronter leurs expériences, stimuler leur créativité, échanger des pratiques, mieux vendre et diffuser les spectacles. Aujourd’hui, nous avons fait le tour des institutions pouvant accueillir nos spectacles et, dans le milieu ordinaire, notre travail se heurte à des réticences; il faut convaincre les directeurs de salles que Signes Particuliers parle au public ».

Quel devenir pour les artistes ? Guy Velut répond par une question : « Que veut dire l’insertion pour une personne handicapée mentale ? En C.A.T, elles n’ont pas le statut de salarié, elles ne cotisent pas à l’Assedic ce qui ne leur permet pas d’accéder au statut d’intermittent du spectacle. Parler d’insertion, d’intégration dans les métiers du spectacle, c’est bien, mais cela ne bouge pas. Il faut s’interroger et réformer ce système tout en tenant compte de la fragilité de la personne handicapée mentale, de sa dépendance intellectuelle et affective ».

Sans attendre une réforme hypothétique, Signes Particuliers élargit son travail. Une formation réduite, Autrement, reprend le répertoire du groupe dans d’autres arrangements musicaux afin d’alléger le coût des spectacles du groupe (3.000 euros, régie et déplacement compris). « La tonalité musicale est plus intimiste », assure Guy Velut. Récemment, le C.A.T a travaillé avec celui qui gère la compagnie théâtrale de l’Autre Part, en réalisant la musique de scène de sa pièce Mémoire(s) Vive(s) et en la jouant « live ». 2004 devrait voir sortir un nouvel album.

Laurent Lejard, septembre 2003.

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