Une petite rue à mi-chemin du parc des Buttes-Chaumont et de la Cité de la Musique, un immeuble en béton blanc. Passé le hall d’accueil et ses portes automatiques, les couloirs sont calmes, mais un peu froids, la quasi absence de décoration et l’éclairage laissent, pour un voyant, une impression d’établissement hospitalier. Dans les appartements, l’ambiance est différente, construite par chaque résident qui meuble comme il le veut, parfois en collaboration avec l’ergothérapeute pour définir la meilleure occupation de l’espace. Toutes les salles de bains individuelles sont assez vastes, avec douche à siphon de sol, ce qui rend possible l’accueil de personnes en fauteuil roulant sous réserve de quelques adaptations complémentaires.
Le centre résidentiel accueille plus d’une quarantaine de personnes âgées, dont une centenaire, et presqu’autant de jeunes travailleurs. Jeunes dans une conception d’ailleurs assez extensive, le plus âgé des pensionnaires ayant actuellement 44 ans. L’établissement veut jouer la carte, à la mode ces temps-ci, de « l’accueil intergénérationnel ». Sauf qu’ici il se pratique depuis l’ouverture, en 1994. « La résidence a été créée à l’occasion du centenaire de l’A.V.H, précise Laurence Sisman directrice de l’établissement, parce qu’on avait constaté deux carences : le soutien au maintien de l’autonomie des déficients visuels âgés et les difficultés de logement rencontrées à Paris par les jeunes travailleurs ». Jeunes et vieux peuvent ne pas se croiser s’ils le souhaitent, chaque unité d’hébergement disposant de sa propre entrée donnant sur des rues distinctes. Sont notamment communs la cafétéria et la salle à manger. Chaque résidence dispose de ses locaux de service et d’une laverie. Les jeunes travailleurs sont logés durant deux ans au plus mais des dérogations sont parfois accordées compte-tenu des difficultés particulières rencontrées pour se loger dans la Capitale quand on débute professionnellement ou que l’on suit une formation longue. Les chambres, toutes individuelles et avec salle de bains, sont meublées de manière basique : lit, bureau, rangements, l’ensemble rappelant les chambres de cité universitaire, pour un loyer de 630€ avec 20 repas, aide personnalisé au logement non déduite. Et les 39 résidents doivent jongler avec le règlement intérieur en matière de vie affective et sentimentale en demandant une chambre d’hôtellerie, et l’absence de cuisine individuelle comme collective, le four à micro-ondes étant le seul appareil de cuisson toléré. Malgré ces contraintes, le foyer jeunes travailleurs affiche complet, occupé aux deux-tiers par des malvoyants, un tiers d’aveugles et quelques voyants exceptionnellement admis quand une place est libre.
Si les jeunes travailleurs bénéficient d’un simple hébergement, les personnes âgées ont accès à des services dédiés. Laurence Sisman précise : « La déficience visuelle fragilise davantage des personnes qui font face au vieillissement et la plupart de nos résidents sont devenus tardivement malvoyants ou aveugles. Ici, ils reçoivent une écoute particulière, dispensée par du personnel formé aux déficiences visuelles, un ergothérapeute aide au quotidien ». Deux accompagnateurs salariés apportent chaque jour leur concours aux personnes qui veulent sortir aller faire des courses, effectuer des formalités, etc. Avec le souci de ne pas faire les choses à leur place mais aider les personnes à conserver le maximum d’autonomie, condition nécessaire pour demeurer dans la résidence qui a le statut de foyer-logement non médicalisé, proche de la résidence services. Avec une contrepartie conséquente, le prix du séjour : près de 1.000€ par mois pour un studio nu avec kitchenette, et 1.300€ pour un deux pièces, avec 20 repas inclus. Auxquels il faut ajouter électricité, téléphone et autres frais. « Notre public, ce sont les classes moyennes. La résidence n’est pas pleine, elle n’a jamais atteint 100% d’occupation ».
Ce qui génère un déficit permanent d’exploitation; actuellement, 45 des 55 places sont occupées. Diverses activités sont proposées, que les pensionnaires pratiquent volontiers : poterie, terre, cannage, tissage, cuisine éducative, etc. Cette dernière permet aux résidents de continuer à cuisiner, à rechercher avec l’ergothérapeute les solutions de contournement des difficultés liées à la déficience visuelle. Divers matériels sont mis à disposition : machine à lire, téléagrandisseur, etc. Un quart de résidents sont braillistes, ils sollicitent beaucoup la bibliothèque de l’A.V.H. « Les résidents reçoivent qui ils veulent quand ils veulent. Leur vie privée est respectée. Nous accueillons les couples, quel que soit leur statut ou leur orientation sexuelle. Ils peuvent faire héberger dans des chambres d’hôtellerie un hôte de passage ». Depuis l’ouverture de l’établissement, quelques espoirs de l’A.V.H ont été partiellement déçus : « On espérait que les pensionnaires mèneraient une vie active. Mais en pratique, l’âge d’entrée est souvent supérieur à 80 ans. Chacun veut être respecté dans son rythme de vie, variable selon les gens. Ce qui les fait entrer chez nous, c’est la solitude, l’insécurité, l’incommunicabilité, le besoin de parler. Des couples se sont formés ici. Dans d’autres établissements, les portes se ferment, la déficience visuelle désoriente et n’est pas prise en charge ». La principale préoccupation des résidents est la propreté, « pour que ça ne sente pas le vieux ».
Madame Montjotin est une « jeune » résidente, entrée en novembre 2006 : « J’ai fait ce choix parce que j’ai perdu la vue; j’étais professeur de dessin, ma fille avait entendu qu’ici on pouvait faire des activités. Chez moi, je m’ennuyais : je bridgeais et les bridgeurs sont trop sérieux au jeu pour accepter une aveugle ! J’étais dépendante dans mes déplacements; je pensais qu’en venant à la résidence je serais moins seule. A cause d’un problème physique, je n’ai pu tout de suite pratiquer les activités, j’espère maintenant parvenir à faire quelque chose de joli. Je ne sais pas comment j’aurai fait ailleurs, on ne trouve personne pour être aidé. Je ne regrette pas mon choix ». Monsieur Fuichs, titi parisien gouailleur qui pousse la chansonnette dès que l’occasion s’en présente, se dit « très heureux »; Monsieur Alamarie, quant à lui, s’est bien inséré : « J’ai apprécié l’ambiance ! ». Madame Cointre est là depuis dix ans : « On vit chacun chez soi, je me sens libre depuis que je suis ici, j’apprécie beaucoup la résidence, et j’aime pratiquer les activités ». Chacun trouve ici au quotidien ses petits bonheurs…
Laurent Lejard, mars 2007.
Pour en savoir plus : Centre résidentiel Valentin Haüy, 64 rue Petit 75019 Paris. Tél. 01 53 38 55 65, Fax : 01 53 38 55 60, avh.ceres@free.fr.