À maintenant 65 ans, Georges de Cagliari est un auteur qui vit de sa plume, ils ne sont pas si nombreux en France. Il travaille en solitaire, dans un bureau-appartement situé au pied de la Butte Montmartre, côté boulevard Barbès, un secteur toujours très animé et vivant de Paris. Ses oeuvres sont traduites dans une dizaine de langues.

Question : Comment êtes-vous arrivé à l’écriture ?

Georges de Cagliari : Quand j’étais à l’école primaire, mes copains m’appelaient « le poète ». Je ne me suis jamais posé la question, j’ai toujours su que j’écrirais. La seule chose qui m’intéressait vraiment, c’était l’écriture. La vie m’a permis de surcroit de m’installer dans l’écriture, ça s’est passé le plus naturellement du monde. J’ai commencé par envoyer des poèmes à des revues, puis j’ai eu des contacts qui m’ont permis d’être édité.

Question : Quel est le problème avec la poésie en France ?

Georges de Cagliari : Il est double. Il est d’abord lié au monde littéraire qui a subi l’un des travers de la poésie, l’élitisme forcené et l’hermétisme, alors qu’elle est un art qui se prête particulièrement à la compréhension de tous, parce qu’il fait appel à 80% à la sensibilité et à 20% à la musicalité verbale. On a essayé de faire croire qu’elle était praticable par tous, l’affirmation « tout le monde est artiste » est la meilleure façon de tirer l’art vers le bas et de faire croire aux gens des choses qui ne sont pas. Tout le monde est capable d’apprécier un art, dans la mesure ou les gens ont le langage tout comme les poètes, il n’y a aucune raison pour que la poésie leur soit fermée. Elle ne devient fermée que lorsqu’on la confine dans une approche absconse, qui fait que le lecteur perd pied. Mais la poésie ce n’est pas cela. La démarche du poète est de déphaser votre imaginaire et de vous donner à entendre de la beauté. Pour moi, la poésie est d’abord un tableau verbal accessible à tous, que vous ne cherchez pas à analyser mais qui vous secoue émotionnellement en l’entendant.

Question : Votre pièce Fin de Terre est en prise avec l’actualité…

Georges de Cagliari : Le théâtre a toujours été une passion, il a un impact, une force concrète, très proche de la vie, qu’on ne retrouve pas dans d’autres modes littéraires. La rencontre est immédiate, avec une puissance extrême, c’est fantastique. Je l’ai vécu tout au long des représentations de Fin de Terre, à Paris comme à Avignon, avec des spectateurs pleurant contre mon épaule en me disant « merci », c’est bouleversant. J’ai écrit cette pièce en 2003, le thème n’intéressait alors personne. Elle a été créée en 2004 à Avignon, reprise en 2005, puis jouée à Paris en 2006 durant trois mois à guichets fermés. Ça a été une montée en puissance relativement lente, on en est à 140 représentations. C’est la première fois que le thème du changement climatique est porté au théâtre, dans un huis-clos dans lequel le monde extérieur dévasté est un argument permanent. On n’est pas dans un constat simple, mais dans la désignation des responsabilités. La pièce est traduite en italien par l’écrivain Tomaso Guardino, dans sept langues des pays de l’Est à la demande d’un auteur roumain, bouleversé à la sortie d’une représentation à Avignon, il pleurait. La directrice du Théâtre du Chaos, Sara Veyron, avait organisé une tournée aux U.S.A, dans des petites villes, un délégué d’Al Gore l’a vue et l’a proposé à son équipe, ça s’est concrétisé et la pièce est actuellement en cours de traduction.

Question : Comment vivez-vous votre cécité ?

Georges de Cagliari : 
J’ai eu une vie avec une mauvaise vue, j’ai toujours été un grand myope, et depuis huit ans j’ai une vie de presqu’aveugle. Je ne vois plus les silhouettes, je ne peux plus lire, je suis en train de m’équiper d’une machine à lire. Cela fait huit ans que j’ai perdu le contact avec le livre, pour un écrivain c’est terrible parce que le resourcement passe par le livre des autres. A la suite d’une intervention chirurgicale, mon oeil gauche – le droit faisait de la figuration ! – a subi une dégénérescence de la macula, qui ne me permet pas de faire le deuil parce que la décroissance de la vision est constante. Ce qui m’a sauvé, c’est le logiciel Jaws qui m’a permis d’écrire, et que je maitrise comme je le peux.


Propos recueillis par Laurent Lejard, décembre 2007.


Georges de Cagliari se livre avec talent au délicat exercice de l’aphorisme, dont ceux-ci qu’il vous livre, tirés de l’ouvrage 
Petit pense-bête d’un voyageur sans bagages (Editions de la Musaraigne) :

– Ce n’est pas l’arbre qui a inventé le bâton.
– Le pire chez l’imbécile, ce n’est pas qu’il soit bête, mais qu’il veuille à toute force le prouver.
– Si ce que tu donnes te donne un pouvoir sur celui qui reçoit, tu le voles.
– Si ton sens de la liberté n’est pas plus profond qu’une flaque, ne t’étonnes pas qu’on saute à pieds joints dedans.
– Face aux universitaires qui veulent t’imposer silence sous prétexte que tu n’en est pas, souviens-toi que le parchemin est essentiellement tiré du mouton.
– Si tu demandes aux militaires de maintenir la paix, ne t’étonnes pas de faire la guerre.

Les oeuvres les plus récentes de Georges de Cagliari (théâtre, aphorismes, poèmes, chansons) sont éditées par La Musaraigne.

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