En une fin de journée d’octobre 1998, en pleine agglomération, se produit sur la voie publique un accident peu banal : un jeune homme en état d’ébriété, âgé d’une trentaine d’années, circule à bicyclette sur la chaussée, à contre sens de la circulation, et de surcroît en zigzaguant. Il fait un écart et entre en collision avec un véhicule qui le projette à plusieurs mètres. En retombant, il est percuté par un autre véhicule qui lui roule sur le corps. Compte tenu des circonstances de l’accident, le préjudice corporel est grave : les lésions de la victime relèvent d’un traumatisme crânien sévère.
Ce jeune homme se trouvait bien esseulé, lorsque un avocat fit sa connaissance à la fin de l’année 2000. Il décida de saisir le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Paris pour solliciter une provision et la désignation d’un médecin expert. Malgré la contestation des défendeurs (les conducteurs et leurs compagnies d’assurances), il obtint une première provision de 25.000€ et la désignation d’un médecin en qualité d’expert judiciaire. Ce dernier rencontra plusieurs fois les parties, la victime étant assistée par son médecin et son avocat. L’expert conclut notamment à un taux de déficit fonctionnel permanent de 70 %, et que pour la tierce personne, il convenait de retenir un placement en long séjour médicalisé. Il précisa qu’avant l’accident la victime était inapte à exercer une profession, et que le rapport des souffrances endurées était de 6/7.
L’avocat saisit alors le Tribunal de Grande Instance de Paris pour solliciter la liquidation du dommage corporel de son client. Il conclut devant cette juridiction que son client n’avait pas engagé sa responsabilité dans l’accident, alors que, tout au contraire, les défendeurs soutenaient que la victime avait commis une faute inexcusable, qui excluait tout droit à réparation. Par jugement en mai 2005, le Tribunal de Paris retenait l’entière responsabilité de la victime en raison d’une « faute volontaire d’une exceptionnelle gravité », qui était « la cause exclusive de l’accident ».
L’avocat conseilla alors au tuteur d’État, qui représentait son client, d’interjeter appel de ce jugement qui, selon lui, était discutable. Il faut préciser, à ce stade du récit, que ce dossier était délicat sur le plan de l’évaluation du dommage corporel. En effet, avant l’accident, la victime était porteuse d’une hépatite C, toxicomane, ancien ouvrier percevant le RMI, et vivant dans un foyer Sonacotra… Aussi, les conclusions de l’avocat ont-elles été particulièrement étudiées et discutées, puisque les défendeurs contestaient l’existence de la majorité des chefs de demande. En effet, il fallait démontrer notamment que l’état antérieur de la victime lui permettait de vivre, et qu’en tout état de cause on ne pouvait assimiler son existence antérieure à celle d’un traumatisé crânien grave. Que, de même, un foyer Sonacotra ne pouvait être assimilé à un établissement assurant les besoins en tierce personne d’un traumatisé crânien grave. Les défendeurs contestaient l’intégralité des frais d’hébergement en établissement de long séjour médicalisé au titre de la tierce personne.
Devant la Cour d’Appel de Paris comme devant le Tribunal, un grand nombre de conclusions furent échangées entre les parties, puis l’affaire est venue pour plaidoiries devant la 17e chambre de la Cour d’Appel de Paris et a fait l’objet de deux plaidoiries et de deux arrêts, en février et mai 2007. Dans un premier temps, par un arrêt de février 2007, la 17e chambre de la Cour d’Appel de Paris a estimé que la victime avait droit à l’indemnisation de son entier préjudice, et la Cour infirma le jugement querellé. Celle-ci renvoya les parties à une deuxième audience de plaidoiries, et par arrêt de mai 2007 sur l’évaluation du dommage de la victime, condamna les défendeurs, notamment au versement d’un capital de 393.000€ et au paiement, sur justificatifs et au fur et à mesure qu’ils seront exposés, des frais de séjour dans un établissement privé, pour un montant capitalisé de 2.000.000€.
Ces décisions ont permis à une victime atteinte de lésions neurologiques graves d’obtenir une légitime indemnisation assurant ainsi, et son avenir et sa sécurité. Elle n’a hélas jamais pu retenir ni le visage ni le nom de son avocat, pas plus qu’elle n’a compris la procédure judiciaire… Heureusement, le tuteur d’État a permis à l’avocat de mener à son terme cette procédure.
Il existe des combats plus ou moins impersonnels, mais il est toujours essentiel de défendre jusqu’au bout les droits de personnes qui sont atteintes d’un handicap et qui n’ont pas la possibilité de se défendre. Une fois encore, cette procédure n’a été possible que grâce à nos lois, à la compétence de nos juridictions et à l’entente du représentant légal de la victime et de son conseil. L’avocat a finalement reçu de la victime une lettre de remerciements qui l’a profondément touché…
Catherine Meimon Nisenbaum, avocate au Barreau, mai 2008.