André-Marie Tala est né en 1950 à Bandjoun, un village de l’ouest du Cameroun devenu depuis une ville. À 15 ans, il commence à perdre la vue, à 16 ans il est aveugle à cause d’un double décollement de la rétine. « J’ai commencé à chanter en 1968-69, avec des débuts relativement corrects, dans le contexte africain, au Cameroun. Je n’avais pas de magnétophone, je ne connaissais pas le braille. Mais j’avais la passion, j’ai appris la guitare avec des amis. Quand on est jeune, on a une bonne mémoire pour tout retenir, ma cécité ne m’a pas longtemps gêné ». Sa rencontre avec Manu Dibango lui ouvre les portes d’une grande maison de disques, Decca, et sa carrière est lancée : « J’avais créé un groupe, les Black Tigers, qui a joué jusqu’en 1978. Les jeunes Africains aiment la musique avec passion, au moins autant que le football. Un chanteur aveugle, qui joue bien la guitare, ça surprend toujours, ils sont curieux, ça les attire, il n’y a pas de rejet ».

André-Marie Tala est orphelin de mère depuis l’âge de quatre ans, il avait 16 ans quand son père est mort, c’est sa grand-mère et l’un de ses oncles qui l’ont élevé : « Quand j’étais enfant, je jouais déjà de la musique avec tout ce que je trouvais, je faisais danser. Dès que j’ai perdu la vue, je suis allé voir mon oncle qui jouait de l’accordéon et de la flûte. J’ai baigné dans un environnement musical, à 17 ans je dirigeais mon propre orchestre. On écoutait toutes les musiques : rock, pop, rythm and blues, rythmes africains, je me suis imprégné de tout ça. Mon groupe interprétait toutes les tendances, du jazz au blues, de la pop à la variété. Je suis un musicien de variétés, même si j’ai lancé mon style, le Bend Skin. Je joue dans les boîtes, les cabarets. Dans ma jeunesse, on se produisait six jours sur sept, tous les soirs de 21 heures à 3 heures, parfois 5 heures du matin, c’était une véritable école, un direct permanent avec le public, avec une interprétation qui devait se rapprocher le plus possible du disque et de la version originale des titres que l’on chantait. Aujourd’hui, je sais ce que je peux proposer à chaque public, qu’ils soit français, nord-américain, africain, en privilégiant le rythme ou la mélodie, ou en mixant les deux. Je tourne en Afrique, en Europe, en Amérique du Nord, dans des festivals, des boites de nuit, des soirées privées ».

C’est en Allemagne qu’il faudra aller entendre André-Marie Tala ces prochains mois, il n’a pas encore de date de spectacle en France pour 2008. Au printemps, il sera au Cameroun pour assister au concours Jeunes Talents dont il est le parrain cette année. Si sa carrière a connu, comme beaucoup de chanteurs, des hauts et des bas, sa discographie est riche d’une vingtaine d’albums qui ne lui rapportent malheureusement que peu de revenus : « Je suis l’un des artistes les plus piratés au Cameroun, on brade mes disques dans la rue ! ». Très développée depuis l’apparition de la cassette audio en Afrique, la copie pirate a pris un nouvel essor avec le CD : la plupart de ces copies ressemblent à s’y méprendre aux disques originaux. Il a également manqué à André-Marie Tala de rencontrer le producteur qui aurait assuré la pérennité de sa carrière. Il pensait l’avoir trouvé avec Claude François qui l’a fait venir en France en 1978, mais la mort prématurée du célèbre chanteur de variétés a mis un terme à ce projet : « Il faut savoir frapper à la bonne porte au bon moment, pour accéder aux radios, aux télévisions ».

L’une de ses chansons, « Je vais à Yaoundé », a pourtant connu les honneurs d’une citation par le Président François Mitterrand en 1983 lors de son voyage officiel au Cameroun; son texte, qui évoque l’exode rural, figure dans un manuel scolaire de classe de 5e. Dans ses créations, André-Marie Tala dénonce les maux récurrents de l’Afrique, son sous-sol riche alors que les peuples sont pauvres, les difficultés sociales.

Le Cameroun n’acceptant pas la double nationalité, André-Marie Tala est simplement résident en France : « Mes enfants sont Français, je suis un Camerounais vivant en France, mêlant plusieurs cultures, voyageant dans toutes les régions du monde, dans un environnement qui nous propose toujours autre chose. Musicalement, ça m’a conduit à la Fusion, à faire de la World Music dès 1996 avec l’album Black Woman. Je défends aussi la langue française. Pour l’instant, je ne suis pas dérangé par l’administration française quand je renouvelle mon titre de séjour, mais je suis frustré quand on me demande depuis quand je suis en France, ce que j’y fais, par ce traitement sans distinction de tous ceux qui vivent ici. Rien ne peut remplacer la France dans ma vie aujourd’hui, j’y ai tous mes repères ».

André-Marie Tala espère pouvoir se relancer auprès du public français : « Il faut aller vers l’efficacité, réussir à maintenir l’attention, démontrer que l’on est compositeur, mettre l’accent sur la qualité d’instrumentiste et d’interprète ». Et il espère retrouver rapidement la chaleur de son public, celui qui participe dans l’enthousiasme, monte sur scène, encourage le chanteur parce que la musique, c’est sa vie !

Laurent Lejard, janvier 2008.

Partagez !