Catherine Meimon Nisenbaum, avocate à la Cour, spécialisée dans l'indemnisation du préjudice corporel.

En 2004, une intervention chirurgicale pour une hernie discale a été pratiquée sur un homme d’une cinquantaine d’années. Le patient avait donné son accord pour cette intervention et avait signé une déclaration de consentement qui faisait état notamment de « complications y compris vitales », sans les nommer. A son réveil était constatée une paraplégie complète sensitivo-motrice des membres inférieurs.

Le patient et ses ayants droit assignaient alors le chirurgien, ainsi que l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) devant le Tribunal de Grande Instance de Marseille, pour obtenir réparation de leurs préjudices.

Une expertise judiciaire était ordonnée. Il résultait notamment du rapport d’expertise judiciaire que la paraplégie post opératoire immédiate était en relation directe et certaine avec l’acte chirurgical et que la responsabilité du chirurgien n’était pas engagée puisqu’il n’avait commis aucune faute.

Par jugement en date du 22 mars 2007 du Tribunal de Grande Instance de Marseille, le chirurgien était mis hors de cause, et l’ONIAM était tenu à indemniser le patient de son préjudice corporel au titre de la solidarité nationale, en application de l’article 1142-2 II du Code de la Santé Publique.

L’ONIAM interjetait appel de ce jugement devant la 10ème Chambre de la Cour d’Appel d’Aix en Provence, qui par arrêt en date du 10 septembre 2008 infirmait le jugement uniquement en ce qu’il avait mis hors de cause le chirurgien. Statuant à nouveau, la Cour considérait qu’aucune faute dans l’exécution du geste médical n’était imputable au chirurgien et que sa responsabilité n’était pas engagée, mais que celui-ci avait en revanche manqué à son devoir d’information. Elle le condamnait, ainsi que sa compagnie d’assurances, à réparer la perte de chance du patient évaluée à 80% des préjudices résultant de l’intervention chirurgicale incriminée, et à indemniser intégralement le préjudice de ses proches.

La demande de prise en charge du complément de l’indemnisation par l’ONIAM était rejetée entraînant ainsi le rejet de la réparation intégrale du préjudice corporel du patient.

La Cour d’Appel d’Aix en Provence jugeait comme suit :

« Aucun élément médical ne permet de retenir que l’état du patient justifiait la rapidité ou l’urgence de cette intervention, alors qu’une telle intervention suppose, de l’avis de l’expert, que le patient soit clairement informé des différentes techniques opératoires, des risques de chacune et du risque d’aggravation de son état en cas de refus d’opération, afin de permettre au patient toute latitude du choix »
« Attendu que force est d’admettre qu’en étant privé d’une telle réflexion, Monsieur X a été privé d’un choix raisonné et conscient de refuser l’intervention proposée et donc d’éviter le risque de voir se réaliser le dommage irréversible dont il souffre et que sa pathologie initiale ne permettait pas de considérer comme une fatalité à court, moyen ou même long terme selon l’expert (page 21 du rapport d’expertise »
« Attendu que par conséquent en privant Monsieur X de consentir d’une façon éclairée à l’intervention, Monsieur le Docteur Y a manqué à son obligation d’information et que ce manquement est constitutif d’une faute qui engage sa responsabilité »
« Attendu que la responsabilité de Monsieur Y étant engagée pour avoir privé Monsieur X de la perte de chance caractérisée ci-dessus notamment celle d’échapper à une infirmité, la réparation des dommages résultant de cette perte de chance est évaluée à 80% des conséquences dommageables de l’opération, étant précisé que la Cour n’a aucune certitude que le patient même correctement informé aurait renoncé à l’opération »

L’arrêt de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence sur le défaut d’information est parfaitement motivé. En effet, correctement informé, le patient aurait pu renoncer à l’opération et éviter ce terrible dommage corporel.

Cependant, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence indemnise à hauteur de 80 % le préjudice corporel du patient sur le fondement de la perte de chance, et refuse d’indemniser le surplus, laissant ainsi 20 % du préjudice non réparé.

Le chirurgien et sa compagnie d’assurances présenteront alors un recours devant la Cour de Cassation à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, estimant notamment que le défaut d’information n’était pas établi et qu’il n’existait aucune relation causale entre la faute d’information et le consentement de la victime.

La Cour de Cassation a rejeté le pourvoi et a considéré, notamment, que la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence « en privant Monsieur X de la faculté de consentir d’une façon éclairée à l’intervention, Monsieur Y avait manqué à son devoir d’information, qu’elle en a déduit qu’il avait ainsi privé le patient d’une chance d’échapper à une infirmité, justifiant ainsi légalement sa décision ».

La Cour de Cassation a par ailleurs cassé l’arrêt de la Cour d’Appel, considérant que dans ce cas, le principe de subsidiarité de l’ONIAM ne s’appliquait pas, et que l’ONIAM ne pouvait pas être mis hors de cause, et a statué comme suit :

« Alors que l’indemnité allouée à Monsieur X avait pour objet de réparer le préjudice né d’une perte de chance d’éviter l’accident médical litigieux, accident dont la survenance n’était pas imputable à une faute de Monsieur Y à l’encontre duquel avait été exclusivement retenu un manquement à son devoir d’information, la Cour d’Appel a violé les textes susvisés »

La Cour de Cassation, par une décision qui rappelle une fois encore le principe de la réparation intégrale du préjudice corporel de la victime, retient la mise en cause pour partie de l’ONIAM. Le dommage corporel du patient sera réparé à 100% dans le cas d’un acte médical non fautif, mais résultant d’un défaut d’information du médecin.

Il s’agit d’une décision remarquable qui réduit le domaine de la subsidiarité de la loi du 4 mars 2002 et qui retient une meilleure indemnisation des victimes.

Catherine Meimon Nisenbaum,
Nicolas Meimon Nisenbaum,
avocats à la Cour,
juin 2010.

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