Après Cotonou puis Lokossa, c’était le tour de Parakou, ville située à 450 km au nord de Cotonou, d’accueillir le Festival International du Théâtre et de Musique pour Personnes Handicapées (FITMHAND). Du 22 au 23 novembre 2013, dans la cour de l’Institut Français, les artistes handicapés ont fait des prestations qui ont émerveillé le public parakois. Au fond du podium, l’enseigne du festival présentant une personne en fauteuil roulant et une autre amputée de jambe, dessous le poster de la chanteuse Zouley Sangaré, décédée en février dernier. Un peu loin du podium, on pouvait lire sur une banderole : « Le handicap ne doit pas être un handicap » !

Au cours des deux soirées, l’Institut Français de Parakou est devenu trop exigu pour contenir les spectateurs venus de tous les horizons pour honorer la mémoire de Zouley Sangaré, chanteuse handicapée de renom fauchée prématurément par la mort. « Zouley de son vivant m’avait suggéré que la 3e édition du festival devrait se passer à Parakou, sa ville natale », a confié le promoteur du FITMHAND, Gaston Eguedji, à l’ouverture des festivités marquées par une minute de silence en la mémoire de l’illustre artiste. Il a fustigé l’absence des autorités municipales de la ville de Parakou, et a regretté le manque de soutien du Ministère de la Famille, des Affaires Sociales, des Handicapées et des Personnes du 3e âge. Et n’a pas manqué d’ajouter que « ceux qui doivent être à l’avant-garde pour l’intégration des personnes sont le plus souvent absents. » Contacté sur ce sujet, le ministère de la famille, à travers le Directeur de la Réadaptation et de l’intégration des Personnes handicapées, a soutenu ne pas avoir été informé de l’événement…

Exister parmi les autres.

Au nombre des artistes, citons le groupe de théâtre Glossomodo de la ville de Lokossa, la Compagnie Canicule du Centre de promotion des aveugles de Parakou, et huit autres musiciens handicapés moteurs ou visuels qui ont mis en haleine l’assistance. Mais l’apothéose est venue lors de la prestation inattendue du petit Simac, aveugle, âgé de huit ans, qui a chanté en hommage à Zouley et joué de la batterie devant un public ému et séduit. Deux autres orchestres qui accompagnaient Zouley de son vivant ont ajouté leur grain de sel au menu. Dans le public, on entendait scander : « Bisser, bisser, bisser, c’est formidable! »

L’émotion était palpable chez certains spectateurs qui n’ont jamais pensé aux qualités théâtrale et musicale de cette catégorie habituellement marginalisée dans la vie socio économique. « C’est la toute première fois que je participe, commentait par exemple Otis Newton, musicien et chanteur. J’ai entendu parler du festival il y a deux ans et je me suis demandé pourquoi je n’étais pas invité, alors que je suis dans le sillage artistique musical reconnu au plan national et international. Vraiment, j’ai aimé, tout en remerciant le promoteur qui a eu l’idée du festival pour personne handicapée: il faut que l’Etat le soutienne. »

Promoteur de ce FITMHAND, Gaston Eguedji argumente: « Ce festival est ma contribution pour aider mes amis, les handicapés. C’est pour régler un problème social, car quand je voyage et que je vois les personnes handicapées des autres pays, je me dis que rien n’est fait pour elles dans mon pays. Ce festival est créé pour dire ce qui ne va pas, c’est-à-dire l’intégration sociale et économique. Que le gouvernement mette les moyens ou non, cela se fera parce que je dis que lorsque vous n’avez pas la volonté, vous ne pouvez pas réussir. »

Gaston Eguedji n’a d’ailleurs pas hésité, dans son discours d’ouverture, à fustiger l’attitude des autorités: « Je me suis fâché contre les autorités communales qui sont absentes. Il y a deux mois qu’elles sont au courant, c’est inséré dans le programme de l’Institut Français. On pense que ce sont des personnes handicapées, qu’elles ne peuvent rien apporter de positif, or c’est un leurre. » Et il a son explication à l’absence de participants étrangers: « Les artistes étrangers invités cherchent là où le cachet est lourd, c’est ce qui explique probablement leur absence. »

Cette édition s’est donc tenue uniquement avec des artistes béninois, dont la chanteuse Miss Espoir : « C’est pas évident que ceux qui nous entourent soient sincères avec nous, ce sont des hypocrites ! tempête-t-elle. Ceux qui pensent qu’ils organisent des trucs pour nous, au fond ne sont pas sincères avec nous. Moi, je sais ce que les personnes handicapées endurent, et je ne veux pas qu’elles soient écrasées. Je veux que chaque personne handicapée se batte. Je ne me bats pas pour l’intégration de la personne handicapée, je me bats par rapport à moi. Si tu veux qu’on te respecte, lève-toi et bats-toi ! Je me bats pour qu’on me respecte. Je me bats pour qu’un jour un boulevard de mon pays porte mon nom ! » Excessive, Miss Espoir ? « Le concert a été très intéressant, j’ai beaucoup aimé et je crois que dans la vie, il ne faut pas baisser les bras, commente une spectatrice. Je pense que Miss Espoir a exprimé sa bataille de tous les jours pour la personne handicapée. Miss Espoir, par ce festival, a mis plusieurs choses en relief : les personnes handicapées qui ne veulent rien faire et qui se permettent de salir l’image des autres, de même que les autres qui se disent valides et qui ne veulent pas donner une place aux personnes handicapées sont tous condamnables. »

Autre artiste invité, le reggae man Ras Ouorou Baré apprécie: « C’est un honneur pour nous de prendre part à ce festival, qui valorise les personnes handicapées et qui rend un hommage mérité à notre consoeur, qui était avec nous à la dernière édition. Tous ces artistes ont démontré à la face du monde qu’en réalité, comme le disait Zouley, le handicap n’est pas une fatalité. Lorsqu’on donne une occasion aux personnes handicapées de se valoriser, eh bien elles arrivent à saisir cette opportunité pour redorer le blason qui leur permet de sortir de la discrimination. »

Discrimination qui n’est pas liée au niveau social, selon Yao Armand Somissou, président handicapé moteur du groupement Glossomodo: « Vous savez que quand une personne handicapée fait l’effort d’étudier jusqu’au supérieur et a un parchemin bien rempli, on la considère comme un être improductif. Si nous avons les mêmes diplômes que les autres, nous devons participer au développement de notre pays au même titre. » C’est ce qu’il apprécie dans ce festival: « Je félicite le promoteur. Depuis longtemps, je n’ai vu quelqu’un non handicapé et qui se bat pour faire connaitre nos capacités artistiques. La situation d’exclusion dépend en partie aussi des personnes handicapées, car si on se plait dans la mendicité, dans la paresse, dans l’oisiveté, nous donnons raison aux autres ignorants. Il faut que les personnes handicapées aient le courage d’affronter les obstacles liés à leur handicap ».

Quel avenir pour le FITMHAND ?

Quelques personnalités ont fait le voyage de Parakou, dont le Directeur du Ballet National du Bénin, Marcel Zounon: « Mes impressions sont très bonnes, explique-t-il, parce que ce festival depuis trois ans a survécu. C’est un festival inédit et à l’intérieur de ce festival, il y a des gens de bonne foi qui portent un handicap. Il vient donner confiance à ceux qui vivent un handicap et qui veulent réussir dans la vie sur le plan artistique. »

Et d’ajouter : « Je donne mon soutien total pour la consolidation de ce festival au promoteur. Je crois qu’il a trouvé juste la thématique qu’il fallait pour révéler des talents, faire promouvoir ceux qui portent un handicap. Aujourd’hui en Europe, les places sont réservées aux personnes handicapées, même la sécurité sociale, car elles ont des avantages qui leur permettent d’oublier leur handicap et de vivre leur vie. Je pense que ce festival doit être orienté vers la prise de conscience des autorités qui doivent davantage réserver des conditions favorables à toute personne qui vit avec un handicap. »

Que disent les autorités ? « Qui peut dire ce que l’humanité a perdu en mettant à l’écart certaines personnes handicapées, s’interroge Michel Nouan, Directeur de cabinet du ministère de la Culture, de l’artisanat et du tourisme. Il faut qu’on s’en rende compte, quoi qu’on pense, quoi qu’on dise, les personnes handicapées restent marginalisées dans notre société et il faut penser une approche de sensibilisation pour qu’on puisse se rendre compte de ce qu’on a pu détruire en se comportant de cette façon. Qui dans ce pays n’a pas écouté la musique de Zouley Sangaré en se décollant de la terre, par sa voix hors pair qu’elle a pu mettre en valeur ? Voilà ce que nous souhaitons pour les personnes handicapées. »

Globalement, les participants à ce festival savent que chacun d’entre nous à un handicap quelque part, que « le handicap ne doit pas être un handicap », que le problème de la marginalisation des personnes handicapées est réel au Bénin, que chacun doit en prendre conscience afin que la voix des personnes handicapées soit entendue par les autorités. C’est sur cette note de satisfaction générale et de découverte pour certains que la troisième édition du FITMHAND a pris fin aux environs de deux heures du matin… Rendez vous est pris pour la quatrième édition !


Nassirou Domingo, janvier 2014.

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