Le chômage est un problème persistant au Cameroun, et la vie apparait comme un défi constant, une lutte quotidienne pour tout jeune chômeur. C’est un problème courant chez les Camerounais handicapés. Beaucoup d’entre eux ont recours au secteur primaire afin de survivre et de subvenir à leurs besoins. Ils s’engagent pour la plupart dans la vente à la sauvette, proposant ainsi divers produits de base, des denrées alimentaires aux vêtements, des ustensiles de cuisine et jusqu’aux sous-vêtements. L’un de ces vendeurs est un jeune entrepreneur aveugle dont l’apparence est familière aux habitants de plusieurs quartiers de la ville de Yaoundé, capitale du Cameroun : Paulin Castrick Nguegue.

Chaque jour commence tôt pour Castrick qui, malgré sa cécité, doit visiter différents quartiers de Yaoundé à la recherche des clients. Il parcourt des dizaines de kilomètres par jour, malgré la charge pesante des produits en plastique sur sa tête et la canne blanche dans la main lui servant de guide. Il marche lentement, et à chaque pas espère que quelqu’un l’appellera pour demander le prix d’un de ses articles, des seaux, des paniers, des gobelets, ou des plateaux, et n’accepter de vendre que si le prix lui est favorable.

Il loge dans une chambre délabrée à Nkondoué, un quartier reculé des environs d’Etoug-Ebe à Yaoundé. Ce quartier n’est accessible que grâce aux motos-taxis. Castrick explique qu’il y a pris une chambre parce qu’il était difficile de trouver ailleurs à un prix plus abordable. Ici, le montant du loyer mensuel est de 9.000FCFA (environ 14€).

Ses journées commencent généralement par le petit déjeuner qu’il prépare sur un feu de bois et composé, dit-il, « le plus souvent les restes de nourriture du soir précédent ». Il se rend ensuite au puits qui se trouve à une cinquantaine de mètres de sa chambre pour puiser de l’eau qu’il va utiliser pour sa toilette, la vaisselle et la lessive. Pendant les jours ordinaires, ces travaux ménagers s’étendent jusqu’à huit heures ou neuf heures du matin, heure à laquelle il quitte sa maison les jours du marché et de commerce. Cette routine, comme le dit Castrick, est très pénible surtout pendant les jours de pluie, et lorsqu’il est malade.

Les dimanches, au lieu d’aller faire son marché, il assiste au culte à l’église catholique Sainte Annuarite de Biyem-assi à Yaoundé. Souvent, en fin d’après midi, il va rencontrer certains membres du groupe culturel Asamba de Bafou, une association des filles et fils de Bafou, son village natal, résidant à Yaoundé.

C’est dans le village de Bafou par Dschang, dans la région de l’ouest Cameroun, que Castrick a vu le jour il y a 37 ans. Il a passé une partie de son enfance avec sa grand-mère au village, parce que sa mère l’a mis au monde très jeune et ne l’avait pas emmené avec elle quant elle s’est mariée dans un autre village. L’un de ses oncles l’a donc conduit à Yaoundé en 1984, à l’âge de 10 ans. Aujourd’hui, Castrick maitrise les coins et les recoins de la ville, malgré sa cécité. Sa déficience a été diagnostiquée par les ophtalmologues comme ayant été causée par une rétinite pigmentaire qui ne pouvait être soignée. Néanmoins, il a continué ses études et a appris la comptabilité et la gestion jusqu’en classe de 4e au CETIC de Ngoa-Ekélé à Yaoundé. Son rêve de devenir gestionnaire ou comptable a échoué quant la situation de sa vue a empiré au point qu’il a été obligé de mettre subitement fin à ses études.

Ce coup d’arrêt a été le passage vers une nouvelle page de son histoire, où il a dû se battre pour vivre et s’occuper de lui-même. Après qu’il a été expulsé de la maison par son oncle à cause d’un manque d’argent, il a décidé de chercher le capital nécessaire pour la vente à la sauvette, en amassant les graviers en bordure de route pour les vendre. Après avoir collecté la somme de 1.500FCFA (2,30€) issue de la vente du gravier, il a pu acheter des seaux et des gobelets pour commencer par vendre l’eau glacée, ce qui lui permis de générer des recettes qu’il a investies dans la vente de quelques sacs de voyage et de classe pendant la rentrée scolaire. Ces affaires étant saisonnières, Castrick a cherché ce qui lui serait profitable toute l’année. C’est ainsi qu’il a commencé à vendre du matériel en plastique, ce qu’il poursuit aujourd’hui. Il confie que son capital a augmenté de 50.000FCFA (76€).

Dans cette aventure quotidienne de commerçant ambulant aveugle dans la ville de Yaoundé, Castrick fait face à de multiples difficultés telles que railleries, moqueries des gens, et une atmosphère parfois peu amicale avec ces derniers. Néanmoins, il reconnait que sa plus grande peur réside dans le fait d’être renversé par une voiture et il en a déjà été victime par trois fois. Accidents au cours desquels il a perdu deux cannes blanches et est resté avec une douleur persistante au pied gauche. Il se rappelle tristement ces deux occasions où il a été transporté d’urgence à l’hôpital, et abandonné par le propriétaire de la voiture fautive. Face à ces adversités, il ne s’est pas découragé, il a repris les choses en main parce qu’il ne trouve pas cela pire que d’être abandonné par sa propre famille. Il dit avec un air de défi : « Même si ma famille m’a abandonné, je ne pourrais pas baisser les bras. Je vais continuer à me battre. »

Castrick regarde le futur avec optimisme. Il considère qu’il a acquis assez d’expérience dans le commerce pour commencer une affaire plus grande dans une boutique. Son défi principal est de trouver le capital suffisant. Malgré plusieurs tentatives auprès du Ministère des affaires sociales et auprès d’Organisations Non Gouvernementales, notamment l’Association Nationale des Aveugles du Cameroun dont il est membre, il ne réussit pas à obtenir le capital d’environ 500.000 à 1 million de FCFA (760 à 1520€) dont il a besoin pour ouvrir une boutique. Il exprime également son désir de se marier et de fonder une famille, mais cela ne sera possible que lorsqu’il pourra s’occuper d’une famille. Car pour l’instant, il vit au jour le jour et dépend des petits dons que lui font les personnes de bonne volonté, ainsi que des bénéfices qu’il tire de son commerce. Il ne voudrait pas perdre espoir aussi facilement et affirme : « Avoir un handicap n’est pas une fatalité. Tant qu’on vit, il y a espoir. Il faut être optimiste. Regarder les choses du bon coté. »


Hilda Bih, mars 2011.

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