Jacques Brel a chanté, célébré « son » Bruxelles, et c’est un peu dans son souvenir que nous avons atterri sur son plat pays. Dès la frontière franchie, des turbulences aériennes et un ciel qui ne nous laissera qu’un jour et demi de répit : « temps gris et petite pluie » comme le dit si bien la dame météo de la RTBF (Radio Télévision Belge Francophone). L’entrée dans la ville est semblable à celle de beaucoup d’autres, alternance d’immeubles de bureaux clinquants et d’HLM vétustes. On passe devant l’OTAN : même son terrain de sport est derrière les barbelés ! La voiture parcourt la rue de la Loi, siège de la plupart des services européens. Son bâtiment emblématique, le Berlaymont, est en cours de remontage, après une longue opération de désamiantage. Le quartier fait « américain », alternance de buildings en verre et acier ou pierre bétonnée grisâtre. Nous entrons enfin dans le coeur de Bruxelles, cette ville aux dix- neuf communes.

La Grand Place est le seul ensemble architectural cohérent qui reste debout dans cette ville. Encore faut- il remarquer que les destructions et l’usure du temps ont fait leur oeuvre. Ainsi, l’Hôtel de Ville demeure le seul bâtiment médiéval de ce lieu. Les autres furent détruits par l’armée de Louis XIV en 1695 au terme de trois jours de bombardements. Les immeubles abritaient les différentes corporations – brasseurs, bouchers, tailleurs, peintres – et sont généralement surmontés d’une statue de leur Saint Patron. Vous pourrez vous amuser à identifier les différents métiers et leurs symboles sur ces maisons- rébus. Dans l’une d’elles, Karl Marx et son inséparable Friedrich Engels ont rédigé en 1847 le « Manifeste du Parti Communiste » : cherchez le Cygne, vous trouverez la Révolution ! Victor Hugo, exilé par « Nabot- Léon », résida au « Pigeon ». Quant au « Cornet », ce n’est pas un navire espagnol mais la maison des bateliers qui l’ont orné d’ancres, de cordages, et d’un fronton à la manière d’une poupe de galion. Les constructions actuelles datent pour la plupart de 1698, leur unité de style donnant du « chien » à cette Grand Place. La Maison du Roi, nommée probablement ainsi parce que le monarque n’y a jamais séjourné, est la plus récente, construite à la fin du XIXe siècle dans le plus style pur néogothique. C’est aussi la mieux éclairée la nuit !

Vous vous en doutiez, la Grand Place, ainsi que beaucoup de rues du centre, est pavée. Le roulage et la marche sont rapidement désagréables sur ces pierres aux angles coupés et aux joints trop larges. Quant aux trottoirs, ils sont fréquemment en mauvais état, voire boueux du fait de l’accumulation de travaux à répétition. Bruxelles est un chantier permanent et n’en finit pas de démolir et parfois rénover son patrimoine : une façade Renaissance côtoie un immeuble des années cinquante suivi d’une construction contemporaine verre et acier puis d’un hôtel XVIIIe ! Ce que les architectes nomment péjorativement « bruxellisation ».

Exemple, l’environnement de la cathédrale Saint- Michel et Gudule: sur la gauche, le bunker de la Banque Nationale, face à lui les tuyaux d’orgue d’un immeuble bancaire, au fond des bâtiments XIXe siècle, l’ensemble encadrant l’édifice religieux dont la construction a commencé au début du XIIIe siècle pour s’achever sous le règne de Charles- Quint trois cents ans plus tard! Cette église est d’un style presque unique en Belgique: elle rappelle les cathédrales françaises, avec ses tours carrées et sa stature massive accentuée par son emplacement sur une butte. Les piliers de la Nef sont ornés de statues monumentales de Saints divers. C’est là qu’on a marié, dans la royale pompe, « le » Philippe à « la » Mathilde. Quelques vestiges de l’église romane primitive sont visitables en sous- sol.

Avant de revenir dans le centre historique, vous pourrez toujours pousser jusque chez Mary, rue Royale, « fournisseur breveté de la Cour » pour les « pralines ». Et pourtant, le chocolat belge n’existe plus ! Depuis le rachat de l’industriel Côte d’Or par le suisse Suchard, les chocolatiers d’ici achètent leur cacao à l’étranger. La qualité des produits s’en ressent et même le roi et sa famille consomment des pralines désormais décevantes. En empruntant la rue Royale vers le sud, en direction de cette gigantesque choucroute qu’est le Palais de Justice, vous passerez près de l’un des deux Palais Royaux, ouvert au public au mois d’août seulement, pour arriver aux musées des Beaux- Arts. Les deux établissements sont reliés par un passage souterrain et on peut entamer la visite indifféremment par l’un ou l’autre : au programme, une avalanche de Rubens, une flopée de Bruegel, un zeste de Bosch (la célébrissime « Tentation de Saint- Antoine »… qui trouve d’ailleurs un pendant tout aussi fameux dans les collections d’art moderne avec la version surréaliste de Dali), des originaux de Magritte et, au détour d’une salle, « Marat assassiné » par David.

En nous dirigeant vers la Grand- Place, nous passons par les galeries Saint- Hubert. L’une porte le nom du Roi, la seconde de la Reine, la dernière des Princes. Commerces chics alternent avec des librairies et des cafés. On y a même trouvé des santons provençaux avec taraïettes au milieu des dentelles locales ! Prenez ici le temps de flâner dans ce décor de bois et de pierre illuminé par une verrière hémicylindrique ; l’endroit est très lumineux, calme, agréable. Pour retrouver l’agitation, tournez dans la rue des bouchers, à l’intersection des galeries du Roi et de la Reine. Nous voici dans l’une des rues à restaurants. Vous y trouverez probablement le meilleur et le pire de la gastronomie belge et mondiale. Les plats de rigueur semblent être les moules- frites et le waterzooï (matelotte de légumes, viandes ou poissons, et crème fraîche), servis copieusement. Puisque nous évoquons quelques aspects typiques de la vie locale, signalons une petite curiosité: si vous empruntez le train au départ de la gare du Nord, installez- vous à droite. En contrebas, vous verrez défiler des vitrines dans lesquelles des dames vêtues de lingerie fine observent le passant assises dans des poses suggestives. Les bars à « marlous » sont à l’étage!

Avec le Centre de la Bande Dessinée, nous entrons dans l’Art Nouveau, ce style reconnaissable entre tous qui fit de Bruxelles une capitale de l’architecture à la charnière des XIXe et XXe siècles. L’établissement vaut autant pour son esthétique que par la mise en valeur des collections de planches originales de BD. Cet ancien magasin de draps, construit en 1906 sur les plans de Victor Horta, a échappé à la démolition (ce qui ne fut pas le cas d’un autre de ses chefs d’oeuvre, la Maison du Peuple, détruite en 1965). Dans un décor chaud et éclairé par une vaste verrière très lumineuse, plusieurs expositions permanentes ou temporaires présentent le neuvième art dans tout ce qu’il a de belge : Tintin bien sûr, mais aussi Spirou, Astérix, Lucky Luke…

L’Art Nouveau voulait rompre avec le néoclassicisme qui sévissait à la fin du XIXe siècle et qui a légué tant de bâtisses aussi monumentales que laides. En vous promenant le long des rues, vous découvrirez ces maisons splendides qui datent d’une époque où la fantaisie des architectes se mariait à merveille avec la fonctionnalité des demeures de quelques privilégiés. Ainsi la famille Solvay, célèbre dans l’industrie chimique, disposait- elle d’un hôtel particulier sur l’avenue Louise. Porte en bois miel aux formes découpées toutes en rondeur, arabesques en ferronnerie, grandes fenêtres vitrées ouvrant latéralement sur un petit balcon en façade. Les bow- windows, si présents à Bruxelles, se déclinent ici en arc de cercle : la ligne courbe est très présente dans les ouvertures, faisant presque de chaque fenêtre une pièce unique de menuiserie. La ferronnerie est souvent tarabiscotée, les façades parfois décorées de mosaïques ou frises. Une visite dans l’une rares maisons ouvertes au public, celle de l’architecte Horta, 25 rue Américaine, vous donnera une idée des aménagements somptueux, fonctionnels et complexes d’une demeure bourgeoise de l’époque.

A plus de trois mille lieues de cette architecture révolutionnaire, le roi Léopold II tomba amoureux de cette tour japonaise entrevue à Paris lors de l’exposition universelle de 1900. Il la fit reconstruire sur le Domaine Royal. La tour abrite des expositions temporaires consacrées à l’art japonais. Face à elle, vous pourrez visiter un Pavillon chinois restauré de frais et plus maquillé qu’une voiture volée ! L’illusion orientale prend fin dès que vous passez derrière le bâtiment : la brique flamande est là, bien rouge elle aussi.

Quelques informations pratiques et conseils concernant l’accessibilité.

La ville est difficile aux personnes à mobilité réduite. La multitude de travaux, la poussière et la boue qui en résultent, l’entretien aléatoire du revêtement des rues et des trottoirs, les pluies fréquentes, les zones aux pavés glissants et fréquemment disjoints sont des gênes importantes. Vous voila prévenu(e)s !

– Grand Place : la plupart des maisons visitables ont des seuils et perrons. Accès difficile ou impossible en fauteuil roulant.
– Panorama : le plus beau point de vue sur la ville se trouve désormais au sommet des anciens magasins Old England, rue montagne de la Cour, qui abritent le musée des instruments de musique – à visiter si vous voulez être surpris par des Serpents ou un Cornet à sept pavillons. Vous pouvez accéder aisément à la terrasse par un vaste ascenseur ; demandez un billet gratuit pour vous rendre au restaurant… et visitez le reste. Attention toutefois : la rue est assez pentue.
– Cathédrale Saint Michel (et Sainte Gudule) : entrée par le côté droit, portail sud, derrière la statue du cardinal Mercier. Rampe amovible étroite pour le déambulatoire. Vestiges romans accessibles par escaliers seulement.
– Chocolatier Mary, 73 rue Royale : deux marches élevées pour entrer dans cette boutique au charme d’antan. Les méchantes langues prétendent que Godiva fait de meilleurs produits…
– Musées royaux des Beaux-Arts : le musée d’art ancien est accessible aux personnes en fauteuil roulant par une porte avec interphone située à droite de l’escalier principal. Des ascenseurs desservent toutes les salles ainsi que le musée d’art moderne mitoyen ; pour y accéder, demander l’aide d’un gardien, le circuit passant par les réserves ! Prêt de fauteuil roulant à l’entrée. Audio guide en supplément. Cafétéria à la cuisine convenable.
– Galeries Saint-Hubert : de plain-pied, elles sont parfaitement accessibles, ce qui n’est pas le cas de toutes les boutiques.
– Centre Belge de la Bande Dessinée, 20 rue des Sables : parfaitement adapté aux personnes en fauteuil roulant (demandez quand même la clé de l’ascenseur à l’accueil), son caractère uniquement visuel échappera aux aveugles et malvoyants. Prix d’entrée élevé. Pas de fauteuil roulant disponible pour la visite. Restaurant correct dans un cadre agréable.
– Tour Japonaise : totalement inaccessible aux personnes en fauteuil roulant. Pavillon chinois: une demi- douzaine de marches pour visiter un intérieur cossu… qui n’a rien de chinois !
– Maison Horta : une masse d’escaliers la rend absolument inaccessible en fauteuil roulant.
– Autoworld : situé parc du Cinquantenaire, ce musée présente des voitures anciennes et récentes, avec de nombreux modéles surprenants. Vous y verrez le premier camping- car, quelques véhicules de constructeurs belges (Minerva entre autres, la voiture du Roi), une Rolls aux sièges en peau de serpent ; à l’étage, ne manquez pas la 402 Peugeot Éclipse 1937 coupé cabriolet à toit rigide rétractable dans le coffre, l’ancêtre du CC actuel.

L’Atomium, bien que doté d’un ascenseur, est interdit aux personnes en fauteuil roulant pour raisons de sécurité. De toute façon, à part le panorama, il n’y a vraiment rien d’intéressant à voir…

Plus généralement… Les repas au restaurant sont généralement chers. Mais l’assiette est souvent (très) bien garnie, aussi pouvez-vous vous contenter d’un plat principal et d’un dessert. Le vin au verre est courant. Les transports en commun ne sont pas accessibles aux personnes en fauteuil roulant. Les belges sont tellement pressés de monter dans les véhicules qu’ils vous empêchent d’en descendre. Le même phénomène se produit avec les ascenseurs. Si vous utilisez une canne, n’hésitez pas à la lancer en avant pour vous frayer le passage. Les portes des tramways sont étroites, déconseillées aux fortes corpulences, et comportent trois marches.

Automobilistes, prudence ! Sur la plupart des carrefours, les véhicules venant de droite ont la priorité. Et les gens la prennent franchement. Attention aussi aux tramways : si vous gênez leur circulation, vous risquez une amende proportionnelle à la perte de temps que vous aurez occasionné. Les bruxellois conduisent tranquillement, il y a peu de motos, quasiment pas de scooters, sans doute un effet bénéfique des 200 jours de pluie annuels…

Un ouvrage recensant les activités accessibles vous sera particulièrement utile, c’est le guide Tourisme en Belgique pour personnes à mobilité réduite. Il présente chaque contrée, détaille une dizaine de villes importantes, comporte de nombreuses cartes routières et plans urbains, des adresses et conseils utiles, bref le seul guide dont vous aurez besoin ! Editions Touring/ Lannoo – Kasteelstraat 97 – B-8700 Tielt – Prix 24,95 euros + 4 euros pour frais d’envoi. Commande en ligne possible.

La Belgique est composée d’au moins deux communautés, francophone et néerlandophone, entre lesquelles les relations ne sont pas toujours très fraternelles. Le fort accent si fréquemment raillé est celui d’un néerlandophone parlant français. Si à Bruxelles les rues et la plupart des indications sont bilingues, vous n’aurez pas la même chance à Anvers, par exemple. Par ailleurs, il paraît qu’on ne plaisante pas au sujet de la famille royale…

Sur le Net : Le site officiel de la ville de Bruxelles ne propose guère que des renseignements administratifs. Cet autre site officiel (!) sera plus utile aux visiteurs : très complet et mis à jour régulièrement (agenda culturel, vie pratique, etc.) L’Office de promotion du tourisme offre quant à lui des suggestions de visites, une liste d’hôtels et d’événements, des cartes cliquables, des bases de données et de nombreuses brochures sur Bruxelles et la Wallonie à télécharger au format pdf. Bruxelles Online est un beau guide très complet pour visiter la ville, y habiter ou y entreprendre. Plus original, Bruxelles BD Tour vous invite à visiter la ville… en bande-dessinées.


Jacques Vernes, mars 2001

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