Le rapport d’octobre 2011 de la mission parlementaire d’information relative à l’analyse des causes des accidents de la circulation et à la prévention routière précise que chaque année plus de 4.000 personnes perdent la vie au cours d’un accident de la circulation, tandis que près de 100.000 personnes sont blessées (dont 31.000 hospitalisées) et 4.000 restent atteintes d’un handicap.
Dans le cadre de la loi Badinter du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation, objet de cet article, une procédure amiable est proposée immédiatement à la victime. Ainsi, les régleurs que sont les compagnies d’assurances, les mutuelles ou le Fonds de Garantie des Assurances Obligatoires de Dommages (FGAO) proposent à la victime de rencontrer un médecin expert, qui est en réalité le médecin mandaté par le régleur et qui représente ses seuls intérêts. A l’issue de cette expertise, les régleurs évaluent seuls l’indemnisation de la victime et font une offre définitive. Si la victime l’accepte, elle ne dispose plus que de 15 jours pour se rétracter, passé ce délai il lui sera très difficile voire presque impossible de contester ultérieurement cette transaction, même si celle-ci est mauvaise : elle se retrouve alors victime une deuxième fois.
Le législateur a donc préféré privilégier la procédure amiable, considérant ainsi que la victime serait globalement indemnisée plus rapidement. Certes, mais le montant des indemnisations dans le cadre de la procédure amiable n’est pas favorable à la victime, car elle est en général dépourvue de toute assistance, elle est seule, sans avoir à ses côtés un avocat spécialisé et un médecin-conseil de victimes pour valablement discuter de ses droits. Pour s’en convaincre, on précisera que la procédure amiable en matière d’accident de la circulation est la règle, puisque les transactions représentent 95% des dossiers de dommages corporels. Cependant, il faut garder à l’esprit que les 5 % de dossiers traités par la Justice représentent 45 % des indemnités payées.
Pour les petits dommages corporels, la procédure d’indemnisation amiable, avec ou sans assistance d’un avocat et d’un médecin, peut se comprendre. Il est en effet souvent inutile d’exposer des frais supplémentaires qui ne sont pas toujours pris en charge, de ralentir le processus indemnitaire, pour finalement obtenir une faible indemnisation car le dommage corporel est faible. Tel n’est pas le cas des dommages corporels plus importants, ceux qui d’une certaine manière peuvent modifier votre avenir, notamment votre vie professionnelle, votre autonomie ou votre mode de vie.
Pourtant, le plus grand nombre de victimes de dommages corporels graves se retrouve en matière d’accident de la circulation. Or, dès qu’un accident bouleverse l’avenir d’une victime, celle-ci devrait toujours être défendue par un avocat spécialisé avec l’assistance d’un médecin-conseil de victimes. Il en est de même dès que le dommage corporel est important, qu’il soit la conséquence d’un accident de la circulation ou de toute autre nature tels que notamment : les infractions, les infections nosocomiales, les affections iatrogènes, l’aléa thérapeutique, la responsabilité médicale, les accidents du travail, la responsabilité du fait des choses, les accidents sportifs, les victimes de l’amiante, les victimes d’attentats.
A l’évidence, on ne peut comprendre seul ce que l’on ne connaît pas, et donc se défendre seul. En effet, l’indemnisation d’un dommage corporel se réalise généralement en deux temps : en premier lieu, la mise en place d’une expertise médicale (à laquelle peut être associée une expertise pour le logement adapté, le véhicule aménagé, les aides techniques) et par la suite, l’indemnisation des chefs de préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux. Ces deux phases peuvent être amiables (les parties s’accordent ensemble sans l’intervention de la justice) ou judiciaires (avec l’intervention de la justice lors d’un procès). Lorsqu’un avocat représente une victime lors de la procédure amiable, il fait intervenir un médecin-conseil de victimes et assiste également son client lors de l’expertise amiable. Si l’expertise amiable reflète la totalité des préjudices de son client, l’avocat l’accepte, à défaut il saisit la justice afin de solliciter la désignation d’un expert judicaire. Après l’expertise amiable, l’avocat entame une discussion avec les régleurs afin de parvenir à un accord, mais à défaut de pouvoir s’entendre, il saisira immédiatement la justice afin de faire valoir les droits de son client et sollicitera devant le Tribunal une indemnisation définitive.
L’avocat décide avec la victime ou son représentant légal s’il faut transiger ou au contraire saisir la Justice pour obtenir une meilleure indemnisation. Une victime ne peut seule faire ce choix, elle ne peut seule faire ce parcours indemnitaire amiable, car on ne s’improvise ni avocat, ni médecin. Elle ne peut d’ailleurs faire aucun choix car elle ne connaît pas la matière et se retrouve seule face aux compagnies d’assurances, aux mutuelles, au FGAO, tous de grands professionnels qui connaissent parfaitement le droit de la réparation du dommage corporel et qui sont au surplus assistés par des avocats spécialisés et par leurs médecins d’assurances. La victime a donc besoin d’être assistée par un avocat spécialisé et par un médecin-conseil de victimes dans le cadre de la procédure amiable, pour équilibrer les plateaux de la balance de la Justice.
Au début de la procédure, la loi demande à la victime de renseigner le régleur et de lui communiquer un certain nombre de données (état civil, activité professionnelle, montant des revenus, adresse de l’employeur, personnes à charge, numéro de sécurité sociale et tiers payeurs, certificats médicaux), qui permettent au régleur de faire une offre, en général provisionnelle, à la victime et de mettre en place une expertise médicale amiable (parfois domotique) pour l’évaluation de son dommage corporel. Cependant, il ne faut pas omettre que la victime, sa famille, ses proches sont sous le choc. Pour eux cette prise en charge est essentielle, car souvent ils n’ont jamais eu affaire à un avocat, du moins spécialisé en réparation du dommage corporel. La victime connaît l’avocat qui a pu s’occuper de son divorce, de son licenciement, mais elle ne connaît nullement l’existence d’avocats spécialisés ou de médecin-conseil de victimes.
Sans assistance, la victime et sa famille sont prises en charge dès le début par le régleur, à qui elles communiquent des renseignements et des pièces et qui leur propose la mise en place d’une expertise amiable et souvent une provision. La victime se sent donc en confiance, c’est pourquoi elle ne prend aucune assistance et ne comprend pas que dans le cadre de l’expertise amiable, le médecin qui la convoque est en réalité payé par le régleur, le même qui doit ensuite l’indemniser. En effet, le médecin d’assurances reçoit sa mission de son mandant et ils discutent ensemble du dossier. Par la suite, ce médecin d’assurances adressera tous ses rapports d’expertises provisoires puis définitifs, lors de la consolidation, uniquement et directement à son mandant : le régleur.
Nombreuses sont les victimes qui nous déclarent qu’elles n’avaient pas compris que les médecins d’assurances dont elles contestaient, mais souvent trop tard, les rapports, étaient payés par la compagnie d’assurances, la mutuelle ou le FGAO. Pour une parfaite information des victimes, il devrait leur être dit immédiatement que tous les médecins d’assurances sont rémunérés par la compagnie d’assurances, la mutuelle ou le FGAO, qui les mandatent et à qui ils rendent compte. C’est pourquoi les principes du contradictoire et de la transparence sont plus que nécessaires, ils sont indispensables. On ne peut se faire expertiser et évaluer par celui qui vous indemnise. Les victimes doivent être mieux informées.
Les régleurs ne souhaiteraient certainement pas que les victimes soient évaluées par leur seul médecin-conseil de victimes. Alors pourquoi ne pas être plus clair avec les victimes, qui sont des personnes vulnérables et non des professionnels avisés. La victime a donc le plus grand intérêt à équilibrer la balance de la Justice et à se faire défendre par un avocat spécialisé, assisté d’un médecin-conseil de victimes qui collabore en général avec l’avocat spécialisé, pour ne pas être seule à l’expertise médicale et/ou domotique en présence du seul médecin d’assurances parfois assisté du régleur. Ainsi, dès le début du processus amiable d’indemnisation, les dés sont pipés. La victime ne comprend pas ces subtilités, elle n’est pas suffisamment informée, et pourtant son avenir est en jeu.
Plusieurs expertises médicales amiables peuvent être mises en place par le médecin d’assurances. Il décide seul des conditions et du délai de l’expertise, il rédige seul des pré-rapports et décide seul de la date de consolidation et enfin il évalue seul tous les postes de préjudices en rédigeant son rapport final de consolidation. Le délai de consolidation pour les dommages corporels importants est de l’ordre de trois années, voire plus ; pour les enfants, on attend en général pour les consolider qu’ils aient atteint leur majorité, voire au-delà. Bien souvent, les médecins d’assurances ne consolident pas les victimes : sans consolidation il n’y a pas d’indemnisation. Ou au contraire les consolident trop tôt, ne laissant pas le temps aux victimes d’apprécier au mieux leur handicap et ses conséquences.
Nombre de victimes qui se sont présentées seules à ces expertises amiables, sans l’assistance d’un avocat spécialisé et d’un médecin-conseil de victimes, tentent par la suite de contester les rapports des médecins d’assurances, mais souvent trop tard. Il est évident que la victime, qui n’a aucune connaissance médicale ni juridique, ne peut être laissée seule à cette expertise face à la partie adverse. Bien sûr, la loi dispose que la victime peut quitter à tout moment le processus amiable. Certes, mais lorsque l’expertise est avancée, que des rapports sont rédigés par un médecin d’assurance, même si la victime n’était pas assistée, les écrits, bien qu’ils puissent être discutés, demeurent. Il est souvent difficile, voire impossible, de contester les rapports d’expertises amiables. D’autant plus qu’il est souvent précisé que la victime était assistée du médecin missionné par sa propre assurance (c’est à dire un médecin d’assurances). De plus, ces rapports sont très détaillés et rappellent les propos des victimes, souvent contestés par la suite par ces dernières, mais les écrits demeurent.
Dans le cadre de la procédure amiable, la présence de l’avocat spécialisé au côté de la victime est essentielle, puisque c’est lui qui met en place et suit la procédure d’indemnisation, son intérêt et sa régularité, la communication de pièces, la mission du médecin-conseil de victimes, les discussions et la constitution du dossier avec son client, sa famille, et qui surtout lors de l’expertise défend son client pour que l’aspect juridique de la réparation du dommage corporel ne soit pas omis pour l’évaluation de plus de 20 postes de préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux exposés notamment dans la nomenclature Dintilhac. Et surtout, lorsque l’avocat spécialisé constate que son client n’a plus d’intérêt à se maintenir dans une expertise amiable où ses droits ne sont pas reconnus car l’évaluation, même temporaire, des postes de préjudices, est incomplète, minorée, ou qu’il n’obtient pas du régleur des provisions en rapport avec l’ampleur du dommage de son client, il lui conseille de saisir la justice et surtout de ne pas accepter une expertise médicale qui ne garantit pas ses droits.
L’avocat prend alors la décision, avec la victime ou son représentant légal, de s’en remettre à la Justice et de solliciter la désignation d’un expert judicaire, indépendant et impartial. Il convient de préciser que dans le cadre de cette loi, devant le Tribunal, l’avocat est obligatoire ; ainsi lors d’un procès, la victime est toujours assistée d’un avocat. A défaut d’assistance, une victime va certainement accepter le rapport d’expertise de consolidation et les provisions qui lui sont proposées. Elle n’a pas le choix, elle ne sait pas. On ne s’improvise ni médecin ni avocat. Lors de l’expertise judiciaire, c’est l’expert judiciaire qui décide. Il donne son avis au Tribunal, il tranche entre les évaluations du médecin-conseil de victimes et celles du médecin d’assurances. Une fois l’état de santé de la victime consolidé, le régleur doit obligatoirement lui faire parvenir une offre définitive d’indemnisation. Cette offre peut comprendre plus de 20 chefs de préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux pour les victimes directes, à savoir : Dépenses de santé engagées, passées et futures ; Frais d’adaptation du logement ; Frais de véhicule adapté ; Frais d’aides techniques ; Assistance à tierce personne avant et après consolidation ; Frais divers ; Pertes de gains professionnels actuels et futurs ; Incidence professionnelle, retraite, formation ; Déficit fonctionnel temporaire ; Déficit fonctionnel permanent ; Souffrances endurées ; Préjudice esthétique ; Préjudice d’agrément ; Préjudice sexuel ; Préjudice d’établissement ; Et pour les victimes indirectes : Frais d’obsèques ; Pertes de revenus ; Frais de transport notamment ; Préjudice d’accompagnement ; Préjudice moral…
Devant la complexité de ces chefs de préjudices, comment admettre qu’une victime puisse accepter seule une offre d’indemnisation, alors que cette dernière relève, même pour un avocat, d’un certificat de spécialisation en Droit de la Réparation du Dommage Corporel. La victime seule ne comprend rien, ni le contenu juridique des postes de préjudices, ni la manière de les indemniser, ni le montant des indemnisations, ni l’abondante jurisprudence depuis 1985 des Tribunaux, Cours d’Appel, et de la Cour de Cassation, sans compter les transactions. Un avocat spécialisé est nécessaire. La victime ne peut accepter seule une offre indemnitaire à laquelle elle ne comprend rien.
Pour tous ces préjudices, des dizaines de milliers de décision de justice ont été rendues, qui ont jugé du principe de la réparation intégrale du préjudice corporel défendu par notre Cour de Cassation, nos Cours d’Appel et Tribunaux. Indépendamment des montants offerts à la victime dans le cadre de l’offre indemnitaire qu’elle n’est pas à même d’apprécier seule, demeure le Droit de la Réparation du Dommage Corporel. A titre d’exemple, au stade de la reconnaissance du droit à indemnisation, doit-on accepter le refus d’indemnisation, ou un partage de responsabilité ? Au stade de l’expertise doit-on prendre en compte l’aide de la famille, la fatigabilité, la lenteur, comment décider la reprise éventuelle du travail et à quelles conditions ? Et enfin, lors de l’indemnisation doit-on prendre en compte les indemnités de chômage pour calculer les pertes de salaire, quel salaire de référence doit-on déduire, la déduction des impôts, comment s’analysent une perte de chance, une incidence professionnelle, un droit à la retraite, l’aide familiale est-elle indemnisée, à quel prix, pour quelle période, doit-on déduire de l’indemnisation les allocations du Conseil Général, l’Allocation aux Adultes Handicapés, comment évaluer une aide humaine, quel est le barème de capitalisation applicable, comment s’indemnise le doublement de l’intérêt légal ?
Les Tribunaux ont jugé de ces questions et de bien d’autres, et les régleurs, qui sont de grands professionnels, connaissent parfaitement le Droit de la Réparation du Dommage Corporel. Eux savent répondre à ces questions, les victimes non. Comment une victime peut-elle dès lors apprécier l’offre d’indemnisation amiable qui lui est présentée? Comment accepter dans son propre intérêt ce que l’on ne comprend pas ? C’est, bien entendu, l’avocat spécialisé qui seul, au stade de l’indemnisation, discute de tous les postes de préjudices dans leur principe et dans leur quantum, et qui connaît notamment le droit et la jurisprudence, tandis que la victime les ignore. L’accélération du processus d’indemnisation, qu’a voulu la loi Badinter, consiste-t-elle à dire oui à tout sans rien comprendre ?
Mais mieux encore, à la suite à son accident la victime, le plus souvent conducteur, est informée de la position du régleur pour ce qui concerne la prise en charge de son accident. Bien souvent, les régleurs opposent à la victime ou sa famille un partage ou une exclusion et refusent donc de réparer intégralement le dommage corporel de la victime. La victime n’a même pas connaissance du procès-verbal de police, et même si elle avait celui-ci en sa possession, elle ignore le droit en la matière et ne peut le comprendre. Nombreuses sont les victimes qui pensaient être en tort, qui pensaient ne pas pouvoir obtenir la moindre indemnisation et pourtant leur avocat spécialisé n’était pas de cet avis, car lui connaît le droit. Il faut donc solliciter l’avis d’un avocat spécialisé, qui seul peut apprécier le droit à indemnisation de son client, après avoir pris connaissance du procès-verbal de police, et qui, saisira immédiatement la justice s’il estime pouvoir obtenir gain de cause.
Pire encore, c’est souvent après plusieurs années, après plusieurs expertises médicales organisées par le médecin d’assurances, que la victime apprend que son droit à indemnisation est exclu partiellement ou totalement par le régleur. Lasse, celle-ci accepte l’offre car elle n’a plus la force de se battre seule. Pour ces raisons, un avocat spécialisé en réparation du dommage corporel est indispensable pour défendre les victimes dès le début du processus d’indemnisation, que la procédure soit amiable ou judicaire. Bien entendu, il faut régler les honoraires d’un avocat. L’aide juridictionnelle peut parfois y pourvoir. Cependant, il est préférable d’être informé, assisté et défendu avant d’être contraint d’accepter une indemnisation dont peut dépendre toute une vie.
Il ne faut pas omettre qu’une transaction qui est signée entre la victime et le régleur peut être réfutée par la victime qui peut se rétracter dans les 15 jours de sa signature ; passé ce délai, toute contestation est quasiment impossible. La loi Badinter a voulu accélérer le processus d’indemnisation. Il est en effet satisfaisant que les victimes soient rapidement indemnisées afin qu’elles puissent au plus vite reprendre leur vie, mais il ne faut pas accepter une indemnisation « au rabais ». Il faut éviter et refuser d’être deux fois victime.
Catherine Meimon Nisenbaum,
Nicolas Meimon Nisenbaum,
avocats à la Cour,
avril 2012.