Colonie espagnole de 1492 à 1898, Cuba est encore très imprégnée de cette culture qui évoque davantage l’Amérique latine que la Caraïbe. On y parle et on y pense en espagnol (même si les jeunes générations rêvent en anglais) et l’on conserve très vive la mémoire des combats qui ont conduit à l’indépendance. Avec quelques figures marquantes, dont l’emblématique José Marti (1853-1895), poète, homme politique et martyr dont le souvenir est soigneusement entretenu par le régime castriste, qui s’est d’emblée placé dans sa continuité historique. Il a d’ailleurs été aidé en cela par le protectorat américain qui a suivi la domination espagnole (véritable colonialisme, l’esclavage en moins), le soutien des mêmes États-Unis au dictateur Batista (1901-1973), et enfin le tristement célèbre embargo décrété en 1962 par l’administration Kennedy au lendemain de la révolution conduite par Fidel Castro. Condamné quasi-unanimement par l’ONU, ce bloqueo, comme l’appellent les Cubains, a eu pour effet de ruiner l’économie locale, appauvrir une population déjà dans le besoin mais surtout galvaniser celle-ci autour de ses dirigeants. La chute du « grand-frère » soviétique, dans les années 1990, a failli plonger le pays dans la disette mais une sorte de perestroïka à la mode locale a permis, ces dernières années, de remonter la pente avec une relative ouverture à l’économie de marché et l’entrée en lice d’un nouveau « grand-frère » : le Venezuela néo-socialiste d’Hugo Chávez.

Ces quelques données politico-historiques ne sont pas de trop, au-delà des propagandes de tous bords, pour comprendre (à défaut d’accepter) la réalité cubaine. Laquelle saute néanmoins aux yeux : un pays splendide, du pittoresque à tous les coins de rue, et des habitants hautement éduqués (et en bonne santé : les avantages du système…) qui affrontent les innombrables difficultés du quotidien avec bonhomie. Il en faut, en effet, pour supporter un système économique archaïque à deux monnaies, peso cubain et peso convertible, où le premier, dans lequel sont versés les salaires, ne permet pratiquement rien, quand le second, en principe réservé aux touristes avec une parité proche de l’euro, est quasiment le seul moyen d’accéder aux biens de consommation. Il en découle, avec le manque de perspectives en termes d’emploi et l’interdiction de voyager, une grande frustration, surtout parmi la jeunesse. Le tourisme est néanmoins perçu, non comme un mal nécessaire mais plutôt une opportunité de nouer des contacts et, éventuellement, améliorer l’ordinaire… Ne refusez pas ces moments d’échange : vous ne serez jamais importuné(e). Quelques Cubains parlent un français correct appris à l’école, la plupart comprend l’anglais, tous apprécieront que vous leur adressiez la parole dans leur langue. Par ailleurs, l’ambiance générale, toute caraïbe, est libre et détendue : nous ne sommes ni en Corée du nord, ni en ex-Allemagne de l’est !

'Bicitaxis' à Camagüey

Côté climat, c’est l’été toute l’année avec, selon les endroits, une touffeur parfois difficile à supporter. La plupart des lieux recevant du public dispose de l’air conditionné. La pollution, surtout en ville, est en revanche omniprésente, vétusté des moteurs oblige. Côté accessibilité, il ne faut évidemment pas s’attendre à retrouver les standards occidentaux mais les progrès sont constants, notamment en matière hôtelière, avec l’arrivée de grandes chaînes internationales comme Sol Meliá, dont les établissements intègrent ces critères. Les tour opérateurs les ont d’ailleurs en catalogue, à des tarifs qui ne sont pas forcément stratosphériques, même si la destination reste globalement chère et lointaine : une dizaine d’heures de vol. Bon à savoir : la compagnie nationale Cubana de Aviación est l’une des rares (sinon la seule) au monde qui propose un surclassement en 1ère classe aux alentours de 500€ aller-retour au départ de Paris, de quoi voyager confortablement sans trop se ruiner. Pour le reste, une fois sur place, il ne faut pas espérer d’abaissés de trottoirs ni d’accès de plain-pied, même s’ils existent parfois. Qu’on se le dise : hormis les hôtels de luxe, quelques restaurants, et de rares zones piétonnières, Cuba se visite avec aide lorsque l’on utilise un fauteuil roulant manuel, fût-on sportif émérite.

Il peut être original, et intéressant dans la progression des découvertes, de commencer un périple non pas par La Havane (qui n’a guère changé depuis la présentation que nous en faisions en 2006) mais, à 1.000 km plus à l’est, par Santiago de Cuba, seconde ville du pays, également desservie depuis Paris. Et de louer un véhicule (certains sont proposés avec chauffeur) plutôt que de subir les désagréments d’un voyage organisé où le handicap est rarement la préoccupation première… La voirie étant particulièrement vétuste et défoncée, vous ne risquerez pas l’excès de vitesse et serez libre de vous arrêter où bon vous semble. Des formules « autotour » sont d’ailleurs proposées par les voyagistes.

Fondée en 1514, Santiago de Cuba est une ville moyenne (420.000 habitants) pleine de charme dont les rues pentues offrent de jolies perspectives sur le port ou la Sierra Maestra, plus important massif montagneux de l’île et refuge des Barbudos, compagnons de lutte de Fidel Castro et de Che Guevara.

L’inaccessibilité de ses quelques musées (sauf, avec aide, le rez-de-chaussée de la maison du conquistador Hernán Cortés) ne gâche en rien le plaisir de déambuler, souvent en musique, au gré des places ombragées, des cours (patios) et des rues bordées d’immeubles colorés, où pétaradent les célébrissimes voitures américaines et des transports (de voyageurs comme de marchandises) épouvantablement polluants. En périphérie, non loin de la célèbre caserne de Moncada devenue école (petit musée inaccessible), le jadis très chic quartier de Heredia (du nom du poète José María Heredia, cousin de notre Heredia) conserve de splendides maisons coloniales à pilastres dont la décrépitude est fort poétique, mais que se partagent désormais des familles aux revenus aussi modestes que le reste de la population. La propriété privée n’existe pratiquement pas à Cuba : l’État possède tout, y compris les industries, les commerces et les transports. Un système ultra-égalitaire en circuit fermé qui crée peu de richesse (et pas mal d’injustices) mais garantit un niveau de vie minimum.

Un peu en dehors de la ville, le fort espagnol de San Pedro de la Roca (XVIIe siècle, aussi appelé Castillo del Morro), classé par l’Unesco en 1998, ouvre sur la mer des Caraïbes. Le bâtiment n’est pas accessible mais le site, correctement aménagé, ne manque pas de charme et permet de se restaurer avec une vue imprenable. La baie, en retrait, offre également quelques beaux panoramas. Quant aux inconditionnels du castrisme, ils pourront compenser l’inaccessibilité de la caserne de Moncada par une visite de la Granjita Siboney, sur une route bordée de monuments dédiés aux révolutionnaires tombés en 1953 lors de cette attaque.

Dominé par le pic de la Gran Piedra, l’immense parc naturel de Boconao qui s’étend tout autour, présente par ailleurs d’autres attraits, dont une étonnante « Vallée de la préhistoire » où des dinosaures de béton grandeur nature attendent le (jeune) public. Les adultes trouveront plus aisément leur compte quelques kilomètres plus loin, au Musée automobile, richement doté et plus facile d’accès en dépit des graviers : Buick le Sabre, Cadillac du chanteur Benny Moré, Chevrolet 51 qu’utilisa Raúl Castro, Oldsmobile de Madame Batista, Buick Skylark cabriolet (produite à seulement 150 exemplaires), Cadillac 1957 coupé de ville… Si vous avez la chance de tomber ce jour-là sur l’un des passionnés qui en ont la garde (et si vous parlez espagnol) vous passerez un moment inoubliable ! Encore plus loin sur la route, le long du littoral, les enfants apprécieront probablement l’aquarium de Boconao, avec son delphinarium et son tunnel à requins.

Direction plein ouest : sur la route de Santiago à Bayamo, arrêt « obligatoire » à la basilique Notre Dame de la Charité du cuivre (El Cobre), lieu de pèlerinage le plus sacré sur l’île, qui doit son nom à la première mine (XVIIe siècle) fournissant le minerai nécessaire aux ateliers d’artillerie de La Havane. Le Pape Benoit XV en a fait la Sainte patronne de Cuba en 1916 (voeu renouvelé par Jean-Paul II en 1998). C’est la seule basilique du pays, posée comme un bloc jaune au sommet de sa butte, d’où s’étend un paysage splendide sur la Sierra. A l’intérieur, une niche abrite la Vierge parée et couronnée d’or. Une partie seulement du sanctuaire est accessible en fauteuil roulant (entrée par la terrasse haute) mais la ferveur des fidèles et la multiplicité des ex-voto mérite que l’on y fasse étape. Même la mère de Fidel Castro y a déposé une miniature de son cher fils, et le grand Hemingway, Cubain de coeur, a offert la médaille de son prix Nobel. On le voit, le socialisme à la cubaine n’est pas un farouche ennemi de « l’opium du peuple » dénoncé par Karl Marx…

Bayamo, berceau du « père de la nation » Carlos Manuel de Céspedes (1819-1874) est une cité tropicale paisible dont l’organisation correspond, peu ou prou, à ce que l’on retrouve dans la plupart des villes de cette taille : une vaste place centrale ombragée autour de laquelle se distribuent d’élégants bâtiments administratifs aux couleurs pimpantes, parfois l’église, et une avenue principale piétonnière (très créative dans son aménagement à Bayamo). L’atmosphère y est animée, bon-enfant, et le touriste se rend vite compte que c’est une composante essentielle au plaisir de voyager à Cuba : on s’y fond aisément dans la population (toutes proportions gardées) et l’on se prend à l’imiter dans ses bonheurs simples. Ici une terrasse où s’attarder en contemplant le mouvement des piétons et de la circulation, là un concert improvisé, des enfants qui jouent, des vieillards qui discutent en fumant leur cigare…

Assez souvent aussi, une boutique rassemblant quelques artisans locaux permet de s’adonner à un shopping raisonnable : vêtements légers, tableaux (souvent d’excellente facture), instruments de musique… L’accessibilité est rarement au rendez-vous mais l’aide ne fait pas défaut. Il en va de même côté restaurants, où la musique est souvent meilleure que la cuisine. Celle-ci, victime de l’embargo et d’une gestion des stocks toute dirigiste, se résume la plupart du temps à ce que les Cubains eux-mêmes appellent « les trois P » : poisson, poulet, porc, sommairement apprêtés. Et n’espérez guère vous rattraper au moment du dessert… Aucun souci sanitaire, en revanche : sauf à le chercher, vous ne tomberez pas malade au restaurant ou à l’hôtel.

Musiciens galants à la Casa de la Trova de Bayamo

Camagüey, au centre du pays, est une cité essentiellement agricole. On traverse d’ailleurs, pour s’y rendre, de vastes plaines parcourues par des charrettes tirées par des chevaux. Peu de véhicules automobiles privés, ici : quand ils ne marchent pas au bord des routes, les habitants s’entassent sur ces charrettes ou dans des camions bringuebalants. Le centre-ville, préservé et charmant, vaut que l’on flâne au hasard des ruelles, et des patios lorsqu’ils sont ouverts; celui, par exemple, de la maison du révolutionnaire Ignacio Agramonte (1841-1873) avec ses tinajones typiques de Camangüey (grandes jarres pour récupérer l’eau de pluie) et ses salles d’exposition de plain-pied. Au coeur des vieux quartiers, la place Saint-Jean de Dieu, écrasée de soleil, présente une belle unité architecturale; on regrette que des bornes et chaînes mal placées rendent périlleux le passage en fauteuil roulant. Le musée installé dans l’ancien hôpital dispose également d’une cour ombragée très agréable. Repas accessible possible au restaurant Campana de Toledo, situé à côté.

En continuant vers l’ouest, et en quittant la longue route centrale, on peut bifurquer vers un incontournable des circuits touristiques, splendeur coloniale classée au patrimoine mondial de l’Unesco : Trinidad. Autant le préciser d’emblée : l’endroit, particulièrement photogénique avec ses splendides maisons et églises coloniales, est conforme à ce qu’en disent les guides, grappes de touristes, boutiques spécialisés et quasi-totale inaccessibilité en plus. Le pavé, ici, n’est pas seulement omniprésent et cahoteux, il est totalement défoncé et en pente ! Cela participe sans doute du charme des lieux (chanson déjà entendue ailleurs, y compris en Europe), mais vous voilà prévenu(e), et les malheureux valides qui vous viendront en aide. Quant aux musées, certes très richement dotés, vous ne pourrez en découvrir que le rez-de-chaussée… si vous parvenez à y accéder. Alors oui, enchanteresse Trinidad, mais pas pour les visiteurs handicapés, ni plus généralement d’ailleurs ceux, valides ou pas, qui recherchent une certaine authenticité et des contacts « vrais » avec des habitants, absents ici du centre-ville.

Il en va fort différemment de Cienfuegos, distante d’une centaine de kilomètres. À les entendre, c’est la ville préférée des Cubains. Il faut avouer que le site est splendide, au bord d’une vaste baie donnant sur la mer des Caraïbes. Et la cité elle-même, bien entretenue, se découvre au bout d’une longue jetée (Malecon) prolongée par une promenade arborée (Prado) bordée de beaux immeubles aux teintes pastel. Une rue piétonnière animée conduit à la place José Marti avec son kiosque à musique, ses palmiers royaux et ses bâtiments élégants qui abritent, outre la mairie, un centre culturel, un théâtre, ainsi que des boutiques d’art, d’artisanat et de restauration. On trouvera même quelques abaissés de trottoir ! À l’autre bout du Malecon, la punta Gorda aligne de merveilleux palais (transformés en restaurants, lieux de divertissement ou habitations collectives) et se termine par un petit parc très romantique ouvrant sur la baie. L’atmosphère paisible incline à prendre ici tout son temps…

Les inconditionnels du Che pourront faire halte à Santa Clara, haut-lieu de la Révolution à la périphérie duquel l’immense place de la Révolution, dominée par une gigantesque statue du héros, abrite un mausolée et un musée (accessibles) dédiés au célèbre barbudo.

À quelques encablures plus au nord, côté Atlantique et détroit de Floride, s’étendent plages immaculées et complexes hôteliers en formule « tout inclus ». On n’y rencontrera évidemment pas beaucoup de Cubains, mais force Québécois, qui ont plébiscité la destination. Et un confort ainsi qu’une accessibilité proportionnels au prix des chambres. Aucun système de mise à l’eau (de type Tiralo) ne semble en revanche disponible et les platelages, lorsqu’ils existent, finissent immanquablement dans un sable difficilement « roulable ». Les amateurs de flots turquoises, de sable blanc et de palmiers seront néanmoins comblés; ceux de calme seront bien inspirés de monter en gamme s’ils veulent échapper aux animations tonitruantes…

S’il n’y a commencé, un séjour à Cuba s’achève presque toujours par La Havane. Outre ce que nous en écrivions en 2006, la capitale continue la rénovation de son centre ancien. Il est toujours aussi agréable de s’y perdre et de s’y imprégner de l’atmosphère si particulière qui y règne. Ajoutons que les riches collections picturales du Musée des Beaux-Arts sont parfaitement accessibles, de même que la Maison des Orishas des Yorubas, place du Capitole. laquelle vaut vraiment le détour pour se familiariser avec un aspect très important de la culture religieuse cubaine : la Santeria, qui nécessiterait un article à soi seul. Dans un genre totalement différent, un point de vue époustouflant sur la ville peut être découvert depuis le sommet de la tour du monument à José Marti qui occupe un côté de la place de la Révolution : accès par rampe (assez forte), puis ascenseur. Les pigeons, là haut, sont des vautours ! Enfin, les couchers de soleil sont toujours aussi fantastiques à La Havane, que ce soit depuis le fort San Carlos (ou au restaurant de la Divina pastora, tout proche) ou le long du Malecon…

Jacques Vernes, décembre 2008.

Sur le web, les sites officiels Cuba Travel et Infotur proposent en plusieurs langues (mais pas le français…) une information généraliste incluant parfois le critère d’accessibilité. Idem, mais en français, pour le site Cuba Tourisme. Sachez enfin que le tour opérateur spécialisé Havanatour est en mesure d’organiser des voyages à la carte prenant en compte les besoins spécifiques.

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