L’accès à la culture pour les personnes handicapées a fait l’objet de multiples travaux et réflexions, qui ont conduit à la mise en place de quelques politiques concertées. C’est le cas pour les musées et monuments nationaux, mais le spectacle vivant, le cinéma et la lecture restent à la traîne.
Musées et monuments. La gratuité pour tous les publics est actuellement expérimentée dans une quinzaine de musées, châteaux et palais français; selon les établissements, la gratuité sera limitée à certains publics (jeunes, personnes âgées) ou totale. La ministre de la culture et de la communication, Christine Albanel, proposera à la fin du printemps 2008 d’étendre ou pas cette gratuité à l’ensemble des musées dépendant de l’État. Pour les publics handicapés, la gratuité est appliquée dans les 33 établissements de la Réunion des Musées Nationaux (R.M.N) depuis 1992. « Elle a été décidée parce que l’on ne pouvait pas proposer au public handicapé la même prestation qu’au grand public, rappelle Claude Gilbert, chargée de mission pour les personnes handicapées à la Direction des musées de France du Ministère de la culture. Cette gratuité constitue également une compensation du surcoût lié aux déplacements ». Elle est accordée sur présentation de la carte d’invalidité et bénéficie à son titulaire et un accompagnant sans qu’il soit nécessaire que la mention « tierce personne » figure sur ladite carte.
Dans le même esprit, le tarif réduit appliqué aux activités adaptées avait été décidé parce que les groupes de personnes handicapées devaient être composés de moins d’individus sans pour autant grever leurs finances. La gratuité concerne également la centaine d’établissements gérés par le Centre des Monuments Nationaux, dans des conditions similaires à celles des établissements dépendant de la R.M.N. Les musées et monuments gérés par des collectivités locales ont une politique tarifaire variable, gratuité ou tarif réduit dans la plupart des cas, mais parfois plein tarif avec inaccessibilité; expositions et visites adaptées y sont encore plus rares qu’à Paris. En 2006, le groupe de travail « Tarification » de la Mission Culture et Handicap (Ministère de la culture) a élaboré un rapport fondant une politique cohérente : une tarification particulière repose sur une « logique de compensation socio-économique » visant des personnes à faibles ressources financières, visitant des établissements dont l’offre culturelle est généralement d’accessibilité partielle, et que l’on veut inciter à visiter des lieux culturels. Le niveau de prix, entre gratuité et tarif réduit, doit permettre d’atteindre ces objectifs. La tarification ne détaille pas les handicaps : si une personne handicapée motrice peut visiter toutes les salles du musée du Louvre en utilisant ascenseurs et élévateurs, elle bénéficie de la même gratuité qu’un aveugle dont les seules oeuvres « touchables » sont celles de la galerie tactile. Mais il serait dangereux d’effectuer une distinction en fonction des handicaps bien ou mal compensés, laquelle reposerait nécessairement sur les personnels de billetterie qui seraient juges de la gratuité pour aveugles, du tarif réduit pour handicapés moteurs ou du plein-tarif pour les sourds…
Spectacle vivant. Le développement de l’adaptation de spectacles aux publics déficients sensoriels (sous-titrage pour sourds et malentendants, audiodescription pour aveugles et malvoyants) s’accompagne généralement d’une réduction de prix des places. Ces spectateurs sont de facto « subventionnés » pour assister à des séances particulières, alors que le plein-tarif leur sera souvent demandé pour les séances sans adaptation : ce paradoxe illustre la pauvreté de la réflexion de la politique d’accès au spectacle vivant de la part des gestionnaires de salles. En fait, les lieux de spectacles n’ont, eux, aucune politique concertée ni définie, qu’ils soient d’exploitation privée, privée subventionnée ou publique dépendant de l’État ou de collectivités locales.
La tarification dépend étroitement de la volonté du directeur de l’établissement. Par exemple, le nouveau directeur de l’Opéra-comique, Jérôme Deschamps, multiplie par 11 pour la saison 2007-2008 le tarif appliqué aux personnes handicapées (sur carte d’invalidité à 100%) ! Il leur en coûtera de 56 à 76 € pour assister aux spectacles lyriques. Et si la gratuité accordée à l’accompagnateur a été maintenue, les indispensables travaux d’amélioration de l’accessibilité sont néanmoins renvoyés à la saison prochaine. Prix des places normal pour les représentations standard dans les deux salles de l’Opéra National de Paris, avec d’importantes disparités liées aux conditions d’accueil des publics handicapés : l’Opéra Garnier est d’accessibilité bricolée, avec passage par l’entrée des artistes et places réservées au fond d’une loge, visibilité réduite mais bonne acoustique pour un prix maximal de 22 €. À l’Opéra-Bastille, un quota de places est proposé pour la plupart des tarifs, avec comme seul avantage la possibilité de réserver sans devoir s’y prendre six à neuf mois à l’avance. Visibilité très réduite au Théâtre Municipal de Paris Le Chatelet, les places réservées étant amputées par la « casquette » du premier balcon; là, place à 11 € au plus mais décor invisible au-dessus de la tête des comédiens et chanteurs… Le très chic Théâtre des Champs-Élysées ne fait, lui non plus, aucun cadeau aux spectateurs handicapés, les emplacements fauteuil roulant placés sur le côté coûtant jusqu’à 90 € pour les opéras mis en scène, les autres spectateurs payant plein-tarif. Dans ces salles parisiennes, il manque toujours l’un des trois éléments de la politique élaborée par la Mission Culture et Handicap : compensation socio-économique, compensation relative à l’accessibilité de l’offre culturelle, logique d’incitation tarifaire à fréquenter les lieux culturels.
C’est en régions que l’on trouve des initiatives plus abouties. Par exemple, l’Opéra de Lyon, à l’accessibilité « palliative », propose un prix très réduit pour les places fauteuil roulant, un demi-tarif pour les aveugles sur une catégorie moyenne de places, une tarification « à la demande » pour personnes handicapées mentales, une boucle magnétique amplificatrice pour malentendants appareillés, des actions pédagogiques. Le grand Théâtre de Reims allie places fauteuil roulant avec visibilité parfaite et tarif réduit, les autres personnes handicapées payant le prix de la catégorie inférieure à celle de la place achetée; ces informations figurent sur la brochure papier, mais pas sur le site web du Théâtre. L’information relative aux conditions d’accueil des spectateurs handicapés est d’ailleurs fréquemment difficile à trouver, reposant sur un contact direct avec un employé, ce qui réduit fortement l’impact d’éventuelles adaptations tarifaires dont la publicité est exceptionnellement diffusée sur les documents destinés au grand public.
Si le spectacle vivant « peut mieux faire », tout est à créer côté cinéma : les personnes handicapées ne bénéficient d’aucun tarif particulier, sauf très rares exceptions locales. Or, le placement des personnes en fauteuil roulant est souvent imposé et médiocre, au pied de l’écran, sur le côté ou en haut de salle, les malentendants disposent rarement d’une boucle magnétique, l’audiodescription tient de l’exception.
Enfin, en matière d’accès au livre, dans les bibliothèques et médiathèques, la politique tarifaire est décidée par chaque municipalité, les publics handicapés pouvant parfois bénéficier de conditions spécifiques alors que les services adaptés sont très rares (livres sonores, machines à lire, accueil en langue des signes, etc.).
La tarification proposée aux publics handicapés consommateurs de culture témoigne de la qualité de l’accueil qui leur est réservé…
Laurent Lejard, novembre 2007.