L’Art Roman a connu son apogée aux XIe et XIIe siècles. Le terme aurait été employé pour la première fois en 1818. Jusque là, on avait qualifié indistinctement de « gothiques » toutes les manifestations de l’art médiéval. Le choix du mot « roman » établit un parallèle entre le développement artistique et l’évolution linguistique. De même que les langues romanes étaient issues du latin, de même l’art roman aurait prolongé les traditions romaines jusqu’à la naissance du gothique. Bien qu’on ait conservé le terme de roman, la réalité qu’il recouvre apparaît de nos jours bien différente. Par rapport à l’héritage de Rome, l’art roman se définit autant par une rupture que par une continuité. Entre lui et le Bas- Empire prennent désormais place les formes propres à l’Europe des invasions et à l’art carolingien. Surtout, l’on sait maintenant que l’art roman constitue un véritable style, possédant son unité profonde et son dynamisme propre. On découvre en lui le premier grand style de l’Occident chrétien.

Une abbatiale miraculeuse au coeur du Rouergue. Conques est un haut- lieu de pèlerinage sur la route de Saint- Jacques de Compostelle; c’est aussi un site moyenâgeux bien préservé au coeur de son écrin- ravin, d’une beauté et d’une tranquillité remarquables. Ermitage au VIIIe siècle, puis abbaye au XIe siècle, l’église Sainte- Foy abritait de nombreuses reliques de saints de la chrétienté, autour du déambulatoire (la fabrication de reliquaires fut une industrie locale autour de l’An Mil). L’enfer qui orne le tympan est magnifiquement tentant ; sculpté au XIIe siècle, et d’auteur inconnu, on y distingue des restes de polychromie. Une visite guidée de l’église et de ses vitraux (oeuvre du peintre Soulages) est proposée chaque jour par le père abbé en personne!

On admire aujourd’hui le reliquaire de Sainte Foy dans la salle du trésor; il est somptueusement mis en scène. Récemment restauré, il ne contient plus la tête de la sainte décapitée au IIIe siècle à l’age de douze ans (mais où est- elle donc passée?). Sur une âme en bois, les feuilles d’or martelé sont couvertes de présents offerts par les pèlerins: gemmes, camées antiques, billes de verre…

Pour visiter les salles du trésor, non accessibles, priez ardemment Sainte- Foy de vous rendre l’usage de vos jambes; à l’instar de Guibert l’Illuminé qui, après avoir été énucléé, recouvra la vue vers 985, vous serez peut- être exaucé(e)… Autre solution, installé devant votre ordinateur, visitez Conques sur Web, site fort bien documenté et illustré.

Brinay, des fresques miraculées. En pleine champagne berrichonne se trouve un ensemble complet de fresques du XIIe siècle. On les découvre dans la minuscule église de Brinay (Cher), village situé à une dizaine de kilomètres au sud- est de Vierzon ; elles furent préservées par plusieurs couches de badigeon, jusqu’à leur mise au jour au début du XXe siècle. Dédié à Saint- Aignan, évêque défenseur d’Orléans lors de l’invasion des Huns en 451, l’édifice est typique des églises de campagne en Berry: un narthex étroit et bas couvert d’un toit pentu, une nef rectangulaire et un choeur auquel on accède en passant sous une arche. L’ensemble respire la simplicité, la tranquillité et invite au recueillement. Les fresques ont été peintes durant la seconde moitié du XIIe siècle. D’auteur inconnu, elles illustrent sur trois murs du choeur « la Vie silencieuse du Christ », ainsi que « le massacre des Innocents » sur la partie supérieure du mur faisant face aux fidèles. Par cette représentation « naïve », d’une grande maîtrise technique, c’est tout le mystère de la Foi que le peintre montrait aux ouailles; dans ces temps anciens, les fresques d’église étaient un outil d’enseignement des préceptes de la foi catholique romaine à des paroissiens le plus souvent illettrés. Saint-Aignan est aisément accessible en fauteuil. Pour ceux qui ne voudraient pas se déplacer, la visite de Brinay sur Net s’impose : créé par Yves Impens, internaute belge passionné par l’art roman pictural, il présente en détail l’ensemble des peintures de Brinay et propose aussi la visite en images de l’église de Jenzat (Allier).

Vézelay fut aussi un grand centre de pèlerinage sur les chemins de Compostelle. De l’abbaye fondée au IXe siècle, ne subsistent que l’ abbatiale, devenue basilique en 1920, et la salle capitulaire. Les maisons du village s’étalent devant l’église élevée au sommet d’une colline. La basilique abrite des reliques de Sainte Marie- Madeleine, « translatées furtivement » (volées, donc!) en 1050. Lors de l’ostention des reliques de la Sainte, la châsse entre dans le narthex. Autrefois dévolu à l’accueil des pèlerins, ce dernier est imposant par ses dimensions et les doubles portes qui le ferment, surmontées de tympans sculptés. Le reliquaire semble porté par la foule des processionnaires à travers la nef lumineuse, typique des églises de pèlerinage, avec son déambulatoire aux chapelles rayonnantes. De là partirent la deuxième croisade, à la suite d’un prêche éloquent de Saint Bernard (fondateur de Clairvaux), et l’armée de la troisième croisade. Après la découverte d’autres reliques de Marie- Madeleine, à Saint- Maximin (Var), Vézelay, frappé de plein fouet par cette concurrence, tomba en désuétude. La basilique est accessible avec aide : en arrivant à Vézelay, ignorez les incitations à stationner en dehors de l’enceinte médiévale et montez la rue principale (pentue) ; vous arriverez sur le parvis, où vous pourrez aisément garer votre véhicule. Il y a de nombreux Vézelay sur le net, alors commencez donc par celui- ci

Vestiges d’un empire monastique : Cluny. Fondée en 910 par Guillaume le Pieux, duc d’Aquitaine, l’abbaye de Cluny fut la maison mère de plus d’un millier d’églises et monastères auxquels elle imposa une règle commune (méditation, obéissance et travail). Trois églises furent construites : la première, en bois, a totalement disparu. De Cluny II et III, ne restent qu’un clocher et un croisillon du transept surmonté du clocher dit de l’Eau Bénite. L’abbatiale, qui comportait alors cinq nefs, deux transepts avec chapelles orientées, cinq chapelles rayonnantes autour du déambulatoire et un narthex de cinq travées a été démantelée de 1798 à 1823. Elle mesurait 187 mètres de long ce qui en faisait le plus grand édifice catholique avant l’actuelle Saint- Pierre de Rome. Quelques bâtiments conventuels existent encore : le farinier, dont la charpente en châtaignier fut réalisé par des charpentiers de marine, et le cloître du XVIIIe siècle, qui abrite désormais le Conservatoire National des Arts et Métiers.

Pour l’ordre clunisien, toutes les ressources de l’art devaient être employées à célébrer la gloire de Dieu. Il n’en reste plus grand chose aujourd’hui : quelques chapiteaux et ornements. Lors de la Révolution, les habitants avaient imposé aux moines l’ouverture de passages à travers l’église et le cloître attenant. La volonté de démanteler l’abbaye, symbole de l’alliance de la religion avec l’absolutisme royal, a été ici poussée à son paroxysme. Il faut aujourd’hui beaucoup d’imagination pour se représenter la splendeur passée de Cluny.

La visite des ruines, commentée par un conférencier des Monuments Historiques, passe à travers un parcours du combattant : marches innombrables, pavés, graviers… Elle ne semble pas envisageable en fauteuil roulant. Remarquons néanmoins une initiative louable : une maquette en bois et métal permet aux aveugles de percevoir l’abbaye telle qu’elle fut, et telle qu’elle est aujourd’hui. La maison du prieur Jean de Bourbon, transformée en musée, est accessible ; elle présente quelques sculptures et ornements, des manuscrits, ainsi qu’une vidéo présentant la reconstruction « virtuelle » de Cluny. L’entrée est gratuite pour les titulaires de la carte d’invalidité et leur accompagnateur. Pour la visite virtuelle, allez donc visiter la splendide iconothèque de Jean- Luc Bulber, ancien gad’zarts clunisien ; vous y trouverez même quelques images de synthèse…

Jacques Vernes, septembre 2001.

Pour plus d’informations…

Découvrez d’autres perles rares de l’Art Roman.
Visitez ce site non-officiel mais ô combien complet de la ville de Vézelay.
Le site officiel de la commune de Brinay est aussi dépouillé que son église.
Pour une visite virtuelle de Cluny et des infos touristiques, suivez ce lien.
L’Art Roman en noir et blanc : rien que des photos, et de très belle facture.
Le Web Roman : annuaire érudit rassemblant le nec plus ultra du Net Roman.
… Et un pélerinage à Compostelle vécu et dessiné par Agnès Fouilloux.

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