À ce jour, aucun des monuments nationaux français n’aurait fait l’objet d’une dérogation à l’accessibilité des personnes handicapées, affirme la ministre de la culture, Aurélie Filippetti : « On s’inscrit dans le cadre de la loi du 11 février 2005. On travaille pour que l’ensemble des établissements du ministère de la culture puisse être accessible dans les meilleurs délais à tous les publics. Pour l’instant, il n’y a pas de demande de dérogation. Le Centre des Monuments Nationaux [CMN] qui gère un grand nombre de monuments, à une ambition forte pour rendre l’ensemble de ses sites accessibles même si, par exemple pour les tours des cathédrales, cela sera difficile dans l’immédiat. On est heureux qu’il n’y ait pas eu de traitement à part, que l’on n’ait pas exclu le patrimoine du champ d’application de la loi du 11 février 2005. Le but, c’est vraiment l’accès de toutes et de tous au patrimoine et à la culture. » Une action qui se poursuit malgré les restrictions imposées dans le budget de l’Etat : « Il est vrai que l’ensemble des crédits baisse, et notamment ceux des monuments historiques, poursuit Aurélie Filippetti. Cela nous met dans la difficulté, bien entendu, mais ce n’est pas la politique d’accessibilité qui va être spécifiquement touchée. J’ai arrêté un certain nombre de grands travaux, entre autres. L’accessibilité reste une priorité pour moi, elle ne sera pas touchée par la diminution des crédits. »

Nommé il y quelques mois à la présidence du Centre des Monuments Nationaux, Philippe Bélaval poursuit le chantier engagé par sa prédécesseure, Isabelle Lemesle : »Nous intégrons systématiquement l’accessibilité lorsque nous réalisons des campagnes de restauration ou de travaux. C’est la raison pour laquelle la restauration du Logis royal du château d’Angers, consécutive à l’incendie de 2006, comprend la mise en accessibilité. De même au château de Champs-sur-Marne, qui rouvrira au public à la fin du mois de juin. Pour les monuments dans lesquels des travaux ne sont pas prévus, un certain nombre pose des difficultés particulières du fait de leur structure même, qui rend difficile voire impossible l’installation d’ascenseurs. C’est le cas des tours de cathédrales par exemple, en raison de leur exiguïté : en l’état actuel des technologies, il n’est pas envisageable de pouvoir y créer des ascenseurs. Mais quand cela paraît difficile, ce n’est peut-être pas complètement impossible. Par exemple, certains puristes disent que l’on ne va pas massacrer l’architecture de Soufflot au Panthéon pour faire un ascenseur; mais il y a dans ce monument des escaliers qui conduisent aux parties hautes et qui sont assez vastes, dans lesquels je considère que l’on peut installer un ascenseur. C’est également le cas pour le château d’Azay-le-Rideau, dans lequel je considère que l’on doit pouvoir aménager un ascenseur. »

Mais avec quelle méthode ? « Je demande aux architectes en chef qui sont chargés des campagnes de travaux de faire preuve d’imagination, reprend Philippe Bélaval. Parce qu’il ne me semble pas, en dehors des tours de cathédrales, qu’il y ait des problèmes insurmontables. Et je demande également au ministère de la Culture de nous aider pour les autorisations de travaux sur les monuments historiques, et lors des débats au sein de la commission nationale des monuments historiques. C’est aussi une question de volonté politique, à partir du moment où l’accessibilité est une priorité politique, il faut savoir faire les choix qui s’imposent, même s’ils paraissent aux yeux de certains malmener un peu les monuments. »

Et pour travailler, le Centre des Monuments Nationaux ne manque pas d’argent : outre les crédits d’État annuels de 30 millions d’euros affectés à la restauration et aux travaux, s’ajoute un fonds de roulement alimenté par les campagnes précédemment budgétées mais qui ont pris du retard, un total avoisinant également les 30 millions d’euros.

Effectivement, lorsque l’on revoit les prévisions de mise en accessibilité annoncée en novembre 2010, on constate que la plupart a pris un à deux ans de retard. Des retards qui sont dus à des complications architecturales et administratives lors de la préparation et de l’exécution des travaux. À cet égard, le CMN subit également les réticences des architectes des monuments historiques : « Dans un certain nombre de cas, je trouve que l’on manque de volontarisme, regrette Philippe Bélaval. Par exemple, pour la traversée de la barbacane du château comtal de la Cité de Carcassonne, il faudrait réaliser une allée adaptée aux visiteurs handicapés pour franchir un pavage particulièrement difficile : c’est là que certains conservateurs du patrimoine disent ‘vous n’y pensez pas, un pavage ancien’, etc. Eh bien justement, on y pense : il faut reprendre l’ensemble de ce dossier, c’est vrai, c’est un combat permanent. » Et Philippe Bélaval compte sur les nouvelles technologies pour pouvoir offrir aux personnes qui ne pourraient accéder à certains monuments des conditions d’approche extrêmement intéressantes : « Nous sommes associés à la conception d’un robot de visite restituant à une personne à mobilité réduite des images de l’intérieur d’un monument comme si elle y était. »

Les prochains « grands » monuments nationaux mis en accessibilité seront le château de Champs-sur-Marne, fin juin 2013, puis la villa Cavrois (Croix, Nord) à la fin de l’année pour une première tranche puis à l’été 2014 dans sa totalité. A Paris, le remplacement de l’ascenseur desservant actuellement l’Arc de Triomphe devrait permettre une mise en accessibilité, dans l’hypothèse où la traversée de la place de l’Étoile soit également rendue accessible. Une mise en accessibilité du château Azay-le-Rideau est projetée pour 2016 mais aucune décision n’est prise pour ce qui concerne le Mont-Saint-Michel, l’expérimentation de visite en Joëlette n’étant pas concluante.

Outre le CMN, qui dépend directement du ministère de la Culture, différents groupes de travail ont été mis en place au sein de la Réunion des Etablissements Culturels pour l’Accessibilité (RECA) pilotée par Universcience et qui regroupe 23 établissements et organismes publics. Elle résulte d’une mission confiée il y a tout juste 10 ans à la Cité des Sciences et de l’Industrie (CSI) de La Villette par le ministre de la Culture de l’époque, Jean-Jacques Aillagon. Il avait demandé à deux établissements culturels, la CSI et le futur musée du quai Branly, de créer des groupes de travail dans le cadre d’une mission Culture et handicap. « La mission a grossi, mais n’avait pas de cadre officiel de travail, précise Marie-Laure Las Vergnas, qui représente Universcience au sein de la RECA. On a donc signé des conventions entre la CSI, pilote de l’opération, et les différents participants entraînant la création de la RECA. Actuellement, les établissements participants sont tous basés en Ile-de-France, sauf le château de Chantilly qui est en région Picardie. Comme il s’agit d’un travail de terrain, il est important que l’on puisse se rencontrer physiquement. Cela nous permet de financer en commun la réalisation de projets. Nous avons également des échanges réguliers d’information sur l’emploi des travailleurs handicapés dans les établissements culturels, pour diffuser les bonnes pratiques. On accompagne les établissements dans la réalisation des diagnostics d’accessibilité et la mise en oeuvre des aménagements nécessaires. Un groupe de travail étudie les nouvelles technologies, dont les audios et visioguides, les outils téléchargeables. Globalement, on gagne du temps en ne recréant pas ce qui existe déjà et fonctionne bien. C’est un travail dans la durée, pas spectaculaire, avec beaucoup de transfert d’expérience. »

Si cela fait progresser l’Ile-de-France, il manque encore un véritable pilotage national. Certes, le ministère de la Culture a publié des guides pratiques pour l’accueil des publics handicapés, mais il n’existe toujours pas de dispositif de popularisation et de communication des réalisations de terrain. De même, la délégation ministérielle à l’Accessibilité n’entretient aucune relation de travail avec la RECA.

Fort heureusement, l’initiative commence à essaimer : la présence au sein de la RECA du château de Chantilly a entraîné la création d’un « cousin » en région Picardie, le réseau Vivre Ensemble qui regroupe une dizaine d’établissements culturels avec, là encore, la mutualisation de la réflexion et des moyens, et le soutien de relais associatifs. Dans les Bouches-du-Rhône, 13 en partage diffuse l’offre adaptée d’établissements culturels.

En matière de promotion et de communication des initiatives et des réalisations, la plate-forme web Ariane Info, actuellement fermée, est en cours de refonte afin de la simplifier et de l’intégrer au sein du portail du ministère de la culture, culture.fr. La RECA voudrait également réaliser une évaluation auprès des publics handicapés, afin de recueillir leurs ressentis : « Ces publics ne sont pas questionnés, ajoute Marie-Laure Las Vergnas. Nous avons lancé une enquête de terrain auprès des visiteurs déficients visuels, qui sera suivie d’une autre pour les personnes déficientes mentales, et ensuite les visiteurs sourds. » Demander leur avis aux usagers handicapés des établissements culturels et monuments nationaux : une idée si bonne et si simple !

Laurent Lejard, mars 2013.

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