La vue de Michèle Sarloute a toujours été très faible, elle est devenue aveugle dès l’enfance. Elle a un vague souvenir des couleurs, le rouge notamment, et il n’est pas étonnant que ce soit l’une de celles qu’elle porte le plus volontiers. Parce qu’elle soigne son look, dehors comme chez elle. « Nous vivons dans un monde visuel. Même en jeans, même en faisant du sport, même chez moi, je soigne ma tenue. C’est toute une organisation ». Michèle assemble les couleurs avec goût, mais pour cela ses vêtements sont soigneusement rangés : suspendus, les pantalons sont classés par teintes (noir, foncé, couleurs). Les foulards coordonnés sont sur le porte- pantalon. Ceux qui vont plutôt avec une veste sont noués sur le cintre. Si le rangement est primordial, Michèle utilise aussi un système d’étiquetage des vêtements par code barre : un appareil édite et lit vocalement les informations sélectionnées par l’utilisateur. L’ensemble de ses vêtements et chaussures est classé en catégorie hiver et été; à chaque saison, Michèle change de collection. Les « hauts » sont rangés par couleur, d’un côté les blanc- beiges, de l’autre les gris- noirs, dessous les couleurs. Ses écharpes d’hiver, souvent en laine polaire, sont avec les gants assortis. Ses bijoux sont eux aussi soigneusement classés dans des petites boîtes. Elle préfère les matières nobles aux bijoux fantaisie, et l’or à l’argent. Bracelets, bagues, colliers sont assortis. Sa méthode de rangement la rend sure d’elle dans ses choix vestimentaires : « Je me trompe rarement ».

« J’évite d’avoir deux vêtements de formes identiques et de couleurs différentes pour ne pas faire de confusion s’ils n’ont pas une étiquette ou un signe distinctif ». L’assemblage est facilité par un nombre réduit de couleurs (noir, blanc, rouge sont ses teintes de base) et l’absence de vêtements bariolés ou à motifs: Michèle porte essentiellement de l’uni, sauf pour les foulards. « J’essaie d’emblée d’assembler les couleurs ». Sa soeur l’a aidé à composer sa garde- robe; actuellement, c’est avec des amies qu’elle fait ses emplettes. Elle se sert également chez des commerçants auxquels elle est habituée: « Je peux essayer, échanger ». Comme toute femme élégante, Michèle Sarloute coordonne sa maroquinerie (sac, gants et chaussures). Elle adore les chapeaux tout en estimant l’assemblage délicat. Michèle compte beaucoup sur sa mémoire, par exemple pour identifier les chaussures qu’elle souhaite porter parmi les nombreuses paires qu’elle possède. Elle les identifie par leur modèle, leur forme ouverte ou fermée et leur texture pour se remémorer leur couleur.

Si elle est le plus souvent en pantalon pour des raisons pratiques (et également pour éviter certains soucis liés au vent ou à la tranquillité d’une femme lorsqu’elle rentre tard chez elle par les transports en commun), Michèle aime bien les robes. Elle ne suit pas la mode mais s’enquiert, à l’automne et au printemps, des couleurs qui sont portées. Au fil du temps, elle devient plus classique dans ses goûts.

Le maquillage.
 Voici une difficulté à surmonter lorsque l’on ne voit pas : « Je n’achète pas seule les produits de maquillage. J’ai longtemps utilisé des fards à paupières sous la forme de crayons, mais la marque a arrêté le produit et je n’ai plus trouvé d’équivalent. Je me suis rabattue sur les pastilles, dans des teintes claires et pastels; s’il y a une différence d’application, elle se verra moins ». Une société de cosmétiques (Yves Rocher) propose bien une version braille de son livre Vert, mais aucune compagnie ne dispense de conseils de beauté adaptés aux besoins spécifiques des femmes déficientes visuelles.

Michèle Sarloute se maquille peu: fond de teint, rouge à lèvres. Elle étiquète ses produits avec les moyens du bord, un élastique, du scotch; la plupart sont des petits objets impossibles à marquer en braille. Elle reste attentive quand elle manie crayon ou tube: « Souvent je sens quand le trait dépasse légèrement. Le maquillage est très dur à réaliser quand on est aveugle. Plus on en rajoute, plus le risque d’erreur est grand ». Dans les grandes occasions, elle confie cette tâche à son coiffeur. Elle avoue qu’elle aurait aimé jouer avec les couleurs si elle avait vu, même pour ses cheveux. Elle les veut blondissants, pour éclaircir une teinte naturelle châtain clair. Michèle n’a pas de « conseiller beauté » et a appris toute seule à gérer sa cécité: « Y compris pour manier la canne blanche, je n’ai pas évolué dans un monde d’aveugles. Ma scolarité s’est déroulée dans des écoles traditionnelles, jusqu’au Baccalauréat. Ce n’est que pour mes études de kiné que je suis entrée dans un établissement spécialisé ». Kinésithérapeute depuis une vingtaine d’années, Michèle travaille au contact du public. Mais c’est surtout pour son bien- être, pour sa fierté de femme, que Michèle est élégante…

Laurent Lejard, novembre 2003.

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