Ils étaient des centaines d’aveugles accompagnés de leur chien-guide à manifester à Paris le 12 mai dernier, pour clamer haut et fort « Partout avec mon chien-guide ! ». Une manifestation encore nécessaire malgré la loi française qui stipule cette acceptation sans exception, alors qu’au quotidien bien des refus et des oppositions se manifestent encore. « La loi de 2005 ne mentionne pas d’exception à l’accessibilité de nos chiens-guide dans tous les lieux publics, rappelle Paul Charles, président de la Fédération Française des Associations de Chiens guides d’aveugles (FFAC). Mais par méconnaissance, des gens ont parfois une attitude de retrait ou de refus, ou par bêtise et stupidité ne comprennent pas la fonction des chiens-guides dans notre pays. »

La Fédération accepterait pourtant des exceptions évidentes, dans l’accès aux piscines ou aux hôpitaux par exemple, même si la loi n’en prévoit pas, et veut agir pour que des structures de gardiennage de ces chiens soient créées pendant le temps de séparation d’avec leur maître. Mais sans que cela se traduise par une réglementation : « L’exception, on ne sait jamais où elle s’arrête, poursuit Paul Charles. Si on s’engage dans ce débat, on va être mis face à des gens qui ne voudront pas rentrer dans la légalité et trouver des chemins pour l’éviter. On en est malheureusement aux balbutiements de l’application de la loi de 2005. On s’aperçoit que beaucoup de bâtiments ne sont pas encore adaptés, et qu’il est plus facile de refuser que de mettre aux normes l’accessibilité nécessaire. » A cet égard, Paul Charles qualifie « d’intolérable » la délivrance de labels Tourisme et Handicap visuel à des lieux qui refusent les chiens-guides parce que leur gardiennage est prévu.

« Il faut arriver à une uniformisation des pratiques, ajoute Michel Rossetti, vice-président de l’Association Nationale des Maîtres de Chiens Guides d’Aveugles (ANMCGA). Si l’on créé des solutions de substitutions dans certains cas très particuliers, on ne sera pas là-dessus intransigeant. Dès que l’on essaie de trouver ses solutions intelligentes en rapport avec la réalité, on est prêt à les étudier. Mais on ne transigera pas quand il n’y a aucune raison de sécurité, seulement de la méconnaissance ou la volonté de l’exploitant de ne pas accepter les chiens. » Cette association prépare avec la FFAC un statut du chien-guide qui devrait intégrer les mesures acceptables de substitution lorsque l’accès de l’animal s’oppose à des règles absolues de sécurité, ou d’hygiène dans les locaux sanitaires: local correct de garde de l’animal, accompagnement du maitre, etc.

Un quotidien plus facile

« Les choses vont de mieux en mieux, notamment avec les taxis, explique Marie Larroumet, qui se déplace avec un chien-guide depuis une dizaine d’années. Au début, j’ai affronté un refus d’accès dans un supermarché: en appelant la police, les agents ne connaissaient pas la loi et ils sont repartis en me disant que le règlement du magasin interdisait les chiens. Après une réclamation écrite, le directeur du magasin a été sanctionné, et les policiers aussi. » Au quotidien, le chien-guide lui a apporté un plus: « Les gens vont facilement vers le chien. Ils posent des questions, cela permet d’engager un échange, même s’il faut expliquer que le chien travaille et qu’il ne faut pas le caresser. C’est un choix de vie qu’il faut imposer à la famille, aux autres, même si le chien doit rester à sa place. »

Un choix que cette femme qui travaille à l’Institution Nationale des Invalides a également dû imposer aux militaires qu’elle côtoie dans son cadre professionnel : « L’animal laisse des poils dans les voitures que leurs chauffeurs n’aiment guère aspirer ! Il a fallu que j’aie le soutien du gouverneur militaire pour que le chien puisse aller se détendre dans les douves des Invalides, fermées au public et propres de ce fait. »

Grand voyageur par son activité professionnelle, Stéphane Largeau fait quant à lui la distinction : « J’ai moins de problème en province qu’a Paris et sa région. On y prend la personne avec son chien-guide, en considérant qu’ils forment un tout. Alors que dans les transports en Ile-de-France, je constate que les gens font de moins en moins attention, il y a trop de monde, cela stresse le chien qui ne peut plus travailler normalement. » Il n’a pas subi de refus par des taxis, parce qu’il procède toujours par réservation téléphonique en mentionnant le chien-guide, mais il évoque des incidents dans des hôtels et des restaurants : « On me demande si le chien est propre, on me dit qu’il va mettre des poils partout… » Mais depuis une expulsion d’un restaurant de Saint-Malo, avec intervention policière et diffusion par voie de presse, il ne lui est pas arrivé d’incident grave, même s’il doit encore parfois négocier avec des vigiles de grandes surfaces qui ne connaissent pas la loi. Et au-delà de ces difficultés ponctuelles, il apprécie la liberté de déplacement que lui procure son chien-guide : et on ne sait trop qui emmène l’autre en randonnée ! Une complicité que Marie Larroumet exprime ainsi : « C’est la vie quotidienne avec un chien-guide qui est une aventure positive ».


Propos recueillis par Laurent Lejard, juin 2012.

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