Ambiance bon enfant pour l’ouverture des Jeux de l’Avenir, le 25 juillet dernier, au Palais Polyvalent des Sports de Yaoundé, joyau architectural offert au Cameroun par la Chine. Groupes de danse de personnes handicapées, athlètes valides et invalides, hautes personnalités, invités et simples curieux étaient au rendez-vous.
Après l’exécution en langue des signes de l’hymne national, les discours des officiels (également traduits en langue des signes) et les prestations artistiques des artistes handicapés, le ministre des Sports et de l’Education Physique, Michel Zoah, a solennellement ouvert des Jeux… qui ont débuté le surlendemain. La faute à l’arrivée tardive de délégations étrangères, et à l’absence de déblocage du financement promis par le Gouvernement. De fait, seules 5 des 14 équipes annoncées par le comité d’organisation des Jeux ont participé : Bénin, Cameroun, Niger, République Centrafricaine (RCA) et Sénégal. Le financement de la compétition n’a été débloqué qu’à la veille de sa clôture, ce qui a entraîné l’annulation de la compétition de javelot, faute de pouvoir payer la location des engins…
Les athlètes entrent en piste.
Le mercredi 27 juillet, le Centrafricain Guy Ndjedoket a remporté la toute première médaille d’or, chez les sourds en saut en longueur, devançant Patrice Diatta (Sénégal) et Emmanuel Koung Mpele (Cameroun). Dans la course du 1.500 m fauteuil, Moussa Thiaw (Sénégal) dame le pion à ses adversaires : il monte sur la première marche du podium avec un record de 3 mn 53, talonné par son compatriote Mohamed El Hadj tandis que le Camerounais Privat Nsem doit se contenter du bronze. Dans le 200 m hommes déficients visuels, Patrick Bakounga Awa (Cameroun) a brûlé la politesse à ses concurrents grâce à son record de 24 secondes : « Je suis ravi de ma médaille, s’exclame-t-il ! D’autant plus que j’étais le champion d’Afrique sortant. Il fallait que je dédie cet espoir au Cameroun, mon cher beau pays… » L’international camerounais a été suivi par son compatriote Atangana Ntsama, la troisième place revenant au centrafricain Saturnin Namluina.
Toujours en déficients visuels, mais dans le 100m, Patrick Bakounga Awa a été plus véloce que ses adversaires grâce au record de 11 secondes 50 centièmes. Il a à nouveau été suivi par son compatriote Atangana Ntsama, la troisième place étant arrachée par Saturnin Namkoïma (Bénin).
Chez les dames, les compétitions ont été âprement disputées. C’est ainsi que l’haltérophile camerounaise Mimosette Nghamsi Fotié a mis du sourire au bout des lèvres de ses compatriotes, en décrochant brillamment l’or en soulevant 82,5 kg (quasiment deux fois son propre poids !) et battant de 12,5 kg le record des JAPHAF : « Ce qui fait ma force, c’est la discipline et beaucoup de travail, explique-t-elle. Ma famille a été d’un appui considérable pour mes succès, et je n’oublie pas mes coéquipiers. Mes impressions sont celles d’une athlète comblée de joie. Je sens que j’ai accompli le devoir qui m’a été assigné. » La Béninoise Brigitte Bocco s’est classée deuxième. Autre Béninoise, mais dans la catégorie des 75kg, Blandine Sahénou n’a pas eu pitié de ses adversaires, et Rose Medjo (Cameroun) s’est contentée de la médaille d’argent.
Chez les hommes, il faudra trois essais au Camerounais Francis Biwolé Nkodo pour ravir la vedette à ses concurrents dans la catégorie des 69kg en soulevant 170kg et en battant le record JAPHAF. Autre Camerounais, Justin Sodjiné Motto lui a emboité le pas dans la catégorie des 52kg. Le Centrafricain Patrick Bengue et le Nigérien Soumaila Guiwa ont occupé les deuxième et troisième position. Tandis que dans la catégorie des 60kg, le Camerounais Frédéric Conrat Atangana a arraché le métal précieux. Son compatriote Jean Solange Ava Mbida a dû se contenter de l’argent, et le Sénégalais Moussa Thiaw du Bronze.
La journée du jeudi a été capitale : on a noté les belles performances des Sénégalais et des Camerounaises. Ainsi chez les hommes, Mohamed El Hadj (Sénégal) finit vainqueur du 100m fauteuil. Moussa Thiaw, son coéquipier, et le Camerounais Lobé Marcel Moukouri vont s’en sortir avec l’argent et le bronze. Dans le 400m, le Sénégalais Moussa Bâ accède à la première marche du podium, talonné par son compatriote Abdel Aziz Diouf et Mamadou Ibrahim du Niger. Le classement de ces trois athlètes sera le même dans l’épreuve du 100m. Sur cette même distance, José Onguene Malla (Cameroun) décroche l’or, son compatriote Augustin Amougou se contente de l’argent, le bronze revient à Martin Gbe Gote de la Centrafrique qui ne cache pourtant pas sa fierté : « Je suis ravi. L’essentiel a été fait, je ne rentre pas bredouille en Centrafrique ! Pour les 11e JAPHAF de Bamako 2013 au Mali, je vais inviter mes compatriotes à se déplacer en masse pour aller nous supporter. Je compte d’ailleurs progresser pour glaner le métal précieux ! »
José Onguene Malla récidive dans le 400m en montant sur la première marche du podium, son compatriote Salomon Oyono Ndi arrache l’argent et Martin Gbe Gote s’en sort encore avec le bronze. Chez les sourds, le Camerounais Yves Zayi Ndelé dame le pion à ses adversaires dans le 1.500m, l’argent revient au centrafricain Donatien Kogneguengba, le bronze au camerounais Martial Yimele.
En lutte africaine, le Nigérien Zoubeirou Issaka sera plus fort que ses adversaires : « Je remercie d’abord le bon Dieu. Je suis un habitué des métaux précieux depuis qu’on a commencé les JAPHAF ! Les moyens d’entrainement, on se débrouille dans les pays d’Afrique, ce n’est pas facile… » L’argent reviendra au Béninois Loukmane Nassirou et le bronze au Nigérien Ismaël Bourama.
En lancer du poids assis, l’or sera arraché par le Sénégalais Youssoufa Diouf. Francis Biwolé Nkodo va se contenter de l’argent, le bronze reviendra au Béninois Antoine Zannou. Le lancer du poids debout a été dominé par le Béninois Constant Kponhinto, Mol Ndiaye (Sénégal) savoure l’argent et le Centrafricain Marc Frédéric Ngaisse obtient le bronze.
L’après midi, le Cameroun affronte la Centrafrique dans la finale aller de basketball en fauteuil roulant, la victoire revenant au Cameroun par 40 points contre 33. Rencontre que le Camerounais Patrick Bakounga Awa estime avoir été difficile : « La Centrafrique était un peu au-dessus de nous. Mais avec le temps, on a découvert que les gars étaient vraiment assis ! Donc on était obligé de redoubler d’efforts. On ne peut pas dire qu’on a joué avec le maximum. On l’a réservé pour la phase retour. Et on a essayé de corriger les erreurs. » Pour sa part, le capitaine de l’équipe de basket-ball de la RCA, Aimé Mexin Wassabong, pense qu’il a beaucoup appris au cours de cette première finale : « Dans l’ensemble, ça va. Mais comme je l’ai dit, nous ne sommes que les ‘apprenants’. Il y a beaucoup de principes de jeu qu’on n’a pas maîtrisés, c’est ce qui a fait défaut à notre équipe. Je pense tout de même que nous jouons bien. Ce qui est fait est positif parce qu’on tire des leçons. Ce qui nous permettra de mieux nous battre pour les prochaines compétitions ».
Toujours au palais polyvalent des sports de Yaoundé, une intéressante première finale de goal-ball, discipline sportive que bon nombre de camerounais ont découvert, a opposé la Centrafrique au Cameroun : l’équipe camerounaise a dicté sa loi par 15 buts contre 5 pour la RCA. Aussi, le coach de la sélection centrafricaine, Fabrice Allezou, a-t-il avoué les limites de son équipe : « On s’est bien préparés mais il faut reconnaître qu’on a un petit retard sur les règles du jeu… Il y a certaines choses qu’on va mettre en pratique lorsque nous serons de retour en RCA; nous essayerons de progresser encore. »
Un final en apothéose…
Le palais polyvalent des sports de Yaoundé était plein à craquer le 29 Juillet, dernier jour de compétition. De nombreux Yaoundéens informés des rencontres retour de basketball et de goalball qui devaient opposer leur pays à la République Centrafricaine étaient venus en masse pour supporter leurs athlètes et les pousser à la victoire, d’autant qu’ils partaient avec un léger avantage. Avant l’arrivée des ministres des sports et de l’éducation physique, Michel Zoah, et des affaires sociales, Catherine Bakang Mbock, les basketteurs ont rivalisé d’adresse. Mais si la finale de handibasket a tourné en faveur de la Centrafrique, vainqueur 38 à 35, l’or est revenu aux Camerounais car ils avaient marqué plus de points en additionnant les deux rencontres, 75 contre 71. Un métal précieux glané par le Cameroun et qui a comblé de joie l’international camerounais Atangana Ntsama : « Je suis fier parce que la compétition n’a pas été aisée. Il fallait batailler dur pour venir à bout des Centrafricains ! ».
Et c’est en présence des deux ministres que le Cameroun a triomphé à nouveau en goalball de la République Centrafricaine par 11 buts à 1. Des ministres qui ont remis leurs distinctions aux équipes. Parmi les heureux du jour, Maurice Simo, professeur spécialisé pour les sourds et promoteur du cercle de ressources et d’animation pour sourds (CERAS) a reçu agréablement un trophée au point de ne pas cacher son émotion : « Je suis très ému. Vous savez, encadrer les enfants ce n’est pas facile. Il y a longtemps, j’ai mis sur pied le CERAS pour booster l’entrainement et la formation des sourds. Vous avez pu assister à l’exécution de l’hymne national par les sourds, certains ont joué dans la fanfare. C’est un travail de fond qui a été abattu. Ce trophée nous invite à faire mieux. »
…Mais une organisation défaillante.
Les 10e Jeux de l’Avenir pour Personnes Handicapées d’Afrique ont bien eu lieu. Avec quelques couacs. Au plan organisationnel par exemple, la délégation Béninoise a été abandonnée à elle-même : aucun responsable du comité d’organisation n’est allé l’accueillir à l’aéroport, il a fallu que les responsables de cette délégation fournissent les efforts nécessaires pour assurer les transports voire la restauration ! On comprend que ces sportifs aient décidé de partir avant la fin des compétitions… Dans le domaine de la communication, des « maçons » [Profiteurs NDLR] ont été recrutés pour gérer les journalistes. A telle enseigne que ceux qui étaient accrédités n’ont pas eu droit aux indemnités prévues (le perdiem), les « maçons » ayant émargé à leur place pour toucher l’argent ! De même, le président du comité d’organisation, a eu des altercations avec certains de ses homologues venus de l’extérieur pour des problèmes de non-paiement des primes convenues…
La parole aux acteurs.
Géraldine, experte Belge qui a animé un stage de formation destiné aux entraineurs et classificateurs : « La semaine d’avant les compétitions, j’ai dispensé une formation à tous les cadres sportifs. Tout s’est bien passé, on a eu un très bon sentiment en athlétisme, des records ont été battus en haltérophilie. Cependant, il y a eu un problème de manque de matériel. La différence, c’est qu’en Belgique, c’est très strict : à la veille de chaque compétition, le matériel est déjà prêt alors qu’ici en Afrique, on sent que tout arrive le jour même. Tous les athlètes sont obligés d’attendre, c’est un peu dommage ».
Donald Royer, médecin expert venu de Montréal, Canada : « J’ai formé des cadres, ceux qui doivent appliquer les règlements et qui travaillent avec les athlètes. Le stage était très productif. Il y a des problèmes dans toute compétition, mais les régler n’est pas facile, il faut toujours essayer de travailler dans le meilleur intérêt des athlètes. Ils doivent se sentir dans un milieu qui est stimulant pour eux, attrayant, les athlètes doivent être des rois. C’est un objectif qui n’est toujours pas facile à atteindre. Dans certaines disciplines, on a vu qu’il y a des retards, c’est un problème qu’il faut essayer de corriger ».
Mimosette Nghamsi Fotié, haltérophile camerounaise : « Concernant la promotion des handisports dans les pays d’Afrique, je ne suis pas la mieux placée pour pouvoir juger. Tout ce que constate, c’est qu’on est encore à un niveau embryonnaire. Le handisport est en train de sortir de sa léthargie, mais d’une manière lente. Les moyens pour nous entrainer sont personnels, chacun met la main à la poche. Aussi demandons-nous à nos responsables qu’ils nous traitent sur le même pied d’égalité que les athlètes valides. Car nous sommes des athlètes à part entière. Nous lançons aussi un appel à la communauté internationale pour combler notre déficit en matériel. Nous avons la volonté et beaucoup de détermination, mais nous avons aussi besoin de suivi et d’un bon encadrement ».
Seidou Keita, directeur technique de la fédération malienne des personnes handicapées, explique pourquoi son équipe n’a pu participer aux Jeux : « La raison est toute simple. Le Mali était prêt pour participer à ces compétitions, toutes les démarches administratives ont été entreprises. Moi, je suis venu à la formation des entraineurs. Mais le président de notre fédération a perdu la vue, alors que c’est lui qui devait conduire la délégation au Cameroun. Il était obligé de se rendre en Tunisie pour subir une intervention chirurgicale. Le secrétaire général qui devait remplacer le président a eu un accident grave. C’est pourquoi les autres démarches n’ont pas été faites à temps. Le voyage prévu pour la journée de mardi a été programmé pour jeudi. Finalement, ce voyage a été annulé. Or nos athlètes étaient prêts à venir engranger de nombreuses médailles à Yaoundé. Les différentes compétitions devaient aussi nous aider à nous préparer pour les Jeux Africains de Maputo et pour les Jeux Paralympiques de Londres« .
Michel Derbaky, Directeur Technique National du comité paralympique de la Centrafrique : « L’objectif est atteint pour la RCA. Nous sommes venus dans le but d’éviter de rentrer les mains vides, nous avons suffisamment gagné de médailles. Pour les prochains JAPHAF de Bamako 2013, nous mettrons à profit l’expérience acquise à Yaoundé, principalement dans le goal-ball. Les techniques nous manquaient cruellement ».
Djibril Ouédraogo, président du comité international des JAPHAF : « Le sentiment qui m’anime au terme de ces jeux est celui de la satisfaction. Le pays d’accueil a fait son devoir de relever le défi en organisant cette édition. Vous savez, ce n’est pas facile d’organiser des compétitions et tout le monde doit s’en rendre compte. C’est pour cette raison que nous comprenons les imperfections qu’il y a eu ça et là. Ce qu’il faut retenir de ces compétitions, c’est que le résultat est là. Les athlètes se sont exprimés et ils ont bien mérité cela. Nous donnons à présent rendez-vous à Bamako, au Mali ».
Gérard Abada, août 2011.