Nageur handisport, Frédéric Delpy est âgé de 45 ans. Il préside le Comité régional handisport de la région Centre. Il succède à Gérard Masson qui prend actuellement sa retraite de toutes ses activités professionnelles et sportives. En marge du Handisport Open Paris, étape française du circuit international de compétition d’handiathlétisme, Frédéric Delpy expose pour nous sa vision du sport des personnes handicapées.

Question : Frédéric Delpy, vous êtes le nouveau président de la Fédération Française Handisport (FFH); dans quel état trouvez-vous cette fédération ?

Frédéric Delpy : Dans l’état où je l’ai laissée puisque je suis élu au comité directeur depuis 2013 ! Ce n’est pas une maison qui m’est inconnue, c’est une belle fédération avec des belles fondations. Je suis particulièrement fier et honoré d’avoir été élu le 8 avril à sa présidence.

Question : Quelle est l’ampleur du mouvement handisport en 2017 ?

Frédéric Delpy :
 Le handisport est encore un mouvement en plein essor. Il existe en France depuis les années 1950. Aujourd’hui, cette fédération c’est 36.000 licenciés, plus de 1.400 clubs et sections, c’est une structure qui est riche, en pleine évolution, on est à la recherche de licenciés pour demain. Je pense qu’on est trop peu, 36.000 licenciés pour près de 3 millions de personnes en situation de handicap moteur. Il faut aller au-devant de ces personnes qui sont encore chez elles à rester derrière un poste de télévision à attendre que ça se passe. Je suis pour défendre ces valeurs qui sont pour nous, personnes en situation de handicap, la pratique du sport gage d’autonomie et de richesse d’esprit, comme la culture peut l’être.

Question : Le nombre de licenciés est à peu près comparable à ce qu’il était il y a une vingtaine d’années, comment amener davantage de personnes handicapées au handisport alors que beaucoup d’actions ont déjà été réalisées sans grand résultat ?

Frédéric Delpy : Le constat est juste. On sait pertinemment que le sport doit partir de la base. Notre clientèle est issue des centres de rééducation. Aujourd’hui nous devons défendre le sport scolaire, nous devons défendre l’intégration du sport pour les jeunes en situation de handicap dès la sixième. Actuellement, ce n’est pas le cas, nous avons encore trop de certificats de dispense qui sont délivrés à des enfants en situation de handicap parce qu’ils ne sont pas en phase avec les formations que les professeurs de sport ont pu avoir. Aujourd’hui, une personne en situation de handicap peut faire de la musique, des maths, du français, mais quand on lui dit de pratiquer du sport, ce n’est pas possible, il faut qu’elle ait un certificat de dispense. Or une personne en situation de handicap n’est pas malade ! C’était mon cas dans les années 80, je suis né en 1971, et mes parents ont été confrontés à ça. Ils se sont battus en disant au prof « mon fils n’est pas malade, il est simplement handicapé alors leur laissez-le, il va s’organiser ». Je pense que tant que l’on n’aura pas une entente interministérielle entre l’éducation nationale, la santé et le sport, de façon à ce que dès le plus jeune âge ces personnes en situation de handicap aient le goût, une approche au sport scolaire. Je ne dis pas que demain ils feront tous du sport, mais un jeune en situation de handicap doit être capable de nager, de faire du tennis de table, de se mouvoir dès le plus jeune âge pour éviter les surcharges pondérales que l’on peut avoir avec toutes les pathologies que l’on connaît.

Question : Dans le nouveau contexte politique, avec la création d’un secrétariat d’État chargé des personnes handicapées rattaché au Premier ministre et qui a une compétence interministérielle, vous espérez que cette interministérialité puisse fonctionner ?

Frédéric Delpy : C’est ce que disait Madame la ministre des Sports à l’instant en conférence de presse. Il doit y avoir une transversalité entre tous ces services, tous les organismes déconcentrés qui peuvent être les fédérations, les comités régionaux, les acteurs locaux, les clubs, tant qu’on n’aura pas de convergence et de transversalité sur ces secteurs il sera difficile d’avancer. J’espère qu’avec la mise en place de cette organisation, ce sera bénéfique pour tout le monde.

Question : La pratique se fait, soit en clubs handisports soit en clubs classiques avec section handisport, l’intégration dans les clubs de sport peut être réalisée pour toutes les disciplines ?

Frédéric Delpy : Ça dépend de la discipline, du handicap et de l’individu. Plein de facteurs doivent être pris en compte. L’enseignement d’une pratique sportive auprès d’une personne à mobilité réduite doit comporter une attention particulière, en pédagogie, en entrainement, en compétition, en haut-niveau. Je suis le pur produit de l’intégration : avant de débuter en handisport j’étais licencié à la Fédération Française de Natation. Mon handicap me permettait d’avoir un niveau en natation qui me permettait d’intégrer un club valide naturellement, sans aucune difficulté. Ce n’est pas le cas avec les handicaps un peu plus lourds, par exemple pour le basket où il me paraît difficile d’aller dans un club de Pro A qui n’a pas de section handi : un gamin en fauteuil va avoir du mal à s’intégrer. Je pense que la FFH doit être incontournable dans l’accompagnement et la pratique du sport pour les personnes en situation de handicap, mais pas que.

Question : Dans tous les cas, se posent les questions de l’accessibilité des installations et du coût des équipements adaptés. Or ces derniers restent trop souvent financés par la charité publique…

Frédéric Delpy : Ce sont les lignes de l’État. Effectivement il y a des choses qui sont faites sur l’accessibilité avec les Agendas d’Accessibilité Programmée [Ad’Ap] pour les collectivités territoriales. Néanmoins, il y a encore beaucoup à faire, il faut être patient, je ne fais pas partie des personnes qui sont réfractaires à ça mais l’accessibilité prend du temps, bon nombre d’équipements sportifs ne sont pas accessibles. Mais avec le temps on y arrivera.

Question : 
La professionnalisation concerne le handisport, avec des contrats de haut-niveau, des sponsors, etc. Les disciplines handisport doivent-elles devenir du sport-spectacle ou rester dans une professionnalisation modérée, contrôlée ?

Frédéric Delpy : Aujourd’hui, il y a une vraie professionnalisation du sport handi, c’est indéniable. Pour pratiquer à haut-niveau, prétendre à des résultats « podiumables » aux Jeux Paralympiques, aux championnats du monde ou d’Europe, la professionnalisation est incontournable. De là à ce que cela devienne un sport-spectacle avec des grandes audiences en prime-time, je n’en suis pas sûr. Vous le savez comme moi, nous restons un mouvement confidentiel dans la pratique, aujourd’hui on n’a rien à vendre si ce n’est les Jeux Paralympiques tous les quatre ans, tous les deux ans avec les sports d’hiver.

Question : A cet égard, on avait assisté en novembre 2010 à Paris à un spectacle sportif d’exception à l’occasion du Mondial d’escrime où il y avait un public payant pour assister à une compétition mêlant escrimeurs valides et handisports. On constate une réelle difficulté à faire venir le public sur un événement purement handisport. Par exemple, ici au stade Charlety vous devez faire appel aux enfants des écoles mais vous n’avez pas de public payant donc pas de recettes…

Frédéric Delpy : Culturellement, c’est aussi un constat. En France on est encore en retard par rapport au handicap. La reconnaissance du handicap ne passera et ne peut passer que par les médias, j’en suis convaincu. Il y a vingt ans, on ne parlait pas de nous. J’ai été athlète de haut-niveau dans les années 90, je peux vous garantir que c’est moi qui appelais les journalistes pour avoir des parutions dans les journaux locaux, ça restait local, pas national. Aujourd’hui, il y a quand même de l’amélioration, une reconnaissance nettement meilleure que ce qu’elle a été. Ne mettons pas la charrue avant les boeufs, je suis confiant pour l’avenir, aujourd’hui j’ai vu beaucoup de journalistes, j’ai croisé un certain Patrick Montel qui me faisait rêver quand j’étais gamin, il présentait Stade 2 ! Il faut savoir être mesurés dans nos ambitions quant à l’explosion de cette reconnaissance médiatique et du public. C’est culturel, on va en Angleterre ça se passe pas comme ça, en Australie également, mais dans des pays émergents comme le Brésil il y avait moins de monde dans les stades, moins d’impact. Nous, on est entre les deux, prenons ce qu’il y a à prendre !

Question : Qu’est-ce que vous attendez des Jeux Olympiques et Paralympiques à Paris en 2024, dans un pays qui a repoussé les échéances d’accessibilité, réduit ses normes, et une ville au réseau de métro inaccessible ?

Frédéric Delpy : Je pense sincèrement que Paris doit être la ville qui doit accueillir les Jeux de 2024. J’ai une totale confiance dans l’équipe qui mène à bien ce projet qui est issue du mouvement sportif. Pour nous les personnes en situation de handicap, ça ne peut être qu’un gage de réussite en termes d’accessibilité pour les transports en commun, le réseau routier, l’hôtellerie. Je pense sincèrement que sociétalement ce sera un plus.

Question : A la différence de ce que disait votre prédécesseur Gérard Masson lors de la clôture du Mondial d’escrime 2010, « La France a montré au monde entier qu’elle n’était pas capable d’organiser un événement sportif international accessible », vous pensez qu’en 2024 la France en serait capable ?

Frédéric Delpy : J’en suis convaincu. Depuis les Jeux de 2012 à Londres, je pense qu’il y a eu une vraie reconnaissance du mouvement paralympique en France, avant ce n’était pas le cas. Oui, j’en suis convaincu.


Propos recueillis par Laurent Lejard, juin 2017.

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