Il y avait foule, le 1er juillet dernier, pour assister à la présentation d’images tactiles d’une dizaine d’oeuvres de la collection du Centre Pompidou à Paris. Une initiative entièrement financée par le lunetier Alain Mikli qui avait déjà réalisé en 2003 l’adaptation tactile de quelques photographies de la collection de Yann-Arthus Bertrand « la Terre vue du ciel« , actuellement exposée à Chambéry (Savoie). Après cette première réalisation, Alain Mikli a voulu poursuivre sa participation à la mise en accessibilité tactile d’oeuvres d’art, avec une première difficulté inattendue : « Avec mon équipe, on a proposé la réalisation d’images tactiles à des musées… qui ont tous refusé, jusqu’à ce que le Centre Pompidou accepte ! ». Centre Pompidou qui apprécie et aimerait bien poursuivre cette démarche qui ne concerne actuellement que cinq tableaux de la collection d’art moderne et cinq autres d’art contemporain. « Il a fallu 22 mois de travail pour aboutir à la dizaine d’oeuvres présentées, explique Alain Mikli. On a fait le choix d’une mise en noir et blanc et relief avec graduation de gris. Le relief est obtenu par le fraisage robotisé d’une plaque d’acétate, un matériau que nous connaissons bien parce qu’on l’utilise pour la fabrication de nos lunettes, il est hypoallergénique ce qui est très important. À côté du tableau, un texte explicatif est inscrit en noir grands caractères et couvert d’une plaque adhésive transparente reproduisant en braille son contenu ». Alain Mikli estime entre 4.000 et 5.000€ le coût de réalisation technique d’un tableau adapté en tactile. Un coût qu’il absorbe au titre du mécénat culturel, et une action expérimentale qu’il envisage de poursuivre en fonction du retour d’expérience et de l’intérêt du public pour cette première initiative.

Une initiative loin d’être isolée, même si la mise en accessibilité aux déficients visuels d’oeuvres picturales ou de représentations graphiques reste encore à développer à grande échelle. La société parisienne Standardnonstandard (sic) développe des interfaces tactiles pour des musées, des expositions techniques ou scientifiques, etc. « La demande n’est pas forte, constate Marie de Ramefort, expert en accessibilité. Les responsables d’établissements culturels pensent braille, mais pas tactile ». Sous la marque Aptik, cette société a déjà travaillé pour la Cité des Sciences et de l’industrie de La Villette, le Panthéon, la Bibliothèque nationale de France, le château des Ducs de Bretagne à Nantes. Ses supports sont réalisés sur des matériaux synthétiques, tels le polyuréthane ou le verre acrylique, inaltérables et prévus pour une longue durée d’utilisation sans jaunissement. Des objets peuvent être intégrés par collage si nécessaire, la technique de fraisage limitant la hauteur des niveaux de relief; l’ensemble repose sur la modélisation informatique alliée à l’utilisation d’une imprimante 3D et d’une machine de fraisage numérique.

Actuellement, Standardnonstandard prépare une quarantaine de supports tactiles qui équiperont le tout nouveau Palais de l’univers et des sciences qui ouvrira à Capelle la Grande, à proximité de Dunkerque, en septembre 2009 : une importante réalisation qui témoigne d’une réelle volonté de rendre accessible à tous la connaissance de l’univers et des planètes. La société finalise également un prototype particulièrement innovant : le plan relief tactile d’un quartier intégrant une signalétique en braille et la diffusion de messages sonores, en langue des signes et écrits concernant des points d’intérêt du site concerné. L’emploi d’un matériau transparent permet de varier l’affichage visuel entre un plan des rues ou la vue satellite par exemple. Étudié pour un monument parisien, il pourrait également être décliné pour un usage extérieur dans un environnement non concerné par le vandalisme. L’activité de Standardnonstandard s’inscrit dans le secteur marchand, avec un coût situé entre 1.500 et 2.000€ pour la réalisation d’une plaque relief, et jusqu’à 2.500€ lorsque des pièces collées sont ajoutées.

D’autres entreprises travaillent dans ce domaine, telle Polymorphe Design dont la première réalisation a été, en 2006, la mise en accessibilité tactile quasi intégrale de l’exposition Photographier Lyon en guerre. L’entreprise conçoit des circuits de visites en autonomie pour les déficients visuels, et elle devrait livrer cet été une mallette pédagogique alliant tactile et sensoriel pour l’abbaye de Cluny (Saône-et-Loire).

Tom’s 3D propose, quant à elle, de coller des étiquettes ou textes braille sur presque tous les supports : « Le Téflon et le polypropylène sont encore récalcitrants explique le directeur de Tom’s 3D, Franck Jaffiol. L’application sur des matériaux est vérifiée par des utilisateurs aveugles. Le procédé est résistant à l’usure du temps ». Il estime que le marché de l’inscription braille est en développement.

Spécialisée dans les maquettes tactiles, Archi-tact a, pour sa part, réalisé notamment celles des musées du Hiéron (Paray-le-Monial) et Fabre (Montpellier), du château de Blois et, début 2009, du carreau de mine de la Fosse Delloye à Lewarde (Nord), devenu centre historique minier : « Je réalise essentiellement des maquettes destinées à des visites commentées ou des ateliers, explique Isabelle Dapzol, architecte et fondatrice d’Archi-tact. La demande est en progression. Je travaille le bois associé à des matières ‘codes’ choisies en collaboration avec des aveugles ». En pratique, le métal et le plastique sont porteurs d’informations : des pièces en aluminium vont signaler une toiture métallique dont la couverture plastique représente la couverture en verre. Les maquettes d’Archi-Tact sont en elles-mêmes des oeuvres d’art, dont la fragilité potentielle les réservent au toucher particulier des publics déficients visuels. Des publics qui, s’ils ne sont pas pris en compte partout, peuvent espérer un développement rapide de l’offre d’adaptations tactiles dans les établissements culturels.

Laurent Lejard, juillet 2009.

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