Selon la nomenclature Dintilhac, le préjudice sexuel indemnise : Le préjudice morphologique lié à l’atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires; Le préjudice lié à l’acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l’accomplissement de l’acte sexuel; Le préjudice lié à une impossibilité ou à une difficulté à procréer. Ainsi, le préjudice est vu sous l’angle de trois catégories : Le préjudice morphologique évalué en termes de séquelles par un taux spécifique d’Atteinte Permanente à l’Intégrité Physique et Psychique (AIPP); En cas d’absence d’atteinte urogénitale, par la privation des joies de l’acte sexuel et donc la perte de libido; L’impossibilité ou la difficulté à procréer.
C’est donc une définition très complète et large du préjudice sexuel qui est d’ailleurs reprise par la jurisprudence de la Cour de Cassation, qui définit ce préjudice comme une atteinte sous toutes ses formes à la vie sexuelle (2e Chambre Civile 17 juin 2010 n° 09-15.842) : « Le préjudice sexuel comprend tous les préjudices touchant à la sphère sexuelle à savoir : le préjudice morphologique lié à l’atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires résultant du dommage subi, le préjudice lié à l’acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l’accomplissement de l’acte sexuel, qu’il s’agisse de la perte de l’envie ou de la libido, de la perte de la capacité physique de réaliser l’acte, ou de la perte de la capacité à accéder au plaisir, le préjudice lié à une impossibilité ou une difficulté à procréer. »
Le préjudice sexuel a longtemps été un préjudice non autonome, inclus dans d’autres préjudices. Cette inclusion a été vivement critiquée et on lui a finalement reconnu un caractère personnel, autonome et spécifique, distinct de l’AIPP, du préjudice moral et du préjudice d’agrément. Par voie de conséquence, ce poste de préjudice est exclu de l’assiette du recours des tiers payeurs ce qui est important pour l’indemnisation des victimes qui est alors plus conséquente. Seul le préjudice sexuel temporaire reste inclus dans le déficit fonctionnel temporaire qui répare la perte de la qualité de vie de la victime et des joies usuelles de la vie courante pendant la maladie traumatique (Cour de Cassation 2e Chambre Civile 11 décembre 2014 n° 13-28.774).
Que de même, pendant longtemps, en matière d’accident du travail, le préjudice sexuel était indemnisé dans le cadre du préjudice d’agrément. Depuis 2012, le préjudice sexuel est indemnisé de manière autonome en cas de faute inexcusable de l’employeur (Cour de Cassation 2e Chambre Civile 4 avril 2012 N° 11-14311 et 11-14594). Bien que la définition de ce préjudice soit maintenant nettement donnée, il est toujours difficile de le quantifier. Il s’apprécie in concreto selon les personnes et leur situation. La valeur d’indemnisation du préjudice sexuel varie bien entendu selon les cas d’espèce et ses composantes psychiques et physiques : plus le sujet est jeune et plus l’indemnité est élevée. Et plus le sujet vieillit, plus l’indemnité baisse… L’indemnité variera également selon le type de handicap et l’importance des conséquences au niveau sexuel.
Certains référentiels, même si la Jurisprudence interdit de se baser sur un référentiel au nom du principe de la réparation intégrale du dommage corporel, donnent néanmoins des pistes de réflexion et des critères de quantification. L’indemnisation sera plus élevée notamment quand la victime est jeune et que les trois aspects de la fonction sexuelle sont totalement altérés, pouvant ainsi aller en général jusqu’à 35.000€.
La jurisprudence n’est cependant pas très généreuse, et même l’indemnisation la plus élevée n’est pas représentative de ce dommage et ne l’indemnise que partiellement ou mal. En effet, à titre d’exemple, prenons le cas d’un taux d’incapacité très élevé pour un jeune homme de 18 ans à la consolidation. En principe, les tribunaux lui alloueront au maximum pour un préjudice sexuel total la somme de 35.000€, ce qui représente une indemnité de 1,50€ par jour pour une espérance de vie de 80 ans, ce qui est en réalité très faible.
Ainsi, au regard de la Jurisprudence récente, le préjudice sexuel a de plus en plus tendance à être minimisé, et cette minoration est encore plus visible pour les personnes traumatisées crâniennes où en général seul un aspect de la fonction sexuelle est altéré, à savoir la perte de libido. En effet, chez les victimes cérébro-lésées, la perte de libido est souvent habituelle : la victime ressent moins ou plus de plaisir au moment de l’acte sexuel, il s’agit d’un préjudice psychique qui est pourtant de plus en plus dénié. On a donc le sentiment que le préjudice sexuel est beaucoup mieux évalué et indemnisé d’un point de vue physique lorsque la victime a une déficience physique et fonctionnelle, et qu’il est peu pris en compte quand il est seulement psychique et s’analyse en une perte de libido.
Par ailleurs, la preuve de la perte de libido n’est pas facile à établir. Lors d’une expertise judiciaire récente concernant une personne traumatisée crânienne qui se plaignait de la perte de sa libido, retenue par l’expert judiciaire dans son pré-rapport, la compagnie d’assurances a adressé un dire contestant la réalité de ce préjudice non constaté personnellement par l’expert judiciaire.
Lorsque seule une perte de libido est constatée chez la victime, la preuve de ce préjudice est donc cruciale. L’expert médical amiable ou judiciaire prendra en compte toutes les précisions qui seront apportées par la victime dans la description de ce préjudice. Il est nécessaire que la victime en parle devant le médecin expert, sans tabou, et qu’elle décrive précisément les troubles psychiques qu’elle rencontre. Il faut à ce titre noter un arrêt de la 12e Chambre civile, Pôle 6 de la Cour d’appel de Paris du 23 mai 2013 (n°08/01098) qui a rejeté la demande d’indemnisation au titre du préjudice sexuel d’un homme traumatisé crânien de 44 ans invoquant une perte de libido car ce préjudice n’avait pas été invoqué devant le médecin expert.
Il faut aussi relever que lorsque le dommage corporel est relativement important, le préjudice sexuel est souvent assorti d’un préjudice d’établissement qui est quant à lui défini de la manière suivante par la nomenclature Dintilhac : « Ce poste de préjudice cherche à indemniser la perte d’espoir, de chance ou de toute possibilité de réaliser un projet de vie familiale « normale » en raison de la gravité du handicap permanent, dont reste atteint la victime après sa consolidation : il s’agit de la perte d’une chance de se marier, de fonder une famille, d’élever des enfants et plus généralement des bouleversements dans les projets de vie de la victime qui l’obligent à effectuer certaines renonciations sur le plan familial. »
Comme pour le préjudice sexuel, le préjudice d’établissement est apprécié in concreto, en tenant compte de l’âge de la victime et de sa situation. Plus la victime est jeune et le handicap important, plus l’indemnisation est conséquente. Ainsi, lorsque le handicap est lourd, la victime obtient très souvent une indemnisation au titre de ce poste de préjudice en sus du préjudice sexuel et du déficit fonctionnel permanent avec lesquels il ne se confond pas (Cour de Cassation 2 Chambre Civile, 12 mai 2011 n° 10-17148), et qui peut atteindre 35.000€. La jurisprudence admet au titre du préjudice d’établissement qu’un homme gravement handicapé, déjà père d’un enfant avant l’accident et ayant eu un enfant après l’accident mais par procréation médicalement assistée, subit un préjudice d’établissement dès lors que les perspectives familiales sont limitées du fait du handicap et suspendues à l’évolution de l’état de santé de la victime (Tribunal de Grande Instance de Grenoble, 6e Chambre Civile, 18 février 2016, RG n° 15/04203).
Plus encore, la Cour de cassation a précisé que le préjudice d’établissement recouvre, en cas de séparation ou de dissolution d’une précédente union, la perte de chance pour la victime handicapée de réaliser un nouveau projet de vie familiale (2e chambre Civile, 15 janvier 2015 N° 13-27761). Enfin, et très récemment, la Cour de Cassation a indiqué que le préjudice d’établissement ne saurait être exclu au motif que la jeune femme victime qui était en couple au moment de l’accident, résidait toujours chez ses parents (2e Chambre Civile 21 janvier 2016 N° 15-10731).
En conclusion, pour les dommages corporels très importants l’indemnisation du préjudice sexuel et du préjudice d’établissement peut atteindre la somme totale de 70.000€. Le préjudice sexuel et le préjudice d’établissement sont des postes qu’il faut connaitre pour savoir les identifier, les évaluer et bien les indemniser, il est donc important que la victime soit assistée d’un avocat spécialisé qui la préparera à l’expertise et aux questions que pourrait poser l’expert. Ceci est d’autant plus vrai que ces postes de préjudice sont souvent rarement évoqués, ou mal, lors de l’expertise médicale. Il faut ensuite savoir les indemniser et contester les prétentions des compagnies d’assurances et des fonds de garantie. L’indemnisation d’un dommage corporel est une matière spécifique qui relève d’un droit spécifique et d’une spécialisation. Les notions de préjudice sexuel et d’établissement peuvent paraitre simples mais soulèvent des difficultés importantes qui apportent une riche jurisprudence.
Catherine Meimon Nisenbaum, avocate au Barreau de Paris, novembre 2016.