« Il était né tout mal fichu, tout bancal, tout tordu… sans même un trou pour les oreilles, le visage de travers, le côté gauche en quenouille ». Ce physique hors normes, tel que le décrit Michel Piquemal, est celui de Pierre Avezard (1909-1992). Il vivait et travaillait près de Montargis, dans le Loiret. Une naissance difficile lui avait laissé des séquelles handicapantes, mais ne l’avait pas privé de l’amour des parents. Sa vie fut néanmoins accompagnée de sarcasmes, celles des enfants qu’il côtoya peu de temps à l’école, puis de ses compagnons de ferme : Petit Pierre était vacher.
Un vacher qui aimait ses vaches, bien sûr, la vie de la ferme, les campagnes, la nature. Et qui, pour fuir la méchanceté et la bêtise des adultes, se réfugiait dans l’étable, au-dessus des bêtes, bien à l’abri : il avait fabriqué une échelle mécanique qu’il relevait comme un pont-levis. Le goût de la mécanique l’avait pris. Son côté poète le conduisit à recréer, dès 1937, sous la forme d’un manège, le monde dans lequel il vivait. Un manège qui évolua avec son temps et les inventions que Petit Pierre découvrait dans les journaux : l’Aérotrain de l’ingénieur Bertin, le Concorde, une autoroute, des voitures, des camions. Et toujours, des machines agricoles lorgnées par quelques vaches, un coureur du Tour de France, des poules qui picorent. Là-haut, charrettes, tracteurs, avions, tank tournoyant en regardant une Tour Eiffel en bois de 23m de haut… Une prouesse technique commandée par un seul moteur au moyen d’arbres de transmission, de retours d’angle, de courroies et poulies. Petit Pierre réemploya même pour son oeuvre paisible et poétique les morceaux d’un avion de guerre qui s’était écrasé dans un champ, pour y ciseler objets, personnages et animaux !
Des saynètes sont présentées par des panonceaux manuscrits, dans un style qui annonce celui dont l’artiste Ben Vautier fera, plus tard, sa marque de fabrique. Petit Pierre a développé son manège sur un bout de terrain que son patron lui avait cédé, et le week-end on venait de loin voir fonctionner le prodige. Jusqu’en 1985, Pierre Azevard avait alors 74 ans, il était devenu hémiplégique.
Sept ans après, il mourait, et son manège, menacé de destruction, fut acquis (sauvé) par Alain Bourbonnais, collectionneur d’Art Brut installé dans un village de l’Yonne, à quelques kilomètres de Joigny : Dicy. Sa Fabuloserie est à la fois un musée et un parc; dédiée à l’art brut, elle est ouverte depuis 1983. Le parc, véritable « jungle d’Ali-Baba » est aisément accessible : on y trouve notamment une petite Afrique bâtie par un agriculteur, un élan en tôle construit par un finlandais et posé au bord de l’étang, un château, des girouettes, un radeau avec mats et ponts, une arche de Noé…
La Fabuloserie, avec le Manège de Petit Pierre, c’est un peu Prévert en Bourgogne, qui comble de bonheur toutes celles et tous ceux qui ont su garder une âme d’enfant.
Jacques vernes, septembre 2006.
La Fabuloserie de Dicy est ouverte de Pâques à Toussaint : les individuels sont reçus les samedis, dimanches et fêtes de 14 à 18h (et tous les jours en juillet-août), les groupes sur rendez-vous durant la semaine. Tél. : 03 86 63 64 21, fax : 03 86 63 78 64.
Le Manège de Petit Pierre, par Michel Piquemal et Christophe Merlin, a été édité en 2005 par Albin Michel Jeunesse. En librairies.