Le Théâtre Eurydice fête ses 25 années d’existence ! ESAT pour Etablissement et Service d’Aide par le Travail, la récente appellation des CAT. Mais à la différence de la Compagnie de l’Oiseau-Mouche qui l’a précédé, Eurydice ouvre aux travailleurs handicapés l’ensemble des métiers du théâtre, une volonté forte de son fondateur, l’auteur Michel Reynaud, qui prendra sa retraite l’an prochain : « J’ai abordé le théâtre quand j’ai eu 18 ans. J’avais une sensibilité artistique et je me destinais à la musique, au théâtre. Une rencontre a bouleversé mon existence, quand on m’a proposé d’accompagner un groupe de jeunes trisomiques en camp de vacances à Narbonne, au début des années 1970. Je me suis retrouvé avec quatre enfants et un jeune lourdement handicapé, ce fut une rencontre incroyable, une claque humaine, je me suis senti à ma place, 15 jours de vrai bonheur ! » Après ce séjour, Michel Reynaud a été engagé dans un Institut Médico-Educatif et Professionnel pour encadrer les jeunes d’un atelier théâtre. Il a suivi des cours d’éducateur spécialisé tout en poursuivant parallèlement sa recherche personnelle, sa voie dans l’activité théâtrale. Son premier emploi stable a déterminé la suite de son parcours : employé au centre Bel Air, en Seine-et-Marne, il inscrit l’atelier théâtre à un concours interscolaire de haut-niveau et prépare avec les jeunes handicapés « Pierrot la Vie », qui remporte le 1er prix.

« Ça a été le déclic : pourquoi des adultes handicapés ne pourraient-ils pas accéder au théâtre ? Il aura fallu ensuite 15 ans de travail préparatoire pour créer Eurydice, grâce à la Sauvegarde des Yvelines, un projet qu’elle a accepté en 1982, suivi de quatre ans de montage. Eurydice s’est d’abord installé dans un théâtre municipal alors en déshérence, à Villepreux; on l’a géré pendant 11 ans, en accueillant des spectacles, en confectionnant décors et costumes, et en proposant nos créations. » La première fut la reprise dans une forme plus longue de « Pierrot la Vie » : « Pourtant, les professionnels du spectacle étaient décontenancés par les personnes handicapées mentales. Mais ca a été un succès public, tout est parti de là. Il fallait que tous y croient. Ce travail a eu des conséquences sur les gens et leur personnalité. »

Depuis, onze metteurs en scène ont travaillé sur des créations d’Eurydice. « On a organisé régulièrement des ateliers, des journées portes ouvertes, on a montré que d’autres métiers étaient possibles. J’avais envie d’un lieu ouvert, qui travaille aussi pour d’autres compagnies. » Avec les limites résultant de l’environnement professionnel : si Michel Reynaud défend la sortie d’ESAT pour une insertion en milieu ordinaire, il ne peut que constater qu’elle reste extrêmement minoritaire, du fait de l’encadrement et de l’attention humaine toujours nécessaires aux personnes handicapées mentales ou psychiques, et de l’absence de moyens pour assurer sortie et suivi de l’insertion. Un ESAT artistique demeure contraint par un cadre réglementaire strict et tant que les pouvoirs publics ne les doteront pas pour cette mission, l’insertion en milieu ordinaire restera marginale.

Devenu adulte, l’ESAT Eurydice dispose désormais de sa propre salle de spectacle et de ses ateliers de fabrication, à Plaisir, dans les Yvelines. Outre ses créations, il accueille des compagnies et propose une saison complète à des abonnés dont le nombre progresse chaque année. Une salle d’une cinquantaine de places équipée comme une grande, dans laquelle on représente la même oeuvre plusieurs fois, un contexte idéal pour les compagnies qui veulent se faire connaître en montrant leur travail à des directeurs de théâtre ou des professionnels à l’agenda chargé que l’on peut rarement toucher sur une seule date de représentation.

Si Eurydice est reconnu par le milieu théâtral, il lui reste à convaincre l’Administration de la Culture : « C’est le problème du statut d’ESAT artistique qui n’a jamais été réglé, regrette Michel Reynaud. Tous les ESAT sont mis dans le même sac des établissements médico-sociaux. Une évolution est possible en 2012, c’est aux autorités de dire si Eurydice doit perdurer après mon départ, que j’ai préparé. On remplit une mission de service public, on accueille des compagnies sur de longues périodes. Notre force, c’est que l’on peut montrer notre travail artistique, qu’on aime ou pas. Ce qui mine notre travail, c’est de rester dans le créneau handicap. Alors que j’écris pour un comédien en particulier, en pensant à l’histoire que l’on va raconter. On évite l’instrumentalisation par le travail quotidien et professionnel, le choix des spectacles et des rôles en fonction des capacités techniques des comédiens. Il faut savoir gérer le regard des spectateurs sur le comédien, qui risque d’être touché par un rôle, un personnage. Tout ce travail évite l’instrumentalisation, la monstration. Rien n’est laissé au hasard. La pièce Peer Gynt, par exemple, a pu être montée grâce aux dix ans d’expérience des comédiens qui l’interprètent : ils sont professionnels, ils sont prêts. »


Propos recueillis par Laurent Lejard, octobre 2011.

Cofondateur du festival européen théâtre et handicap Orphée, Eurydice représentera au théâtre Montansier à Versailles Peer Gynt, d’Henrik Ibsen, pour cette édition 2011. Le Théâtre Eurydice programme pour la saison 2011-2012 huit spectacles : cinq compagnies accueillies, deux créations (« Exercices de style », sur un texte de Raymond Queneau, « Tranches de vie tranches de Vian ») et une reprise (« Welcome Mister Chaplin ») par les comédiens de la troupe. Euridyce propose également des stages de formation théâtrale. Contact : Théâtre Eurydice ESAT, 110 rue Claude Chappe 78370 Plaisir. Tél. 01 30 55 50 05.

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