Valentin Haüy est né en 1745 à Saint-Just-en-Chaussée, petit village de Picardie. Son père était un tisserand suffisamment riche pour être propriétaire de sa maison et faire en sorte que son fils eût pour marraine une abbesse et pour parrain un conseiller du roi. Le frère aîné de Valentin, René- Just, étant appelé du fait de son aptitude aux études à une belle carrière, la famille déménagea en 1751 pour la Capitale. Valentin poursuivit donc son instruction à l’Université de Paris où ses goûts le portèrent vers l’étude des langues : outre le latin, le grec et l’hébreu, il en arriva à pratiquer une dizaine de langues vivantes et se fit même, dès 1771, une spécialité dans le déchiffrement de manuscrits anciens et de graphies secrètes. Il vécut bientôt assez aisément de la traduction de documents officiels, notariés, commerciaux ou privés ainsi que de collaborations avec les forces de police.
C’est sans doute cette passion des modes d’expression qui le conduisit à s’intéresser d’abord aux sourds- muets, en simple « curieux » (il connaissait les travaux de l’Abbé de l’Épée), puis aux non- voyants. Il avait lu la fameuse « Lettre sur les aveugles » de Diderot et pu s’entretenir, au printemps 1784, avec la chanteuse et claveciniste vedette autrichienne Maria- Theresa Paradis, non- voyante, qui émerveillait alors les salons à la mode par son aisance et la variété de ses connaissances. Pour Valentin Haüy, dans la mesure où les aveugles avaient l’usage de leur langue maternelle, il lui semblait que leur cas ne soulevait qu’un seul problème : comment leur permettre de lire ?
Il fit réaliser à cette intention des caractères spéciaux (ceux des typographes ne convenaient pas) qui puissent être manipulés de manière à former des phrases ou des opérations mathématiques. En ayant fait la démonstration devant le Bureau Académique des Écritures dès l’automne 1784, il fut soutenu par l’Académie des Sciences grâce à l’aide de son frère, inventeur de la cristallographie devenu entre- temps abbé, qui était membre de cette vénérable institution, entre autres charges illustres. L’année suivante, Valentin Haüy fut nommé membre de la Société Philanthropique, de création récente, qui lui confia l’instruction de ses douze pensionnaires non- voyants. Un an plus tard, le nombre des élèves ayant augmenté, naissait l’Institution des Enfants Aveugles, ouverte à tous sans distinction de sexe et, surtout, de statut social.
L’idée originale de Valentin Haüy fut de gaufrer le papier à l’aide des caractères qu’il avait fait fondre, de manière à produire des livres en multiples exemplaires. Il fit construire à cette fin une presse appropriée au tirage en relief à laquelle il adjoignit un dispositif permettant de noircir les caractères saillants, quitte à les repousser ensuite. Ainsi, les aveugles pourraient imprimer, non seulement à leur usage, mais aussi pour le service des voyants, et comme Valentin Haüy rêvait déjà de faire des ses élèves des professeurs d’enfants voyants, ceux- ci disposeraient exactement du même livre que leur maître (si cette typographie convient à l’oeil, la forme des caractères traditionnels se prête mal, contrairement au Braille, à une identification rapide par le doigt, et les abréviations imaginées par Valentin Haüy n’améliorent guère la vitesse de lecture).
Mais l’Institution de la rue Notre- Dame des Victoires ne visait pas seulement à l’instruction : les élèves filaient, tordaient de la ficelle, tramaient des sangles, fabriquaient des filets, tricotaient. Quant à la musique, simple distraction au départ, elle devint bientôt un outil de sensibilisation du public à la cause des aveugles lors de démonstrations (payantes) au cours desquelles les élèves lisaient, composaient des phrases, effectuaient des opérations arithmétiques, utilisaient des cartes géographiques en relief et chantaient en choeur. Ainsi, se déroula à Versailles en décembre 1786 la présentation au roi Louis XVI et à sa Cour.
Après la Révolution, l’État pris intégralement en charge l’Institution (1791), hébergée avec celle des Jeunes Sourds au « couvent des ci- devant Célestins » (la mésentente entre Valentin Haüy et l’abbé Sicard, successeur de l’Abbé de l’Épée, aboutira, en 1794, à la séparation des deux institutions). Secrétaire du Comité Révolutionnaire de la Section de l’Arsenal, Valentin Haüy connut quelques déboires et deux incarcérations durant la Terreur. Sous le Directoire, il se convertit, autant par conviction personnelle que par calculs financiers, à la très en vogue Théo- philanthropie (« adorateurs de Dieu et amis des hommes ») dont il fut l’un des tous premiers adeptes et prosélytes. Sous le Consulat, il perdit la direction administrative de ce qui s’appelait désormais l’Institut des Aveugles- Travailleurs et choisit en 1802 d’abandonner la partie…
Mais, âgé seulement de 56 ans, il ne demeura pas inactif : il ouvrit, conjointement à une École des Langues du Nord et du Midi, une petite institution privée, le Musée des Aveugles (rue Sainte- Avoye à Paris) dont les élèves menèrent la vie qu’avaient connue leurs devanciers. Parmi eux figuraient quelques étrangers, dont le Flamand Alexandre Rodenbach qui participera en 1830 au mouvement pour l’indépendance de la Belgique et sera le premier aveugle à donner le point de vue d’un non- voyant dans sa « Lettre sur les aveugles faisant suite à celle de Diderot ». Sa réputation ayant franchi les frontières, Valentin Haüy partit en 1806 pour la Russie où l’attendait le Tsar Alexandre 1er, désireux de mettre en place une institution pour jeunes aveugles. Malgré les brimades et les déconvenues, il resta à Saint- Pétersbourg jusqu’en 1817. Il rentra à Paris divorcé, vieilli et amer, ne pouvant guère compter que sur le soutien de son frère René- Just. Réhabilité en 1821 au cours d’une séance solennelle à l’Institution Royale des Jeunes Aveugles (à laquelle participait vraisemblablement Louis Braille), il s’éteignit quelques mois plus tard, le 19 mars 1822 et fut inhumé au cimetière du Père-Lachaise où il repose désormais aux côtés de son frère…
Jacques Vernes, février 2002
Un grand merci, pour les sources documentaires et iconographiques, à l’Association Valentin Haüy pour le Bien des Aveugles (AVH), 5 rue Duroc 75343 Paris cedex 07. Tél. 01 44 49 27 27, fax 01 44 49 27 10, email : avh@avh.asso.fr.