La « der des der », tel était le surnom donné à la guerre qui déchira le monde du 28 juillet 1914 au 11 novembre 1918. Près de 60 millions de soldats ont été engagés dans les combats, plus de 9 millions sont morts, 8 millions déclarés disparus, 21 millions ont été blessés dont 8 millions sont restés invalides. Les historiens estiment à 300.000 le nombre de civils morts en France du fait de cette guerre. C’est la vie des soldats et des populations qui est présentée au Musée de la Grande Guerre récemment inauguré à Meaux (Seine-et-Marne). Lequel n’est pas un simple « musée militaire » de plus, mais une exposition intelligente qui s’efforce de montrer des aspects de ce qu’ont vécu les acteurs et victimes de cette immense tragédie.

Le visiteur est d’abord ramené en 1870, année de la guerre éclair de la France contre le Royaume de Prusse qui annexa l’Alsace et la Moselle jusqu’en 1918. Il est plongé dans le climat revanchard de l’époque, mais découvre également comment les Allemands vivent cette période, l’un des intérêts du musée étant de proposer en parallèle la vie des Français et des Allemands, vitrines rouges pour les premiers, vertes pour les seconds. L’ampleur et la diversité de la collection d’objets amassée par l’historien autodidacte Jean-Pierre Verney, qu’il a vendue à la Communauté d’Agglomération du pays de Meaux, propose une approche de la vie quotidienne d’une période cruelle pendant laquelle les peuples ne furent que des pions manipulés par des politiciens au service d’industriels et de fabricants d’armes, une dimension politico-économique que l’on ne retrouve guère dans le musée.

Une accessibilité défaillante et perfectible.

L’accessibilité, pour sa part, pâtit de la création architecturale d’un grand parallélépipède rectangle de béton posé au sommet d’un coteau dominant Meaux, à quelques mètres du monument américain commémorant la bataille de la Marne de 1914 (qui atteignit les hauteurs de la ville). L’entrée s’effectue par deux longues rampes traversant ce qui sera dans quelques années un bois de cèdres, la première pentue pour les piétons, la seconde d’au moins 300 mètres en pente douce pour les personnes en fauteuil roulant : large mais sans chasse-roues. Les larges et lourdes portes vitrées sont à ouverture manuelle, aucun guidage podotactile n’aide les déficients visuels (d’autant que sols et murs sont uniformément peints de couleur anthracite), même pas pour les conduire au plan relief et braille du musée installé à l’accueil, au premier étage. Pour ces derniers manquent également des bandes d’éveil de vigilance sur les escaliers reliant le parking au musée, ainsi que sur la traversée piétonne face à l’entrée dont l’abaissé est à pan coupé potentiellement dangereux. Il est impossible d’apprécier la signalétique, qui n’est pas installée. Les visiteurs à mobilité réduite ne disposent pas de fauteuil roulant de prêt, ni de sièges-cannes.

Si la commission ad hoc a validé la sécurité du musée, elle a repoussé celle de l’accessibilité en fin d’année 2011. Pourtant, le musée a été inauguré en grande pompe par le Président de la République le 11 novembre, en compagnie du maire de Meaux et secrétaire général de l’UMP, Jean-François Copé.

Le musée de la Grande Guerre paraît en effet relever de ce qui se faisait avant la législation de 2005 en matière d’adaptation aux publics handicapés, et le traitement de l’accessibilité culturelle le montre clairement : l’audioguide ne décrit pas les pièces numérotées auxquelles il réfère mais expose un propos contextuel; les visiteurs déficients visuels ne disposent d’aucune autonomie; il n’y a pas de boucle magnétique près des nombreuses installations multimédias ou sonores, ce qui gênera les personnes déficientes auditives.

Certes, de multiples objets reproduits en résine ou autres matériaux peuvent être touchés, mais la présence d’un accompagnant est indispensable pour les trouver et les comprendre (les cartels et légendes sont uniquement en noir). Le multimédia est encore en rodage, mais les sous-titrages ne sont pas prévus. Une médiation culturelle va prochainement débuter à destination des groupes scolaires : pour des autistes en utilisant une poupée, des éléments sonores ou tactiles, et pour des jeunes déficients visuels autour d’un objet et avec une mallette pédagogique. Cette médiation implique les enfants et adolescents myopathes du Centre de Rééducation Fonctionnelle Le Brasset, qui ont participé en 2010 et 2011 à un projet pédagogique d’accueil des élèves handicapés. L’initiative est louable, citoyenne, exemplaire, mais est-il bien responsable et professionnel de faire reposer sur des élèves l’accessibilité culturelle d’un musée grand public qui a reçu 100.000€ de mécénat destiné notamment à cette accessibilité ?

Moderne, intelligent, humain, le musée de Grande Guerre est bien ancré dans son époque… sauf pour les visiteurs handicapés.

Laurent Lejard, décembre 2011.

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