« Tout a commencé en septembre 1994, explique Salif Moulin Diallo, handicapé moteur et président de la Fédération Malienne de Sports pour Personnes Handicapées (FEMASH). Invités aux premiers Jeux de l’Avenir pour Personnes Handicapées d’Afrique (JAPHAF) qui se déroulaient à Ouagadougou, au Burkina Faso, les athlètes handicapés du Mali ont créé la surprise en se classant 2e, juste derrière le pays organisateur, avec une moisson de 11 médailles. Sans formation technique, sans aucun encadrement administratif, il n’y avait ni club, ni association sportive et encore moins de fédération sportive… » De retour à Bamako, les dirigeants sportifs ont alors décidé de créer une fédération handisport, en constituant des associations spécifiques qui, après leur reconnaissance officielle, ont fondé la FEMASH le 20 décembre 1996.
« Nous pratiquons toutes les disciplines sportives, poursuit Salif Moulin Diallo. De l’athlétisme en passant par le basket sur fauteuil, le torball, la lutte africaine et l’haltérophilie. Les quatre types de handicap pratiquent ces sports. Le moteur pratique surtout le lancer, le saut, le basket sur fauteuil, l’haltérophilie et le hand-foot. Les déficients visuels jouent le torball, la course de 100m. Les déficients intellectuels font la course de 100, 200, 5000 m, le lancer de poids, le saut en hauteur. Les déficients auditifs, les sauts, courses et lancers ».
Depuis la création de leur Fédération, les handisportifs maliens participent aux compétitions africaines, tels les JAPHAF lors desquels ils sont toujours parmi les 3 premières nations; en 2001, le Mali s’est même classé 1er, avec 27 médailles. La première participation du Mali aux Jeux Paralympiques date de 2000, à Sidney (Australie), avec un haltérophile, Facourou Cissoko (handicapé moteur) qui s’est classé 13e. Lors d’Athènes 2004 puis Pékin 2008, il fut encore le seul handisportif malien engagé.
« Chaque année, reprend Salif Moulin Diallo, le gouvernement accorde une subvention. Même si c’est insuffisant, elle nous permet d’organiser le championnat national de sport pour handicapés sur toutes les disciplines pratiquées au Mali. Il mobilise au moins 120 sportifs venant de toutes les régions ». Mais le président de la FEMASH déplore l’absence d’aide venant des autorités communales : « Nous rencontrons d’énormes difficultés, le manque de matériels de sport est crucial. Un seul ballon sonore pour les déficients visuels depuis 3 ans, pas de fauteuil roulant pour les courses, les handbikes, ces matériels sont excessivement chers pour notre bourse ».
Un handbike coûte jusqu’à 4 millions de francs CFA (6.100€) au Mali, et il en faudrait au moins 4 pour équiper les athlètes qui doivent participer à des compétions internationales. Un fauteuil de basket coûte 1.500.000 FCFA (2.300€), il en faudrait au moins 10 pour les joueurs de l’équipe nationale. A cela s’ajoute l’impossibilité d’effectuer les déplacements : invités pour une compétition en Tunisie, la FEMASH n’a pu financer les frais de transport et de participation. « Pour combler le manque de matériels sportifs, conclut Salif Moulin Diallo, comme ils sont chers, nous avons proposé aux autorités de nous faire parvenir les matériels usagés qui viennent d’Europe. Avec cela, nous aurons les matériels nécessaires pour nous entraîner et pour ensuite être bien compétitif au niveau africain et mondial ».
Face au vieillissement des athlètes fondateurs, la FEMASH veut présenter les handisports dans les établissements scolaires et universitaires. Elle espère amener les élèves handicapés à ne plus se faire dispenser de sport à l’école, mais à pratiquer avec les adaptations nécessaires, en obtenant des bourses pour les nouveaux sportifs afin qu’ils puissent améliorer leurs formation et performances.
Handicapé du bras droit, Mahamane Sacko pratique la course sur 100 et 200m, ainsi que le saut en longueur. « Pendant mon enfance je jouais au football avec mes camarades non handicapés, jusqu’à l’âge adulte. C’est un camarade sportif sourd qui m’a convaincu et m’a encouragé d’évoluer avec la FEMASH. Je lui donne raison, cette discipline me réussit très bien maintenant, et me donne l’opportunité de concourir en national et en international avec de bons résultats. Je suis devenu champion du mali en athlétisme. Cette année à Rabat (Maroc), j’ai remporté la médaille de bronze en 100m, 200m et saut en longueur lors du Championnat d’Afrique des Personnes Handicapées, et en 2009 à Niamey (Niger), lors des Jeux de l’Avenir pour Personnes Handicapées d’Afrique, j’ai eu trois médailles dont deux en argent aux 100m et 200m et une bronze aux 400m ».
Mahamane Sacko espère accéder à des compétitions internationales hors du continent africain : « Les sportifs handicapés maliens sont à la hauteur du niveau international, en témoigne mon exemple parmi tant d’autres sportifs qui ont établi des records en Afrique en haltérophilie fille et garçon, et dans d’autres disciplines ». Mahamane Sacko s’entraine au Stade Omnisport de Bamako avec les sportifs valides, il n’y a pas d’entrainement régulier pour les sportifs handicapés jusqu’à l’approche des compétitions : « Nos rapports avec les sportifs non handicapés sont bons, souvent nous travaillons ensemble. Moi, je suis sélectionné par l’équipe d’athlétisme de l’Association Sportive du Real de Bamako pour participer au championnat national et à la coupe du Mali d’athlétisme pour les personnes non handicapées. Je suis parmi les 10 meilleurs du Mali en sprint toutes personnes confondues. Je cherche toujours à me perfectionner pour aller au delà de mes résultats au Niger où j’ai fait 11,53 et au Maroc, 11,15 ».
Avant de devenir aveugle, Alhamissa Cissé, jouait quant à lui au football : « Certaines personnes attribuent mon handicap à un envoûtement lié au football. Pour elles, mes ennemis m’ont jeté le mauvais sort pour m’empêcher de jouer la finale d’une compétition et faire carrière. C’est lors de cette finale que je suis tombé malade sur le terrain, par la suite je suis devenu aveugle ». En rejoignant l’Union Malienne des Aveugles, Alhamissa Cissé a repris le sport : « En 2000, j’ai commencé le sport pour les handicapés visuels. Actuellement, je pratique la lutte traditionnelle, les courses de 100m, le goalball. Pratiquement, il n’y a pas de terrain adéquat pour le sport des handicapés visuels. Seulement, avec l’amour du sport, la volonté et le courage de réussir, nous arrivons à faire mieux. Il nous faut des terrains dignes des sports pour handicapés, surtout le terrain de lutte traditionnelle et de goalball que beaucoup de déficients visuels aiment pratiquer ».
Lors des JAPHAF de 2001 à Lomé (Togo), Alhamissa Cissé a remporté deux médailles d’or en lutte traditionnelle et en torball : « Ces deux médailles m’ont bien marqué car c’était ma première compétition internationale et le niveau des jeux était très élevé. J’ai du batailler très dur pour faire honneur à toute une nation ! ». Aux Jeux suivants, en 2003, 2005 et 2007, il est également revenu médaillé, jusqu’à subir une déception en 2009, à Niamey, où il ne s’est classé que 9e : « Cette contre-performance est due surtout au manque de matériel et de formation. En lutte traditionnelle, les techniques s’améliorent comme dans toutes les autres disciplines sportives. Si tu n’es pas formé aux dernières techniques, tu ne peux pas rivaliser avec celui qui est formé. L’étape du Niger a coïncidé aussi avec l’arrivée chez nous du goalball [qui a remplacé le torball NDLR] sur lequel nous étions des bleus. Nous nous sommes lancés sans pour autant maîtriser toutes les règles qui régissent ce sport ».
Alhamissa Cissé s’inquiète du contexte dans lequel s’expriment les handisportifs : « Nos conditions d’encadrement dans le cadre de nos regroupements pour les compétitions nationales sont vraiment mauvaises, au point que l’on se demande si c’est national. On dirait une compétition entre les quartiers, qui est d’ailleurs mieux organisée ! Lors des compétitions nationales, la nourriture laisse à désirer. Après quatre jours de compétition, on nous donne 5.000FCFA (7,64€) d’indemnités… Les athlètes blessés pendant ces rencontres se soignent eux-mêmes ou deviennent le plus souvent la charge de leurs parents. Un cas récent, c’est le kinésithérapeute de l’UMAV qui a pris en charge sur ses fonds propres les frais de traitement d’un athlète blessé pendant une rencontre. De retour du Niger, un autre athlète blessé a été soigné par son village. Nos dirigeants sportifs ne se préoccupent pas de nos conditions pour bien exercer le sport. Tout ce qu’ils disent, sont des discours creux ».
Abdoulaye Coulibaly, septembre 2010.