Le préjudice moral des victimes par ricochet, notamment les enfants et petits-enfants, fait l’objet d’indemnisations dans le cadre de la réparation du préjudice corporel, dont le montant est faible au regard des souffrances qui vont pénaliser souvent toute leur vie. Deux décisions importantes ont restreint le droit à indemnisation de ces victimes par ricochet lorsqu’elles ne sont pas nées avant l’accident qui a provoqué le dommage de la victime principale. Leur droit à réparation sera purement et simplement rejeté par les tribunaux. Deux exemples récents :
I – Trois enfants nés postérieurement à l’accident de la circulation intervenu en 1974 à la suite duquel leur père avait conservé un handicap, ont saisi la justice d’une demande en réparation de leur préjudice moral, dans le cadre de la loi du 5 juillet 1985 (loi Badinter). Ils estimaient « n’avoir jamais pu établir des relations ludiques et affectives normales avec leur père dont ils vivaient au quotidien la souffrance du fait de son handicap ». La Cour d’Appel de Riom (63) avait retenu le bien-fondé du préjudice moral des trois enfants et avait condamné la compagnie d’assurances du responsable de l’accident de leur père à réparer ce préjudice aux motifs que « le handicap de Monsieur X a empêché ses enfants de partager avec lui les joies normales de la vie quotidienne ». Pourtant la Cour de Cassation, dans un arrêt de février 2005, retient une motivation lapidaire pour casser cet arrêt au seul motif « qu’il n’existait pas de lien de causalité entre l’accident et le préjudice allégué ». Cependant le préjudice moral des enfants découlait bien du handicap de leur père, qui était consécutif à l’accident de la circulation. La compagnie d’assurances soutenait que les enfants n’étaient pas nés lors de l’accident et que par conséquent leurs actions n’étaient pas recevables. Certes, mais les enfants subissaient un préjudice actuel découlant directement de l’accident de la circulation qui avait causé un handicap à leur père. Il faut tout de même relever qu’il n’était pas « interdit » à leur père d’avoir des enfants et que, dès lors, ces derniers étaient en droit de demander réparation de leur dommage actuel au responsable de l’accident, sans la faute duquel le handicap n’aurait jamais existé.
II – Un arrêt de la Cour d’Appel de Papeete (Polynésie) de février 2006 a également rejeté la demande de dommages et intérêts de petits-enfants nés après l’accident de la circulation ayant entraîné la mort de leur grand père aux motifs « qu’ils n’avaient pas connu leur grand père, ce qui exclut les enfants nés après son décès, ces enfants n’ayant pas pu développer de relations affectives avec le défunt ». Cependant, ces petits-enfants n’ayant pas connu leur grand-père, n’ont pas pu connaître ce lien affectif exceptionnel qui existe entre les petits-enfants et les grands-parents, du fait de l’accident mortel de leur grand-père. Ce lien affectif est un droit qui n’a pas pu exister uniquement en raison du décès du grand-père causé par l’accident de la circulation.
A une époque où l’on considère que les relations familiales et affectives sont essentielles pour le développement de la personnalité (alors qu’elles tendent à disparaître), il faudrait reconnaître le préjudice moral des enfants et petits-enfants – préjudice actuel – lorsque ceux-ci sont des victimes par ricochet nées après le décès de leur proche et ce sans minimiser leurs souffrances vécues.
Catherine Meimon Nisembaum, avocate au Barreau, octobre 2006.