« Venez rire de Miro ! », tel est le titre du spectacle d’humour que reprend Norbert Rocher dans un théâtre parisien. Il présente une succession de sketches mettant en scène des péripéties du quotidien, des histoires qui lui sont arrivées durant son parcours de malvoyant puis d’aveugle. « Miro » est d’ailleurs construit en trois parties : l’aveugle et son chien-guide, la canne blanche et le malvoyant : « Je fais le parcours à l’envers, pour dédramatiser, montrer que ce n’est pas si grave. Ma vue s’est détériorée progressivement, du fait d’une rétinite pigmentaire. La vision est comme un puzzle dont on enlève progressivement des morceaux. Alors que j’étais dans un collège ordinaire, en 3e, ma vue est devenue tubulaire, j’étais obligé de hacher le texte quand je le lisais syllabe par syllabe ‘leuh meuh sieur teuh deuh man deuh’, et tout le monde était mort de rire, pensant que je n’étais pas bien dans ma tête. Et moi, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait : le cerveau compense, j’avais l’impression de voir normalement ! Après, j’ai poursuivi ma scolarité dans un établissement spécialisé, je me suis senti moins seul avec mon handicap, puis à l’Association Valentin Haüy où j’étais avec des aveugles, je me sentais plus heureux, avec davantage de confiance en moi, mais sans accepter mon handicap. J’ai travaillé comme kiné, mais ma vue s’est tellement altérée, les déplacements devenaient si dangereux que j’ai pris une canne blanche. Mais je n’étais pas bien avec, j’avais l’impression d’être le pauvre aveugle pitoyable. J’ai arrêté de travailler, je ne voulais plus sortir de chez moi, j’étais désespéré, seul. Une amie avait un chien-guide, j’ai essayé et je suis senti revivre, libre. Je peux aller où je veux, sans aide. J’ai retrouvé le goût de vivre, énorme ».

« Quand j’étais jeune, je pouvais me déplacer sans canne ni chien, lire et écrire. Mais je voulais quand même cacher que j’étais malvoyant et il m’arrivait des quiproquos. Par exemple, en boîte de nuit, je crois danser avec une fille, alors que c’est un mec. Très play-boy, je vais rejoindre une fille à sa table, et je m’assois… sur les genoux de sa copine. Je vais au bar et demande à deux filles si elles dansent : c’étaient deux hommes. Les gens ne remarquaient pas que je voyais mal, ils me croyaient saoul ou provocateur, bizarre. J’ai étudié la kinésithérapie à l’A.V.H, et dans un hôpital; mon chef connaissait ma malvoyance, mais pas les autres personnels; un jour que je tamponnais le chariot de l’infirmière, une patiente m’a dit : ‘alors, t’es encore blindé ce matin ?’. Je le vivais mal, je n’acceptais pas mon handicap, c’était une souffrance ». Souffrance que Miro évacue en jouant sur scène des épisodes de sa vie, cocasses ou douloureux, une thérapie qui prend la forme d’un exutoire pédagogique : « Le grand public ne connaît pas le monde des aveugles, les imagine un peu arriérés mentaux, il vous habille, vous porte, vous monte dans le bus. Je me souviens d’une dame, bénévole dans une association, qui m’avait accompagné un jour d’élection; elle voulait m’obliger à voter comme elle, pour son candidat ! Dans mon spectacle, j’explique avec humour le monde des aveugles, les choses à ne pas faire, pour que le public ait une approche positive du handicap, loin de la peur et de la tristesse ».

Au quotidien, Norbert Rocher se fixe un défi à relever : « Arriver à faire la même chose que les voyants, sans y voir. Dans mon appartement, j’ai essayé et réussi la peinture, alors j’ai tenté le papier-peint. Je pousse à l’extrême, pour atteindre mes limites. Par exemple, je vais faire mes courses en essayant de rien demander à personne ». Avec son spectacle, il espère ouvrir aux autres le monde des déficients visuels et son défi est en partie gagné, y compris financièrement : la première série de représentations se sont terminées par des salles combles, ce qui a couvert les frais de location du théâtre. Et s’il espère pouvoir rentrer dans ses frais avec la seconde série. Ce qui compte pour lui, c’est de faire rire durant une heure des « mirauds » pour qu’ils soient respectés tout le reste du temps…

Laurent Lejard, février 2007.


Venez rire de Miro ! jusqu’au 30 mars 2007, à l’Alambic Studio Théâtre (12 rue Neuve de la Chardonnière, Paris 18e). Réservations : Tél/Fax 01 42 23 07 66 ou par mél. Tarif spécial pour les lecteurs de Yanous : 13€.

Partagez !