Question : Vous chantez la différence, vous êtes Noir, vous avez la peau blanche, et ça vous va bien. C’est votre message ?

Salif Keita : Heureusement qu’on est différents ! Sinon, si le monde n’était que d’une seule couleur, on n’y resterait pas longtemps… Je crois que la différence est une beauté de la nature, et surtout, il faut que l’on se complète. Tout le monde ne peut pas être pareil, et heureusement ! C’est bien. Au lieu que d’autres dramatisent la différence, moi je crois que c’est quelque chose de positif.

Question : 
Il y a une vingtaine d’années, vous aviez créé une chanson très remarquée, Nou pas bouger, sur la vie des immigrés en France. Vous ne la chantez plus : qu’est-ce qui a changé depuis ?

Salif Keita : 
Je crois que le message est passé. Le monde va toujours se mélanger. Des Noirs vont venir en France, des Blancs vont partir en Afrique, et j’ai remarqué qu’il y a de nombreux Français qui vont s’installer en Afrique, et se font naturaliser Maliens par exemple. Moi, je ne peux pas dire que l’immigration n’a pas apporté quelque chose de bien. Les immigrés qui sont là, qu’ils soient francophones ou anglophones, apportent une complémentarité. Et on sera toujours là pour dire à l’Europe et à la France de donner des papiers aux sans-papiers qui travaillent, et de leur donner du travail.

Question : Vous est né albinos, descendant de l’illustre Soundjata Keita, né infirme et qui après avoir surmonté son handicap a fondé l’empire du Mali. Comment vous situez-vous dans cette lignée, vous l’albinos qui a été rejeté ?

Salif Keita : 
Il ne faut pas faire du handicap quelque chose qui peut empêcher de progresser. Non, le handicap, c’est dans la tête que ça se passe. Depuis qu’on te dit « on est comme ça, donc on peut pas aller là ». Je suis vraiment contre cela. Dans la société, chacune des créatures est une pièce qui fait fonctionner le moteur, chacune à sa place.

Question : Au Mali comme ailleurs en Afrique Noire, les albinos sont pourchassés, certains torturés et mutilés, les jeunes femmes violées…

Salif Keita : 
Assassinés, on vend leurs bras, on vend leurs pieds, on vend les pièces comme un moteur, comme des animaux. C’est culturel, et je vous le dis sincèrement, pour combattre cette culture il faut se lever de bonne heure, sans s’épuiser, ni violence. Avec la violence, ça ne réussira pas. Il faut plutôt éduquer parce que la plupart des gens qui pensent comme ça et qui font comme ça sont analphabètes. Bon, c’est vrai qu’il y a des gens alphabétisés, des patrons, des puissants, des personnalités africaines qui font des sacrifices humains. Mais dès que l’on éduque les gens, qu’on va vers eux pour leur expliquer que l’animisme ce n’est pas faire des sacrifices humains, on avance. Ça prend du temps, c’est culturel, ce n’est pas du jour au lendemain que ça va cesser.

Question : Vous menez une action dans ce sens, mais est-ce que les gouvernements des différents pays dans lesquels la chasse aux albinos demeure ouverte vous suivent et vous soutiennent ?

Salif Keita : Ils vont nous suivre, parce que si l’opinion publique, si les médias dénoncent ces actes criminels, les gouvernements seront obligés de se rallier. Mais ce n’est pas pour aujourd’hui, ça prendra un peu de temps. Des pays africains ont aboli la peine de mort, et moi je suis contre la peine de mort, mais quand en Afrique tu dis à quelqu’un « vous n’êtes pas tué mais vous allez en prison », c’est comme si tu disais  » allez-y ». Parce que quand tu tues en Afrique, si tu as de l’argent, tu sors le lendemain. Alors, comment on va faire avec l’abolition de la peine de mort, surtout quand ce sont des personnalités qui envoient des gens pour tuer ?

Question : C’est à l’opposé du message d’amour que vous voulez faire passer dans vos chansons…

Salif Keita : Sincèrement, si on pouvait cesser cette chasse, ce serait bien. Nous les albinos, nous avons peur de nous regrouper. En Europe, ce n’est pas pareil, les albinos ont de l’amour autour d’eux. J’ai amené ma fille en France à l’âge de trois ans, on lui a donné tellement d’amour qu’elle a fait ses études normalement. Tout le monde l’a aimée. Aujourd’hui, elle a fait des études, je suis content. Il n’y a pas de problème avec les albinos en France. Il y a de l’espoir. Dans le passé, on ne pouvait pas parler, mais aujourd’hui on peut. Je ne suis pas pessimiste, j’ai beaucoup d’espoir.

Propos recueillis par Laurent Lejard, avril 2010.


Salif Keita a créé une Fondation pour les Albinos.

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