Metz connaitra-t-elle son effet Bilbao ? Cette question est au coeur des discussions depuis l’ouverture du Centre Pompidou de Metz (CPM), musée d’expositions temporaires destiné à décentraliser l’immense collection du Centre Pompidou de Paris. Pour leur part, les visiteurs handicapés trouveront un musée du XXIe siècle avec une accessibilité du XXe, limitée aux seules personnes en fauteuil roulant… et encore : une partie de la boutique et le centre de documentation sont en étage sans ascenseur. Et dans l’auditorium, placement obligé au premier rang les yeux presque contre l’écran.
Les déficients visuels ont été complètement ignorés, voire piétinés par un « geste architectural » qui a accouché d’un bâtiment quasi-immaculé, sans élément permettant un repérage dans l’espace. La signalétique, entre discrétion et invisibilité, est formée de lettres argentées ou grisâtres sur fond blanc : succès garanti pour les toilettes adaptées du hall du musée, dont le pictogramme « fauteuil roulant » est inaperçu de visiteurs valides qui font la queue devant alors que leurs toilettes sont à l’étage… sans ascenseur !
Vous voulez boire un verre ? N’allez pas en terrasse : vous n’aurez que des tables hautes et les tabourets qui vont avec. Petite consolation pour les malentendants, une boucle magnétique équipe les guichets, l’auditorium et le studio de création. Et les malvoyants pourront lire les cartels, le nom de l’artiste étant inscrit en caractère de 25 mm et le titre de l’oeuvre en 18.
Le pire a pourtant été évité, grâce à l’action de la Mission handicap de la ville de Metz et de son directeur, Dominique Trabucco, soutenu par les élus : des escaliers partout, dans le jardin, sur les accès au parvis, dans les circulations entre les salles, vers la terrasse du restaurant, mais aussi des guichets hauts avec un personnel sur estrade, un parvis en pente forte pour rappeler celui du Pompidou Paris. Mais les architectes ainsi que le maître d’ouvrage, la communauté d’agglomération Metz Métropole, n’ont pas pris en compte les recommandations en matière d’accessibilité aux déficients visuels, auditifs, mentaux et psychiques, basées sur la réglementation actuellement en vigueur. Certes, architectes et maitre d’ouvrage n’étaient pas tenus de l’appliquer, le permis de construire du Centre Pompidou de Metz étant antérieur, obtenu en septembre 2005. Avec pour résultat un bâtiment témoignant d’une pauvreté de culture de l’accessibilité, qui n’est pas même pas conforme à la réglementation applicable et devra être mis en conformité avec l’actuelle dans les cinq années qui viennent ! Un gâchis de temps, de compétences et d’argent que l’on n’aurait pas cru possible après la polémique suscitée par le raté du Musée du Quai Branly.
Pas de médiation ni de visites adaptées. Cette ignorance des visiteurs handicapés se retrouve également dans l’absence totale d’accès aux oeuvres, cette accessibilité culturelle qui ouvre l’art et la connaissance à tous : aucun document adapté aux différents handicaps, les visites guidées adaptées de l’extraordinaire exposition d’ouverture, « Chefs d’oeuvre ? », ne débuteront au mieux qu’à la rentrée de septembre 2010 peu avant la fermeture, le 24 octobre, de l’une des quatre salles présentant des oeuvres majeures.
« On a déjà un peu avancé en rencontrant une à une les associations mosellanes, explique Sarah Guedj, chargée des actions éducatives. On prend les idées sur le plan local. On s’est aperçu qu’on ne pouvait pas mélanger tous les visiteurs handicapés ». Actuellement, Sarah Guedj travaille à l’élaboration d’un guide audiovisuel tous publics installé sur Ipod Touch, dont les textes lus devraient s’afficher à l’écran. Problème : cet écran est tactile, impossible à utiliser par les visiteurs déficients visuels, et la réalisation d’un tel guide est longue, ce qui ne le rendra disponible que trois mois après l’ouverture d’expositions qui seront toujours temporaires…
En clair, le CPM invente dans son coin sa politique d’accessibilité culturelle, en contradiction avec ce qu’indiquait le directeur de l’association de préfiguration, Laurent Le Bon, lors du Forum International des Musées Futurs de janvier 2009 : il affirmait qu’il y aurait une adaptation tous handicaps. « L’accueil des publics et la médiation sont encore en chantier, expliquait alors Sarah Guedj. Le Centre Pompidou Metz ne sera qu’un utilisateur du Pompidou Paris. On réfléchit à la manifestation de préfiguration, en s’appuyant sur Pompidou Paris ». Ce que ne confirme pas la cellule accessibilité de ce dernier : « Le Pompidou de Metz ne travaille pas avec celui de Paris. Chaque structure a son autonomie ». Le Pompidou de Metz ne travaille pas davantage avec le Fonds Régional d’Art Contemporain (FRAC, éloigné il est vrai… d’1,5km) qui a développé une offre complète en direction des visiteurs handicapés : si les bâtiments médiévaux de l’Hôtel Saint-Livier posent quelques problèmes aux visiteurs en fauteuil roulant, des visites sont adaptées aux déficients visuels, aux sourds, aux handicapés mentaux, les aveugles disposent d’une machine à lire et les malvoyants d’une loupe électronique.
Les musées futurs. Autre action de décentralisation culturelle à l’initiative de l’Etat, le Louvre ouvrira une antenne à Lens vers 2012-2013. Les élus locaux espèrent, à l’instar de ceux de Metz, un « effet Bilbao » : ils sont même allés sur place en octobre 2006 pour étudier les retombées touristiques et financières du Musée Gugghenheim de cette ville. A Lens, côté bâtiments, la nouvelle réglementation concernant tous les handicaps s’applique. Et en matière d’accessibilité culturelle, une personne dédiée travaille actuellement sur les adaptations qui reposeront essentiellement sur la médiation humaine, les supports adaptés (copies tactiles par exemple) ayant déjà été écartés semble-t-il. Pour ce Louvre décentralisé, 300 oeuvres du musée parisien seront en dépôt durant 5 ans, complétées par des expositions temporaires.
Dernière opération étatique de décentralisation culturelle, totale celle-ci, le Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) espère ouvrir en 2013, pour l’opération Marseille capitale européenne de la culture. Mais bien que la première pierre ait été posée en décembre 2009, le chantier n’en est encore qu’aux terrassements. Pour sa part, l’Administration avait retoqué le projet de permis de construire, en février 2009 : « On n’a pas grand chose à dire sur le sujet, expliquait alors le chargé de projet du cabinet d’architecture Rudy Ricciotti. Notre dossier n’était pas conforme sur les accès handicapés. On doit réadapter un autre projet en fonction des normes handicapés ». Le projet comporte une rampe à 4% ceinturant le bâtiment et reliant le sol au toit terrasse qui communiquera au Fort Saint-Jean au moyen d’une passerelle piétonnière. Sur le plan muséographique, bien que les oeuvres exposées proviennent de la collection de l’ancien Musée National des Arts et Traditions Populaires fermé en 2005, le contenu reste à élaborer et une employée chargé des publics a été recrutée il y a quelques semaines.
L’Etat conduit également une opération d’exportation du patrimoine culturel français à l’étranger en prêtant des oeuvres à l’antenne du Louvre qui ouvrira fin 2013 dans l’émirat d’Abu Dhabi. L’agence France-Muséums, spécialement créée à cet effet, coréalise le projet culturel avec les autorités locales. « La difficulté particulière de l’exercice tient en particulier à la nécessité de combiner les exigences de la règlementation française, qui nous est familière, aux British standards, applicables aux Emirats Arabes Unis en l’absence de législation spécifique locale, explique son directeur, Bruno Maquart. La ‘relecture’ du bâtiment opérée par l’Agence a ainsi permis, dans une grande complicité avec les équipes des ateliers Jean Nouvel, d’améliorer en de nombreux détails la visite des futurs visiteurs. Enfin, dans une optique de sensibilisation et de formation, l’Agence France-Muséums a veillé à intégrer la problématique des publics en situation de handicap le plus en amont possible et de manière systématique ». Il semble pourtant que la directrice scientifique du Louvre d’Abu Dhabi, Laurence des Cars, ait refusé la création de fac-similés tactiles, l’adaptation d’oeuvres ou des cartels en grands caractères.
A Rodez (Aveyron) devrait ouvrir, dans la même période 2012-2013, un musée consacré au peintre Pierre Soulages (aujourd’hui âgé de 90 ans), construit à flanc de coteau entre la cathédrale et le nouveau quartier Bourran, avec un dénivelé de 13 mètres. Selon ses concepteurs, l’accès se fera par rampes à 4% entre le bas et le haut de ville, à travers un parc, l’installation d’un élévateur ayant été écartée. Les espaces d’exposition seront sur le même niveau, présentant les matériaux préparatoires aux vitraux de Conques, des oeuvres de jeunesse, avec un cabinet d’art graphique proposant les brous de noix, des peintures sur toile d’avant 1979. Pour élaborer l’accessibilité culturelle du musée, la communauté d’agglomération du Grand Rodez espère travailler avec les universités de Toulouse, performantes dans l’imagerie numérique, la réalité virtuelle augmentée, l’haptique de son pôle science et art. « Nous avons la volonté de concevoir dès l’ouverture la médiation adaptée, expliquait en janvier 2009 Jean-Louis Guichard, alors chargé de mission Culture du Grand Rodez. Nous allons lancer des recherches sur ce qui aide à avoir accès à l’oeuvre d’art, à restituer la matière, avec l’idée d’un musée sonore en liant création plastique et musicale contemporaine ». Mais une récente restructuration institutionnelle de la communauté d’agglomération pourrait peser sur l’ambition du projet…
A Lyon, le Musée des Confluences a pris plusieurs années de retard, tant l’élaboration du bâtiment s’avère complexe. Pour remettre le projet sur pied, il aura fallu modifier la législation sur la garantie assurantielle et remplacer un entrepreneur qui avait abandonné un chantier jugé trop complexe. Maitre d’ouvrage, le Conseil Général du Rhône a vu la facture plus que doubler, mais son président veut toujours sauver « son bébé » dont la naissance est annoncée pour 2014. Il pouvait, jusqu’à très récemment, compter sur le directeur du musée, Michel Côté, qui a développé une politique d’exposition hors-les-murs des collections du futur établissement, qui intègre déjà des supports adaptés de visite, une médiation culturelle prenant en compte les différents handicaps et fait intervenir des artistes handicapés. « Le projet architectural a été revu sous l’angle de la nouvelle réglementation, expliquait Michel Côté en janvier 2009. J’ai refusé qu’un escalier soit un espace de prolongation d’exposition ». Mais Michel Côté a accepté de retourner dans son Canada natal pour diriger le Musée de la Civilisation à Québec : que fera son successeur ?
Dernier grand projet, et le seul à Paris, la Fondation Louis Vuitton pour la création, au bois de Boulogne, qui exposera la collection d’art moderne et contemporain du milliardaire Bernard Arnault. L’homme d’affaires a confié son musée à l’architecte Franck Gehry, et recherche à l’évidence un « effet Bilbao », ce que confirment la maquette et les images de synthèse d’un bâtiment qui n’en est encore qu’aux fondations. Les architectes font appel depuis la genèse du projet à Nadia Sahmi, architecte spécialisée dans l’accessibilité des bâtiments culturels, qui a fait modifier certains choix pour améliorer les circulations et le confort d’usage : cinq grands ascenseurs (dont deux utilisables en cas d’incendie) aux angles des espaces d’expositions pour éviter les aller-retour, un guidage podotactile, un auditorium modulable avec places fauteuil roulant en haut et en bas. « L’accessibilité fait partie de la culture d’entreprise, explique Christian Reyne, Directeur Général de la Fondation Louis Vuitton pour la création. On commence à prendre en compte la scénographie, dont le processus n’est pas encore élaboré. Pour la médiation culturelle, on veut mettre le curseur assez haut ». Mais les concepteurs vont se heurter à un obstacle de taille sur lequel ils ne peuvent agir : l’absence de parking résultant de la volonté municipale. Les visiteurs handicapés pourront se faire déposer devant l’entrée mais il n’est pas certain qu’une solution de stationnement automobile leur sera proposée. Malgré cet inconvénient, il semble bien que le secteur privé ait décidé de prendre la tête du (long) chemin de l’accessibilité culturelle.
Laurent Lejard, juin 2010.