Fréquemment dans l’actualité ces derniers mois, Nantes vaut bien mieux qu’une guerre au long cours autour de la création d’une nouvelle zone aéroportuaire… Capitale de la Bretagne lors de sa période ducale, durant le XVe siècle, elle fut un important port du commerce triangulaire, traite négrière qui aux XVIIIe et XIXe siècles fit la fortune de négociants et armateurs dont subsistent de majestueux immeubles bourgeois sur la rive droite de la Loire. Construits sur des terrains meubles, ils sont aujourd’hui affaissés, déformés, semblant parfois à la limite de l’effondrement ! Pour alimenter ce commerce très lucratif, une industrie de construction navale s’établit sur une vaste île de Loire, qui perdura jusqu’aux années 1980 et laisse encore de vastes friches en cours de reconquête.

Pour aborder une ville dont le patrimoine a souffert à la fois des guerres et des crises économiques, une première visite s’impose au musée d’histoire de Nantes, installé au Château des Ducs de Bretagne. Jadis en bord de fleuve, il en est maintenant éloigné d’un bon kilomètre depuis l’assèchement des bras de Loire d’une cité qualifiée jusqu’aux années 1930 de « Venise de l’ouest ». Fondé en 1207 sur des vestiges de remparts gallo-romains dont une partie subsiste dans les sous-sols, puis agrandi, le château acquiert sa forme actuelle à la fin du XVe siècle : fortification moyenâgeuse et raffinement gothique flamboyant de la cour et des logis. Rouvert au public en 2007 après une importante rénovation incluant une mise en accessibilité récompensée par de multiples trophées, la plus grande partie de ses espaces est parcourable en fauteuil roulant, portion de remparts comprise.

Au fil de la visite des 28 salles accessibles (sur 32), on découvre la fondation de la ville, son évolution au Moyen-Âge, le commerce triangulaire, la Révolution, la période industrielle, la traite clandestine après 1848, l’activité de port de pêche et l’industrie agroalimentaire, etc. Ces visites sont accompagnées d’un audioguide sur smartphone comportant l’audiodescription d’objets, de supports tactiles ou en français facile à lire et à comprendre, d’un visioguide en Langue des Signes Française, avec prêt de fauteuil roulant ou de sièges pliants. Une nouvelle salle d’accueil du public doit prochainement améliorer encore l’accès des publics handicapés, qui ne peuvent néanmoins échapper à quelques dizaines de mètres d’épouvantables pavés (XXe siècle) couvrant le pont de franchissement des douves… D’autres améliorations sont envisagées, telle la réfection du sol de la cour qui se dégrade aux intempéries jadis chantées par Barbara, mais l’accessibilité au restaurant demeurera limitée à un recoin en rez-de-chaussée, l’Architecte des Bâtiments de France n’en voulait d’ailleurs pas dans l’enceinte du château. De même, le réalisateur des films présentant la construction du château et la vie d’Anne de Bretagne a refusé leur sous-titrage « pour des raisons esthétiques »… Les visiteurs sourds signants pourront toutefois les apprécier, un écran latéral diffusant une interprétation en LSF. Avant de quitter les lieux, jetez un oeil sur le bâtiment de style gothique opposé à l’entrée, qui abrite des bureaux et ne se visite pas : c’est le Petit Gouvernement, le roi Henri IV y signa, le 30 avril 1598, le célèbre Edit de Nantes accordant aux protestants la liberté de pratiquer leur culte.

A 200 mètres de là, la cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul est un autre témoignage du gothique des années 1430 pour ce qui concerne le grand portail qui comporte une rareté : son angle de droite est orné d’une chaire sur laquelle l’évêque prêchait en plein-air ! Construite en granit et tuffeau, la construction de l’édifice a en fait duré plusieurs siècles, jusqu’en… 1891 pour l’achèvement du choeur tout en maintenant une belle unité de style. Elle abrite notamment le tombeau en marbre du duc François II et sa femme Marguerite de Foix, pillé à la Révolution, qui va très prochainement être restauré.

passage Pommeraye

En redescendant par la rue de Verdun, on découvre quelques maisons à pans de bois rescapées des incendies et destructions. Près de la place du Change, l’église Sainte Croix en baroque français apparait étrangement rehaussée d’un beffroi… Affluent de la Loire, L’Erdre passe tout près, mais sous la chaussée du cours des 50 otages, une fontaine allégorique érigée au XIXe siècle la rappelle sur la place royale. A proximité, le passage Pommeraye est l’un des emblèmes de la ville, plusieurs fois magnifié par Jacques Demy dans ses films. Récemment restauré, il a retrouvé la clarté de ses verrières et sculptures, la splendeur de ses escaliers, l’élégance de son décor, une folie bâtie en 1843 par un notaire grâce à la dot de son épouse qu’il ruina ! Il faut prendre le temps d’admirer les colonnes en fonte, les bois, stucs, statues allégoriques, et une horloge marquant le jour et la nuit. Une extension latérale récente du niveau intermédiaire est desservie par ascenseur, ce qui donne aux visiteurs handicapés moteurs la possibilité d’accéder désormais aux trois niveaux du passage.

Un peu plus bas, la place Graslin, débarrassée de la circulation automobile, déploie une autre élégance, celle de la fin du XVIIIe siècle. En forme de demi-lune, son côté rectiligne est fermé par le théâtre Graslin, désormais dévolu aux concerts classiques et à l’opéra, dont quelques-uns sont chaque année représentés avec audiodescription. Face au théâtre, la brasserie La cigale, ouverte en 1895, est un incontournable local avec son style éclectique annonciateur de l’Art Nouveau, et un décor évoquant divers aspects de l’histoire de Nantes. Terminons cette visite du coeur de ville par la place du Commerce, établie sur le comblement d’un bras de Loire, dont la Bourse du XVIIIe siècle est devenue le temple.

En revenant vers le château des Ducs apparaît, de l’autre côté des voies de chemins de fer, l’étonnante tour LU, l’une des deux qui surmontait l’usine de biscuits Lefèvre-Utile. Devenue Lieu Unique, elle a été transformée en établissement culturel proposant des expositions d’art contemporain, spectacles de tous genres (dont quelques-uns avec audiodescription), librairie, disquaire, hammam, crèche, bar restaurant, ateliers artistiques, salon de musique… L’offre adaptée aux personnes handicapées concerne les spectacles, expositions, visites, une diversité rare dans un lieu éclectique dont la vue panoramique depuis la tour est actuellement impossible pour cause de travaux, mais l’ascenseur en serait, paraît-il, accessible…

Autre théâtre nantais attentif aux publics handicapés, Le Grand T est excentré tout en restant atteignable par bus (les tramways sont accessibles de même que la plupart des lignes de bus). L’accès des spectateurs en fauteuil roulant s’effectue par l’extérieur de la salle, les places offrent une parfaite visibilité depuis l’allée centrale, une partie des spectacles est adaptée aux personnes déficientes sensorielles.

Carrousel des mondes marins et Éléphant

Retour en ville : un cheminement marqué en vert sur le sol relie les principaux sites touristiques et bâtiments d’intérêt, par exemple sur l’Ile de Nantes, anciennes friches industrielles et chantiers navals en cours de reconversion en quartier de la création. A l’angle de l’école d’architecture, l’Absence café témoigne de la convivialité sans compromis recherchée par les concepteurs, un petit estaminet installé dans une indéfinissable coque en fibre de verre bleu cyan. Les amateurs de panorama apprécieront la vue depuis le toit l’école d’architecture, conçu pour être une place publique… à condition de trouver l’ascenseur qui le dessert. A quelques dizaines de mètres, l’immeuble Manny attire le regard avec son habillage de lames d’aluminium blanches évoquant le mammouth du film L’âge de glace. Ce magasin de design est traversé par un passage piéton sonorisé conçu par le Berlinois Rolf Julius : il diffuse un cliquetis métallique. Plus loin, un immense mètre ruban conçu par Lilian Bourgeat parcourt la cour d’un immeuble de bureaux, un jardin de schistes et plantes de friches traversé de rails et poutres invoquant la mémoire des chantiers navals nantais. Proches, les immenses bâtiments Alsthom sont en cours de transformation pour recevoir l’an prochain l’école supérieure des Beaux-Arts. Ici, l’architecture contemporaine déploie son langage dans toutes ses dimensions et expérimentations, telle la cabane canadienne installée en bord de Loire, près du sévère palais de Justice construit par Jean Nouvel. Cette démarche de restructuration et revitalisation urbaine par l’art contemporain, assez rare en France, est initiée par Jean Blaise (créateur des Allumés, d’Estuaire et du Voyage à Nantes) qui a su entrainer la municipalité dans cette aventure : son action de développement touristique et culturel résulte du rassemblement des directions culture et tourisme, un service occupant 250 personnes. Le voyage à Nantes est même devenu l’appellation de l’Office de Tourisme qui propose en outre des informations pour les visiteurs handicapés.

En poursuivant sur l’île, on arrive à la seconde attraction nantaise, les Machines de l’Île. Que dire de l’enchantement qui saisit petits et grands face aux étonnantes créatures mécaniques offertes à leurs mains et leurs yeux ? Un parcours dans le Grand éléphant vous tente ? Il est accessible à tous, avec réservation conseillée pour choisir son parcours et être sûr d’avoir une place si on est en fauteuil roulant, un seul étant accepté par voyage. Embarquement également possible dans le Carrousel des Mondes Marins, dont les trois étages sont desservis par un ascenseur : deux engins sont accessibles en restant sur son fauteuil roulant (remorqueur et sulky des mers), les autres nécessitant un transfert voire quelques contorsions… Selon les jours, il fonctionne en tours de manèges ou visite commentée.

Une galerie et un atelier ouverts au public proposent de découvrir d’autres créations (araignée, fourmi de voyage, chenille arpenteuse, fourmi porteuse, etc.), toujours dans un univers de théâtre de rue accommodé d’une sauce mécano-artistique inspirée des créations imaginaires de Jules Verne et Leonard de Vinci. Les Machines de l’Ile préparent un gigantesque projet pour les années 2020, dont une branche (malheureusement inaccessible) est déjà réalisée, l’Arbre aux hérons. Créée en 2013, la mission accessibilité a élaboré une organisation et des supports de visite adaptés, incluant un accès prioritaire aux personnes handicapées, un tarif réduit avec gratuité pour un accompagnateur, des toilettes aménagées disséminées sur le site, des ascenseurs sonorisés, un livret d’accueil en braille, relief et grands caractères, un prêt de fauteuil, de chaise pliante, de casque anti-bruit ou de bouchons d’oreille, des maquettes à toucher, une médiation adaptée, une boucle magnétique au pôle image à l’étage de la galerie et au carrousel… Une médiatrice machiniste est même formée à la LSF, les chiens-guides ou d’assistance sont acceptés.

On peut revenir sur la rive droite de Nantes en longeant le bord du fleuve, grâce à une agréable promenade piétonne aisément circulable. Une curiosité permet de franchir la Loire : la hauteur de la passerelle Victor Schoelcher suit celle de la marée, rendant en fonction de son niveau son franchissement impossible sans aide pour les piétons en fauteuil roulant. D’un coup de Navibus, accessible avec aide, le visiteur quitte l’ambiance urbaine pour la quiétude d’un village, celui de Trentemoult. Bâti sur d’anciens bancs de sable, on dit de ses habitants qu’il ont une mentalité d’iliens, les maisons rénovées de couleurs vives attirent l’oeil. Interdites à l’époque, elles résultent d’une volonté de s’affranchir du côte absurde de l’autorité et se sont finalement imposées, créant par leur accumulation un effet fascinant, rendant agréable la déambulation par les petites rues. Sur le quai, une maison commerce à l’enseigne « Au confort moderne » surprend : c’est le décor d’un film tourné ici il y a 25 ans et qui marque encore les « iliens » qui y ont participé, La reine blanche. Au loin, en aval, le pont de Cheviré et le port de commerce ouvrent sur la nouvelle réalité industrielle de Nantes, qui a quitté la ville pour s’étendre vers l’estuaire jusqu’à Saint-Nazaire, mais c’est un autre voyage…

Laurent Lejard, juin 2016.

Partagez !