Lancée à Orléans en novembre 2010, la série de concerts du groupe tourangeau Fumuj intègre des adaptations destinées aux spectateurs sourds ou malentendants : projections graphiques en fond de scène, batterie lumineuse, grosses colonnes éclairées et tactiles dans la salle qui vibrent en fonction du son, et tubes portatifs gonflables qui répercutent la musique…

Fred, bassiste : 
L’idée est venue d’une salle, l’ Astrolabe à Orléans, dans laquelle on était en résidence. On nous a proposé d’adapter un concert pour des spectateurs sourds. On fait une musique actuelle à un volume assez élevé, et on est les premiers à avoir des risques auditifs. Moi, j’ai une perte auditive à l’oreille droite dans le médium.

Daron, guitariste : Par rapport à mon instrument, la guitare, il y a des fréquences sonores que je perçois mal. C’est à nous de trouver des solutions. Beaucoup de musiciens jouent avec des bouchons dans les oreilles, qui réduisent le son de 10 à 20 décibels.

Fred : 
Au départ, l’idée était de faire un concert pour sourds, mais on s’est dit que cela ferait beaucoup de travail pour une seule soirée, alors on a décidé de le faire pour tous nos concerts dans toute la France. Lors de réunions avec des personnes sourdes, elles nous ont dit que ce qui leur servait c’était d’avoir une lecture visible de la musique. C’est pour ça qu’on a imaginé des installations comme la batterie lumineuse qui s’allume quand on frappe dessus, et des projections interactives en fond de scène. La vidéo bouge sur la voix de Pierre, le chanteur, en fonction des coups donnés sur la batterie. On a travaillé avec des informaticiens pour obtenir ces compositions visuelles et graphiques.

Daron : Dans la salle, il y a des récepteurs somesthésiques collectifs, que tout le monde peut approcher et toucher de la main, pour avoir un ressenti du spectre musical à travers les vibrations qu’il génère. Des récepteurs portatifs gonflables, dérivés des applaudisseurs de stades, sont distribués à tout le monde, ils captent les vibrations au maximum. Il fallait aussi que le système soit transportable, et on a des moyens limités, ce qui nous empêchait d’employer un tapis vibrant.

Fred : On a le projet d’intégrer la langue des signes, les sourds voudraient qu’il y en ait davantage pour comprendre les paroles. On a rencontré une slameuse en langue des signes, Laetitia Tual, avec laquelle on souhaite travailler.

Daron : Le chanteur signe certaines choses, mais il a appris en un an, dans l’engagement du concert il ne peut pas signer tout le temps.

Laetitia, interface :
 Le groupe chante en anglais, je travaille essentiellement avec la Langue des Signes Internationale ou Américaine, pour rester dans la langue d’origine. J’ai travaillé sur Nantes avec des chanteurs de rap, hip-hop, reggae. Avec d’autres interfaces, j’assure l’interprétation de Hip-opsession, un important festival de Nantes dont la battle de danse est diffusée sur grand écran avec langue des signes. L’accessibilité, pour moi, c’est déjà avoir le choix de ne pas venir. C’est du vivre ensemble. C’est mieux qu’il y ait des spectateurs concernés mais on a tous nos vies, c’est ça la liberté : c’est pas parce qu’on a fait un concert pour toi que tu es obligé de venir. Mon espoir, c’est que les sourds puissent choisir ce qu’ils veulent.

Fred : Les sourds nous l’ont bien dit, « vous n’allez pas nous faire écouter de la musique ! ». La surdité est un handicap de la communication, les sourds restent souvent entre eux. Certains sourds ne sont pas plus touchés que ça mais sortent avec la banane parce qu’ils ont passé une bonne soirée, d’autres ont envie de bouger et nous disent que c’est vraiment génial.

Daron : On y allait doucement et en marchant sur des oeufs. Ça touche les sourds, ça les intéresse. Souvent, ils s’ennuyaient dans les concerts parce qu’il n’y avait pas grand chose à voir. Faire ce travail d’adaptation, ça sert le spectacle même pour les entendants, ça donne un relief supplémentaire à notre création.

Fred : Notre but, que les sourds passent un bon moment, qu’ils ressentent une ambiance de concert et se retrouvent avec des entendants. Et inversement, que des entendants arrivent à comprendre ce qu’est la surdité.

Propos recueillis par Laurent Lejard, mars 2011.

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