« Double lumière« , tel est le titre du récit autobiographique de Brigitte Kuthy Salvi, avocate installée à Bienne (canton de Berne). En une succession de moments de vie, elle raconte son passage de la lumière vers sa lumière, celle qui l’accompagne quotidiennement depuis ses 15 ans, année de son entrée en cécité. Un récit qui rappelle celui du philosophe Jacques Lusseyran, même si Brigitte Kuthy Salvi ne s’y retrouve que très partiellement : « Il y a mille façons d’aborder la vue, mille façons d’aborder la vie, confie-t-elle. En lisant son livre, il y a des choses que je ressentais, mais je me sentais très différente ». Reste que ces deux auteurs témoignent de cette capacité rare de faire partager au lecteur un monde non-visuel rempli de lumière et d’images, éléments qui ont construit leur philosophie et donné un sens à leur vie.

Celle de Brigitte Kuthy Salvi s’est orientée vers la défense des plus faibles, une vocation qui est venue après sa cécité : « A 15 ans et demi, mes rêves étaient ailleurs que vers la profession d’avocate, qui m’a attirée quand j’ai eu 18 ans ». Deux avocats français ont déterminé sa vocation : Gisèle Halimi et son ouvrage « La cause des femmes », Robert Badinter et son combat contre la peine de mort. Mais cela n’a pas été aisé : « Il m’a fallu déployer des trésors d’imagination et de conviction pour me faire une place. Tout le monde, sauf ma famille, me disait que c’était impossible ! »

L’entrée au lycée fut difficile parce qu’en Suisse il n’existait pas d’établissement adapté aux déficients visuels : « J’étais livrée au bon vouloir des professeurs et de la direction. Cela s’est bien passé avec tous, sauf un professeur fâché de devoir adapter son enseignement et qui voulait me donner une note de complaisance. J’ai exigé d’être interrogée comme les autres élèves. En fait, je l’ai appris plus tard, ce professeur craignait de perdre la vue et ma présence lui renvoyait ses angoisses… »

Brigitte Kuthy Salvi s’est orientée vers le droit pénal parce qu’il fait rencontrer l’autre, qu’il repose sur l’accompagnement des victimes, que sa matière est limitée et que la vision n’est pas primordiale. Doit-on y voir un impact de ses lectures adolescentes, elle assure la défense des victimes d’abus sexuels et privilégie les affaires portant sur le droit de la famille.

Elle s’interroge néanmoins sur l’impact qu’a eu sa cécité sur son choix professionnel et sa perception de l’autre : « Qui serais-je aujourd’hui si je n’avais pas perdu la vue? Je connais des avocats qui ont la même perception que moi. Mais mon attention n’est pas dispersée par des éléments visuels, bien que je ne sois pas à l’abri d’une perception négative résultant de choses déplaisantes, tel un parfum que je n’apprécie pas, ou le ton d’une voix ».

Ce goût de l’autre est ancré en elle depuis l’enfance, et s’exprime notamment dans ses voyages dont un l’a conduit jusqu’au Yémen : « J’y suis allé en 1996, dans une période d’accalmie, avec mon compagnon. C’est un pays absolument magnifique, j’y ai vécu des moments émouvants. J’ai pu visiter un hammam, le jour des hommes, parce que je ne voyais pas : un homme m’a prise par la main, m’a guidée dans une atmosphère inouïe ! Quelquefois les portes s’ouvrent plus grandes, parce que les gens sont surpris de l’intérêt et du plaisir à découvrir, sont touchés, ouvrent leurs tiroirs secrets, le fait que je ne vois pas les amène à se confier ».

Mais comment définit-elle sa lumière ? « Si je pouvais le faire en quelques mots, je n’aurais pas écrit ce livre. A ma manière d’écrire, vous reconnaitrez un aspect particulier sur la vie, sur la vue ». Une invitation à découvrir la sensibilité de ce regard différent sur le monde…


Propos recueillis par Laurent Lejard, mai 2009.


Double lumière, par Brigitte Kuthy Salvi Editions de l’Aire, en librairies (sur commande) et grands réseaux en ligne (Amazon, Fnac, Alapage, etc.), 18€.

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