À la fin de l’année 2007, une femme de 40 ans, suivie depuis plusieurs années par un masseur kinésithérapeute pour des lombalgies chroniques, et qui ressentait depuis ses vacances des douleurs cervicales, se rend à l’hôpital pour y effectuer des radiographies, qui ne révéleront rien de particulier. Des antalgiques lui sont alors prescrits pendant 5 jours ainsi que le port d’une minerve. Le lendemain, elle se rend chez son kinésithérapeute qui effectue des manipulations lorsqu’il entend un craquement. La patiente fait immédiatement un malaise et tombe dans le coma. Elle est transportée en urgence à l’hôpital où elle est opérée. Malgré une importante rééducation, elle reste atteinte d’une tétraplégie et d’un quasi locked-in syndrome qui l’empêche de communiquer avec les autres, si ce n’est au travers d’un ordinateur. Faute de moyens suffisants, elle a été contrainte de vivre dans un foyer d’accueil spécialisé. En effet, le kinésithérapeute et son assureur refusaient de l’indemniser.
Dans un premier temps, elle confia la défense de ses intérêts à un avocat, qui obtenait en février 2009 devant le Président du Tribunal de Grande Instance de Pontoise la désignation d’un expert judiciaire, ainsi qu’une provision de 10.000€ à l’encontre du kinésithérapeute et de son assureur. Ces derniers interjetteront appel de cette ordonnance. Entretemps, les opérations d’expertises judiciaires débutaient alors même que la victime n’était assistée d’aucun médecin conseil. L’expert judiciaire déposait une note de synthèse qui mettait en doute la faute médicale du kinésithérapeute et se dirigeait vers l’existence d’un important état antérieur anéantissant ainsi les chances d’indemnisation de cette femme. Il était temps pour elle de prendre une décision. Allait-t-elle poursuivre la défense de son dossier dans ces conditions ?
Très inquiète à la lecture de cette note de synthèse, elle décida alors avec son époux de changer d’avocat et de confier sa défense à un avocat spécialisé. Celui-ci informa sa cliente que la provision obtenue ne serait certainement pas confirmée par la Cour d’Appel de Versailles et qu’il convenait de reprendre l’entier dossier, de refaire l’expertise et d’être assistée par un médecin conseil de victimes spécialisé dans ce type de handicap et désigné par le cabinet, puis de saisir un autre tribunal. L’avocat spécialisé était convaincu que la patiente avait été mal assistée, qu’elle pouvait peut-être obtenir une bonne indemnisation, que la gravité de son handicap ne permettait pas l’erreur, qu’il fallait se battre et tout recommencer. La victime accepta de faire confiance à l’avocat spécialisé et de tout reprendre à zéro.
Comme il fallait s’y attendre, la Cour d’Appel de Versailles, à la lecture de la note de synthèse de l’expert judiciaire, infirma l’ordonnance de référé. La victime devait donc restituer la provision de 10.000€. L’avocat spécialisé pouvait alors débuter une nouvelle procédure. Le dossier médical et les pièces du dossier furent étudiés dans le moindre détail, le médecin conseil de la victime déposa un rapport et les opérations d’expertise judiciaire purent reprendre. Une nouvelle expertise judiciaire fut organisée par le même expert judiciaire. A celle-ci étaient présents toutes les parties : la victime, son époux, son avocat spécialisé et son médecin-conseil de victimes, le kinésithérapeute avec son avocat et son médecin-conseil, son assureur, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) et son médecin-conseil.
Une longue discussion fut ouverte, tous les éléments du dossier, les faits, les pièces furent à nouveau débattus car les parties n’avaient pas le même avis : le kinésithérapeute et son assureur estimaient que l’état antérieur de la patiente était prépondérant et qu’il n’existait aucune faute du kinésithérapeute, et que quand bien même elle existerait, elle serait sans rapport avec le handicap qui résulterait de l’état antérieur. La patiente, son médecin conseil et son avocat estimaient que la faute du kinésithérapeute était la seule cause de ce dramatique accident médical et qu’il devait réparer l’entier dommage. A la suite de ce rendez-vous judiciaire, les parties échangèrent plusieurs dires, exposant à l’expert judiciaire leurs points de vue très différents sur les responsabilités encourues. En octobre 2010, l’expert judiciaire déposait son rapport qui relevait de nombreuses fautes à l’encontre du kinésithérapeute et concluait qu’il était responsable du dommage de sa patiente à hauteur de 90 %, les 10 % restants étant dus à l’état antérieur de la patiente et ne devant donc pas être indemnisés.
C’était une grande victoire pour la victime, son nouvel avocat spécialisé et son médecin conseil qui avaient réussi à faire reconnaitre son droit à indemnisation à hauteur de 90 %. En mars 2011, après avoir de nouveau étudié ce dossier qui était d’une grande complexité, l’avocat spécialisé décidait de saisir le Tribunal de Grande Instance de Paris pour obtenir l’indemnisation de sa cliente. Toutes les parties et les très nombreux tiers payeurs furent alors assignés devant le Tribunal. Dans un premier temps, l’avocat spécialisé tenta d’obtenir devant le Juge de la Mise en Etat de la Chambre Médicale du Tribunal de Grande Instance de Paris une provision pour sa cliente. Le kinésithérapeute et sa compagnie d’assurances notamment contestèrent le bien-fondé de cette demande et refusaient d’accepter les conclusions de l’expert judiciaire. Le dossier était complexe. Plusieurs conclusions et pièces furent échangées, le dossier fut plaidé et en juillet 2011, le Juge de la Mise en Etat rendait une ordonnance déboutant la victime de sa demande.
L’avocat spécialisé était pourtant confiant et continuait à se battre pour sa cliente. C’est ainsi qu’un nombre très important de conclusions et pièces furent encore échangées devant la Chambre Médicale du Tribunal de Grande Instance de Paris, tant sur la responsabilité du kinésithérapeute que sur le montant des indemnisations dues à la victime. Les dernières conclusions de l’avocat spécialisé, signifiées en mai 2013, comportaient 89 pages d’écritures et plus de 80 pièces. Le débat judiciaire était dense. Devant le Tribunal, contrairement à l’avis de l’expert judiciaire, l’avocat spécialisé de la victime sollicitait la condamnation totale du kinésithérapeute et de sa compagnie d’assurances pour la faute médicale commise, et non à 90%.
Le kinésithérapeute et son assureur contestaient toujours à titre principal toute faute imputable ainsi que le lien de causalité et demandaient le rejet de la totalité de l’indemnisation de la victime, et à titre subsidiaire, ils estimaient qu’ils n’étaient responsables que 25% du dommage. En juin 2013, le dossier fut très longuement plaidé devant la Chambre Médicale du Tribunal de Grande Instance de Paris. L’avocat spécialisé plaida que, contrairement aux conclusions de l’expert judiciaire, les fautes du kinésithérapeute avaient causé 100 % du dommage.
En septembre 2013, la Chambre médicale du Tribunal de Grande Instance de Paris rendait un remarquable jugement, très détaillé sur 22 pages et parfaitement motivé, donnant totalement gain de cause à la victime. Le Tribunal jugea très précisément les faits de l’espèce, les pièces médicales, du rapport d’expertise médicale, des dires des parties et fit une exacte application du droit en vigueur. Ainsi le Tribunal, après une longue bataille juridique, retenait l’indemnisation totale de la victime à 100% et ne retenait pas l’avis de l’expert judicaire, et moins encore celui du kinésithérapeute et de son assureur. Ce jugement est par la suite devenu définitif.
Concernant l’évaluation du dommage corporel, là encore, le Tribunal retenait la quasi-totalité des demandes de la victime, qui avaient toutes été discutées, et allouait une somme en capital de plus de 1.129.000€ à la victime, ainsi qu’une rente viagère d’un montant trimestriel de 34.160€ environ, représentant une somme capitalisée de 3.514.000€ au titre de la tierce personne, soit une indemnisation totale de plus de 4.650.000€ pour la victime. Les tiers payeurs obtenaient le remboursement des sommes versées à la cliente au titre de sa pension d’invalidité et de retraite pour la somme totale de plus de 620.000€. La sécurité sociale était quant à elle remboursée des dépenses de santé exposées pour près de 1.250.000€. A la demande de la victime, certains postes de préjudice ont été en sus réservés : logement adapté, aides techniques et véhicule adapté, matériel para-médical à charge, ces postes devront être indemnisés par la suite.
Le kinésithérapeute et son assureur furent condamnés à payer en sus à l’époux de la victime la somme de 80.000€ à titre de dommages et intérêts au titre de son préjudice personnel. Indiscutablement, cette décision est exceptionnelle par la justesse de sa motivation. En outre, jamais un kinésithérapeute n’a été condamné au règlement d’une indemnisation aussi importante. Le cabinet d’avocats spécialisés est heureux pour sa cliente qui vivait depuis six années dans un foyer médicalisé, sans que ses droits ne soient reconnus, désormais une nouvelle vie commence mais son combat n’est pas fini. La victime va certes pouvoir vivre chez elle, mais le cabinet d’avocats spécialisés doit encore obtenir l’indemnisation, notamment, des postes réservés : logement adapté, aides techniques, et véhicule adapté, qui vont augmenter le montant de son indemnisation totale. Là encore, malgré le refus d’indemnisation, la victime a fait confiance au cabinet d’avocats spécialisés et elle a obtenu à 100% la réparation de son dommage corporel. Cette décision est définitive, le kinésithérapeute et son assureur n’ont pas interjeté appel.
Il convient de relever surtout le courage exceptionnel de cette femme, atteinte d’une tétraplégie haute et d’un quasi locked-in syndrome, qui a toujours fait confiance au cabinet d’avocats spécialisés qui s’est battu jusqu’au bout pour obtenir gain de cause et que justice lui soit rendue. C’est une belle leçon de vie…
Catherine Meimon Nisenbaum,
Nicolas Meimon Nisenbaum,
avocats à la Cour,
février 2014.