Eh oui, nous sommes des originaux ! Nous avons osé croire qu’un des « fleurons de la vision parfaite » n’était pas réservé aux seuls bien voyants ! Dès le début des années 1960, un aveugle décollait pour la première fois aux commandes d’un avion d’aéro- club. D’autres ont suivi, seuls ou par le biais d’associations. Bien sûr nous ne serons jamais seuls à bord (pilote « lâché » en jargon aéronautique). En l’état actuel des connaissances techniques, nous resterons des « pilotes accompagnés », et nous écrirons encore longtemps sur nos carnets de vol, les deux lettres E.P. « élève pilote ». Bien sûr, au tout début, comme pour chaque débutant, il faut un peu de pratique avant d’être familiarisé avec une machine, ses commandes, les paramètres de vol. Une bonne dizaine d’heures de vol sont nécessaires pour saisir, puis utiliser correctement les informations visuelles que nous communique notre instructeur de vol ou le pilote bien voyant qui a pris place à nos côtés.
Comment ça marche ? A la différence des pilotes handicapés des membres inférieurs, les avions que nous utilisons ne requièrent aucune modification spécifique. Nous avons besoin d’une transcription en Braille (dessins et schémas en relief) ou en caractères agrandis de tous les documents de cours et de vol. Un travail sur maquettes est également indispensable. La transmission des informations nécessaires au vol doit également être adaptée : toutes les informations visuelles que perçoit le pilote doivent être traduites par des mots afin qu’elles puissent nous être communiquées. C’est là le rôle précieux de l’instructeur ou du pilote qui nous « prête ses yeux ». En effet – et uniquement lorsque la sécurité ne risque pas d’en être affectée – nous avons opté pour un système d’information renseignant le pilote handicapé de la vue sur la position de son avion dans l’espace, sur l’état de ses paramètres de vol ou de ses paramètres moteur, et non pour des injonctions du type « maintenant, tourne à droite », ou bien « remet ton avion à plat » etc. Nous sommes ainsi, autant que faire se peut, mis dans des conditions identiques à celles des pilotes bien voyants qui, à partir d’une observation visuelle, doivent réagir pour adapter la configuration de leur machine ou réajuster leurs paramètres. Mais à tout moment, celui qui nous « prête ses yeux » doit aussi supporter une tâche que nous ne pouvons assumer: celle qui consiste à assurer la sécurité du vol. Bien sûr, le ciel est un espace de liberté, mais nous n’y évoluons pas seuls et il est indispensable de prévenir tout abordage avec un autre appareil.
Mais qu’est-ce qui nous fait voler ? Puisque, de là- haut, nous ne percevons pas le damier des prairies et des champs, les bastides et les routes qui y mènent; puisque la voie ferrée que nous « suivons » entre ici et ailleurs n’est qu’une convention mentale prise lors de la préparation de notre navigation ? Pour beaucoup d’entre nous, c’est l’occasion unique de se retrouver aux commandes d’une machine qui évolue dans les trois dimensions et que nous pouvons mener, quasiment seul, d’un point à un autre. A la surface de notre planète, cela serait impensable car, même sur les routes les plus droites et les plus larges, essayez donc de vous amuser à conduire une automobile ou une moto en étant aveugles ou mal voyants profonds ! Dans le ciel, nous naviguons sur les mêmes routes que les autres pilotes, et avec les mêmes machines. Lorsque nous revendiquons le terme de « pilote à part entière » pour les membres de notre association, nous n’affirmons pas qu’à bord, nous sommes capables de tout faire comme si nous avions une bonne vue. Nous disons simplement que nous pouvons être membre à part entière d’un équipage, en étant pleinement acteur dans le partage d’une charge de travail à bord, et en comprenant à tout moment ce qui se passe et pourquoi on le fait.
Et ça pourrait être encore mieux ! Certains perfectionnements technologiques apporteraient au pilote handicapé de la vue une plus grande liberté. Tel compas sonore, fabriqué par une société de Sartrouville, n’est hélas plus fabriqué, par manque de demandes. La connaissance de l’altitude pourrait être rendue vocale en modifiant le transpondeur, cet appareil rendu obligatoire sur la plupart des avions récents et permettant une identification radar par le contrôle au sol. Ce transpondeur est fréquemment « alticodé », c’est à dire qu’il permet au contrôleur au sol de connaître très précisément l’altitude de vol. Repiquer ce signal pour le faire interpréter par une synthèse vocale semble techniquement et aisément réalisable.
Un génial bricoleur a eu l’idée d’adapter un horizon artificiel de façon sonore, pour l’un des tous premiers aveugles qui pilota dans les années 1960. Le système était aussi simple qu’ingénieux: il utilisait l’effet stéréophonique des casques radios d’aviation et envoyait, par exemple dans l’oreille gauche, le signal « attention l’avion vire à gauche », par une série de bips de plus en plus rapprochés au fur et à mesure que l’appareil s’inclinait. Les variations d’assiette étaient communiquées par des bips aigus pour une variation « à cabrer » et par des bips graves pour une variation « à piquer ». Cette adaptation avait été réalisée avec les moyens électroniques d’alors, et par un simple amateur ! Que dire des progrès réalisés quarante années plus tard, et des miniaturisations auxquelles ils pourraient donner lieu !
Patrice Radiguet, Président de l’AEPHV « Les Mirauds Volants », octobre 2001
Pour en savoir plus : Association Européenne des Pilotes Handicapés Visuels « Les Mirauds Volants », 8 Boulevard des Genêts, Apppartement 78, 31320 Castanet. Tél. 05 61 73 58 27, Mobile 06 07 59 75 83, Fax 05 61 75 74 80. Fondée en février 1999, cette association propose aux adultes aveugles ou amblyopes d’accéder au pilotage des avions, planeurs et autres aéronefs.
Les handicapés moteur aussi ! Celles et ceux qui le souhaitent peuvent également voler en utilisant des commandes adaptées. Un article paru sur Faire Face (magazine APF) d’octobre 2001 présente Winn’air, association aéronautique présidée par Thierry Péberay, pilote handicapé basé près d’Agen (Lot- et- Garonne). Les seuls sites internet francophones existant par ailleurs concernent uniquement l’aviation pratiquée par les handicapés moteur :
En français : L’aéroclub Paul Louis Weiller Association Aérienne d’Handicapés Physiques (AAHP) basée aux Mureaux (Yvelines) a pour but de « promouvoir le pilotage d’avions pour les personnes handicapées en France ». Le Cercle Vélivole Raymond Schalow (CVRS) de Vétheuil (Val d’Oise) s’intéresse quant à lui aux planeurs adaptés. Handicare est un club Réunionais qui organise, outre sa grande manifestation annuelle à la base ULM du Port, des stages et des formations toute l’année. Handyflying est un club ayant des activités orientées handicap moteur dans les Alpes Maritimes, les Bouches- du- Rhône, le Var et le Rhône. Handivol, à Caen (Calvados) propose des vols d’initiation et une préparation au brevet de pilote. Le site très complet de la liste de diffusion des pilotes francophones propose notamment une liste d’aéroclubs pour personnes handicapées. Enfin, Aviation Sans Frontières propose, parmi ses nombreuses oeuvres humanitaires, de faire découvrir l’aéronautique aux personnes handicapées (« Les ailes du sourire »).
En anglais : Les sites anglophones consacrés à l’aviation adaptée sont extrêmement nombreux. parmi eux, citons le British Disabled Flying Club, site très complet sur l’accès à l’aviation des pilotes handicapés moteur, Walking on air, basé en Écosse, APT, club Anglais qui ouvre le ciel aux para et tetraplégiques, Flight Ability, qui rassemble les pilotes handicapés moteur (principalement anglo- saxons) et propose des vidéos d’information, l’International Wheelchair Aviators, fondée en 1972 aux USA et, last but not least,Accessible Aviation, dans le Mississipi, qui propose aux handi- pilotes chevronnés (américains mais les européens sont bienvenus) des stages adaptés sur Piper Seneca, Arrow et C-172 par de véritables Top Guns!
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