Bachir Kerroumi et Hamou Bouakkaz sont deux personnalités du monde de la déficience visuelle. Ils sont tous les deux devenus, à la suite du changement de municipalité à Paris en juin 2001, conseillers techniques : Bachir Kerroumi auprès de Pénélope Komitès, adjointe en charge des personnes handicapées, et Hamou Bouakkaz aux côtés du Maire, Bertrand Delanoë. Il suit plus précisément la politique en matière de handicap et les relations avec la communauté musulmane. Ces deux militants associatifs se connaissent depuis longtemps; ils ont mené les mêmes combats en faveur de l’insertion, notamment professionnelle, des déficients visuels.

Bachir Kerroumi est devenu progressivement aveugle. Créateur d’un atelier de formation et d’études informatiques qui formait deux cents stagiaires chaque année, valides et handis mélangés, il s’est initié à l’informatique « sur le tas ». En 1985, il obtient une bourse de la Fondation de la vocation pour travailler à l’élaboration d’une synthèse vocale. Par la suite, il est devenu professeur au prestigieux Conservatoire National des Arts et Métiers après en avoir suivi quelques années les cours du soir. Durant cette période, il devient l’auteur de BrailleNet. Il est, depuis mars 2001, Docteur en Sciences de Gestion après avoir soutenu sa thèse sur la question de la déficience du management face au handicap (à consulter en ligne au format rtf). C’est presque par hasard que l’ancien militant du Parti Socialiste, qui a rejoint Les Verts après les dernières élections européennes, se voit proposer de rejoindre le Cabinet de Pénélope Komitès. Il la conseille notamment dans les domaines de l’emploi, de l’activité culturelle et sportive des personnes handicapées. Depuis sa nomination, il met ses idées en pratique, par exemple en matière d’emploi, sur le management des salariés handicapés: « on recrute des compétences et on recherche une productivité, on ne fait pas de l’emploi social ». En matière culturelle, il s’agit également pour lui de donner accès aux installations standards comme à l’ensemble des ouvrages des bibliothèques.

Il oeuvre aussi à l’intégration des handisportifs dans les clubs traditionnels, dans une pratique mixte ou des sections spécifiques. « Toutes ces idées passent bien, elles ont été approuvées et financées par les élus et deviennent des réalités à Paris. Mon programme de travail est très chargé, difficile, mais franchement, ça vaut le coup ! ». Bachir Kerroumi estime qu’être au coeur de la décision politique permet d’influer sur les projets et les actions. Il affirme toutefois que ses résultats ont été obtenus parce que l’actuelle équipe municipale « a la volonté de faire » et qu’elle a triplé en une année le budget consacré aux personnes handicapées.

Hamou Bouakkaz, quant à lui, est aveugle de naissance. Né en Algérie, ses parents sont venus en France, espérant guérir leur enfant, et sont restés. Toute son éducation scolaire, il la reçoit dans des établissements spécialisés, notamment à l’Institut National des Jeunes Aveugles de Paris. Il milite très tôt, par révolte contre sa condition marginale, demandant avoir accès à l’information: durant les années 1970, les aveugles étaient privés de presse écrite, coupés de la réalité extérieure. Lors de son entrée dans un lycée classique, Hamou Bouakkaz adhère aux Jeunesses Communistes et, deux ans plus tard, au Parti Communiste: à l’époque, il estimait qu’il fallait faire le bonheur des gens, fût- ce contre eux- mêmes! Depuis, l’expérience et le vécu ont fait évoluer ses convictions. S’il est un récent adhérent du Parti Socialiste, il demeure « communiste de coeur »…

Hamou Bouakkaz s’est engagé dans une filière technique qui l’a conduit à l’école supérieure des télécommunications de Paris puis au Crédit Lyonnais, dans les services informatiques. « J’ai toujours pensé que si on prenait les personnes handicapées comme base de référence, on améliorerait sensiblement la vie de tout le monde » estime- t-il. Cette idée sera au centre de l’opération d’information des déficients visuels lors du passage à l’euro dont il assure la conception et la direction générale. C’est l’idée d’aller au- delà de ses possibilités qui le motive et le pousse à agir. Il s’est rapproché de Bertrand Delanoë par affinité personnelle, « un coup de coeur pour l’homme, son charisme particulier, sa sensibilité ».

La part de la cécité.
 Bachir Kerroumi et Hamou Bouakkaz ont une forte personnalité, « la perception de nos interlocuteurs change, ils oublient rapidement que nous sommes aveugles pour se concentrer sur ce que nous exprimons ». « Au niveau politique, précise Bachir, on n’exige pas davantage des personnes handicapées à la différence de ce que j’ai vécu dans la fonction publique. Ce qui compte, c’est la valeur de la personne, pas son apparence ». Hamou joue de sa cécité: « j’en fais un argument marketing avec lequel je fais rire; je ne suis pas encore arrivé à la maturité. Et je me réfugie derrière ma différence parce qu’elle m’aide à faire passer mes idées ».

La présence de deux aveugles virtuoses de l’informatique fait évoluer la circulation de l’information dans les services de la Mairie. Les documents électroniques sont davantage utilisés, l’automatisation de certaines tâches de secrétariat et de gestion s’accroît. Cela simplifie le travail des conseillers qui disposent des mêmes documents et informations que leurs collègues, sans nécessité d’un transfert en braille. « Ici, affirme Hamou Bouakkaz, ce sont des handicapés qui sont les moteurs dynamiques du changement ! ».

Laurent Lejard, novembre 2002.

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