La première question qui vient à l’esprit lorsque l’on s’intéresse à cette expédition est : « Pourquoi le Spitzberg ? ». Située au nord de la Norvège, dans l’archipel du Svalbard, cette vaste île est l’un des berceaux du kayak, embarcation traditionnelle des Esquimaux qui cousaient des peaux de phoques sur une armature légère et effilée. Mu avec une pagaie double, le kayak est devenu à l’ère moderne un sport pratiqué en rivière ou sur mer par des personnes handicapées motrices. Sept d’entre elles ont participé, durant la seconde quinzaine de juin 2003, à une randonnée entre les fjords. Encadrés et accompagnés par une dizaine de valides, les handisportifs ont découvert un paysage rude et magnifique, peuplé de pingouins, de phoques, d’ours blancs et d’une multitude d’oiseaux. Un documentaire racontant cette aventure lointaine vient d’être présenté par la Fédération Française Handisport, co-organisatrice avec la Fédération Française de Canoë- Kayak, dans l’attente d’une diffusion sur une chaîne de télévision et de sa présentation dans des manifestations professionnelles.

Même au début de l’été, les températures demeurent froides et la mer est proche du point de glaciation, dépassant tout juste zéro degré. Le froid est un véritable danger pour des paralytiques, les membres insensibles sont sujets aux gelures, le risque d’hypothermie est grand. « On a tous eu des gelures, précise Brigitte Lataud, amputée fémorale, on a pelé durant plusieurs semaines mais ce n’était pas grave ! ». Elle est venue dans cette expédition pour parfaire sa technique, pratiquant le kayak de mer depuis 15 ans, par amour de la pleine nature. Avant son amputation, c’est l’escalade en haute- montagne qui avait ses faveurs. Pascal Perrot, paraplégique, pratique également le kayak depuis près de 15 ans: « J’ai été initié à ce sport alors que j’étais en rééducation à Kerpape après mon accident. Je ressens, dans le kayak, l’impression qu’un valide est moins performant que moi. Une fois installé, calé, je prends le rythme. Parfois, il m’arrive de croiser des kayakistes qui ne s’aperçoivent que tardivement que j’ai un handicap physique »…

Lui que l’on dit avoir « un moteur en guise d’épaules » n’accepte toujours pas de s’être un jour retrouvé en fauteuil roulant : « J’ai appris à vivre avec mais ça reste difficile, même si je m’estime chanceux par rapport à un tétraplégique ». « Quand on navigue, l’écart entre les valides et les handicapés est inexistant » poursuit Brigitte Lataud. Pourtant, la gouverne d’un kayak biplace est commandée au pied au moyen d’un palonnier, ce qui oblige un handisportif à prendre place à l’avant, le valide commandant le bateau. Vers la fin de l’expédition, une commande manuelle de la gouverne a été expérimentée au moyen de drisses et de poulies fixées sur le kayak : « La manoeuvre en est délicate, il faut actionner la poignée alors que l’on pagaie tout en conservant le rythme ».

Les canots utilisés pour Spitzberg 2003 sont des biplaces, avec des sièges- coques adaptés pour les paraplégiques. Les amputés se calent dans les bateaux un peu comme ils le peuvent, utilisant parfois des sangles. La navigation durait six à huit heures par jour, pour rallier chaque étape au soir de laquelle il fallait installer le camp, tâche dévolue aux valides. Les paraplégiques, se sentant inutiles, ont décidé de s’occuper de la cuisine et de l’intendance, dans la mesure où ils pouvaient se déplacer un peu sur des rives parsemées de cailloux. Difficile d’aller vers l’intérieur des terres : la toundra (plaine à la végétation constituée de mousses et de lichens) est un environnement particulièrement hostile pour des paraplégiques et des amputés, il est difficile et pénible d’y rouler même en utilisant un fauteuil roulant adapté à la plage tel l’Hippocampe; la traverser s’avère douloureux pour les amputés. Ces conditions ont incité les organisateurs à limiter la durée de l’expédition et l’effort demandé aux handisportifs, au risque d’engendrer un peu de frustration.

« Cette expédition m’a appris que surmonter le handicap est le fait de personnes fortes, courageuses » estime Brigitte Lataud. Elle qui ressentait une véritable aversion au contact de personnes handicapées est aujourd’hui prête à pratiquer en handisport, si elle trouve une activité qui l’intéresse. Pascal Perrot est également partant pour d’autres raids en kayak, avec la volonté farouche de se dépasser.

Laurent Lejard, mars 2004.


Spitzberg 2003 : sur un pied d’égalité. Film documentaire de 26 minutes réalisé par Véronica Duport et produit par Seven Doc.

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