Enchâssée dans la baie de Saint-Malo, Jersey est, avec ses 14 km sur 8 et ses près de 90.000 habitants, la plus grande des îles anglo-normandes. Comme ces dernières, elle dépend de la Couronne britannique (représentée par un Lieutenant Gouverneur) mais dispose d’un gouvernement souverain (chapeauté par un Bailli) en dehors des questions liées à la défense et aux affaires extérieures. A ce titre, elle ne fait pas partie de l’Union Européenne et bat sa propre monnaie, la Livre jersiaise, équivalent à la Livre britannique.

Le paysage de Jersey, qui évoque irrésistiblement le bocage normand, et sa toponymie aux consonances françaises, rappellent que l’histoire des lieux s’est longtemps partagée entre deux puissants voisins. L’île a été occupée dès la préhistoire (on y accédait alors à pied) mais elle doit son existence « officielle » à Saint Hélier, qui y fut assassiné par des pirates au VIe siècle et donna son nom à la capitale. Vikings et Normands s’y sont succédés dans les pillages jusqu’à ce que le roi de France Charles le Simple offre la Normandie à leur chef, Rollon, dont la descendance sera à l’origine de la lignée des premiers rois d’Angleterre. Et en 1204, les îles anglo-normandes prêtèrent tout naturellement allégeance à ces derniers. Les Français, qui ne l’entendaient pas de cette oreille, n’eurent de cesse que de reconquérir l’endroit… en vain. L’ultime bataille (on devrait dire « escarmouche ») date de 1781.

Plus près de nous, l’île se souvient encore avec effroi de l’occupation allemande et de son « abandon » par un Winston Churchill peu enclin à la compassion. Jersey, rattachée à la France par les forces d’occupation, dépendait alors du département de la Manche. Un épisode fort bien relaté dans le musée (accessible) des Tunnels de guerre.

Saint-Hélier, paisible capitale d’environ 30.000 habitants, est également le principal débarcadère et unique aéroport de l’île. Un air de vieille Angleterre (avec conduite à gauche, taxis et enseignes typiques) y flotte pour le plus grand plaisir des visiteurs, principalement britanniques, mais c’est bien la douceur de vivre qui prévaut. A l’instar d’un Monaco septentrional, on y croise trois catégories distinctes : les habitants « ordinaires » (dont de nombreux immigrés), les touristes, qui se déplacent à pied ou en bus (les Connex sont accessibles), et une oligarchie assez discrète mais nombreuse de riches retraités, aristocrates en veuvage et stars du sport qui circulent dans de grosses voitures de luxe encombrant les routes étroites. Ces personnages, qui vivent entre-soi dans de splendides propriétés, appartiennent à une jet-set qui fait son shopping à Londres, Paris ou New-York ; il ne faut donc pas s’attendre à de grandes découvertes en la matière dans le modeste centre piétonnier de Saint-Hélier… Ni à de belles affaires : les prix y sont aussi élevés qu’ailleurs malgré la détaxe. Consolation : l’accueil y est courtois, l’atmosphère familiale, et on y comprend le français. Le stationnement réservé est en outre gratuit pour les titulaires de cartes européennes de stationnement. Quant à la nourriture, elle enchantera les amateurs de poissons et fruits de mer… et décevra les autres. Hormis sa célèbre race de vache, Jersey produit également une variété de pommes de terre particulièrement recherchée.

Un rapide passage par l’Office de tourisme (accessible) enseigne, à qui en douterait, que Saint-Hélier possède bien d’autres charmes. En matière muséale, tout d’abord : le Jersey Museum présente un panorama de l’histoire de l’île dans une ancienne demeure victorienne éclairée au gaz : une vraie rareté, qui plus est parfaitement accessible.

Également accessible, le joyeux bric-à-brac du Musée Maritime où les enfants, petits et grands, prendront beaucoup de plaisir à explorer, toucher, sentir même, la vie des pêcheurs de la région à travers de nombreuses reconstitutions et automates. Et si une visite du romantique Elizabeth Castle, sur son île défendant la baie, n’est guère envisageable en fauteuil roulant, le bord de mer offre d’innombrables opportunités d’émerveillement.

Jersey, Noirmont Point.

L’île compte en effet de nombreuses baies qui sont autant de plages. L’amplitude des marées y est très importante (plus de 12m), c’est même l’une des plus spectaculaires au monde, couvrant ou dégageant les récifs qui s’étendent à perte de vue. Le spectacle de navires échoués sur la grève et peu à peu gagnés par les flots est toujours fascinant…

Au-delà de la baie de Saint-Aubin, à l’ouest de Saint-Hélier, on pourra faire une halte à Noirmont Point où de nombreuses fortifications allemandes, préservées par une association, ponctuent un paysage de landes vertes ouvrant sur l’infini de la mer. La baie de Saint-Ouen, toute proche, offre tout à la fois une immense plage et un spot de surf réputé.

La côte nord, plus sauvage, ravira les amateurs d’impressions fortes avec ses falaises tourmentées battues par la houle, qui ne sont pas sans rappeler celles de Belle-Île en Mer (Morbihan). Il n’existe pas à proprement parler de route côtière mais les voies d’accès, débouchant souvent en impasse, sont nombreuses vers la plupart des sites remarquables du littoral.

Ange par Lalique à l'église Saint Mathieu de Jersey.

En chemin, il ne faudra pas manquer de faire halte à la merveilleuse (et accessible) église Saint Mathieu (baie de Saint-Aubin) dont les verrières et l’aménagement intérieur irradient de lumière grâce à la magie du cristallier René Lalique. Quant à la chapelle (romane) des pêcheurs de Saint-Brelade, c’est tout simplement un enchantement : abritée sous des arbres centenaires au milieu d’un cimetière infiniment poétique dominant la mer, il y règne un calme propice à toutes les rêveries.

Rêverie, encore, devant les nombreux forts, soigneusement restaurés, qui ponctuent le littoral. La plupart sont inaccessibles (et fermés à la visite) mais valent largement le coup d’oeil pour leur emplacement.

Mais Jersey offre aussi et surtout l’occasion unique de découvrir parmi les plus charmants jardins privés du continent européen. Les portes de certains d’entre eux ne s’ouvrent qu’avec parcimonie, lors de journées « Open gardens », par exemple (organisées tout au long de l’année : renseignez-vous à l’Office du tourisme) qui rencontrent beaucoup de succès. Le micro-climat qui prévaut sur l’île, et le génie des jardiniers, font des miracles : selon la saison, les pelouses impeccables se ponctuent de jonquilles, les mimosas s’illuminent, les magnolias embaument. Et une authentique Lady, au français suranné, vous offrira peut-être un camélia ! L’originalité de ces endroits hors du temps (et parfois difficiles d’accès) tient en effet dans la présence, en leurs murs, de passionné(e)s souvent fortuné(e)s qui éprouvent un réel plaisir à partager leur hobby. Nul doute que vous serez invité(e) à prendre le thé si le maître ou la maîtresse des lieux juge votre conversation agréable…

Les plus pressés… ou intimidés pourront se contenter d’une promenade dans le très beau Howard Davis Park (Saint-Hélier) ou d’une visite à la Fondation Eric Young (Victoria village). Cette dernière présente une époustouflante collection d’orchidées dans de vastes serres (accessibles) où l’on se promène au milieu d’une véritable forêt tropicale. Quant aux enfants, ils ramèneront sans doute de très beaux souvenirs du zoo, axé sur la conservation des espèces en danger, notamment les gorilles et les orangs-outans, qui peuvent s’y ébattre dans de très vastes enclos reconstituant leur habitat naturel.

Aisément accessible par avion (Twin Jet) ou par bateau (Condor ferries) depuis la France, Jersey est un havre de paix « exotique » plus reposant que nombre de destinations lointaines : il serait dommage de s’en priver !

Jacques Vernes, juin 2006.

Sur le web, le site Internet de l’Office du Tourisme propose, en français, une information très complète sur Jersey, ainsi que des données précises relatives à l’accessibilité.

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