En 2011, il se serait vendu en France 186.000 livres audio hors enfance et jeunesse, une estimation qui exclut toutefois certains réseaux de vente. Un chiffre à comparer aux 460 millions d’ouvrages en tous genres vendus annuellement en France. Mais si le secteur du livre lu est marginal, les éditeurs constatent une très nette progression de l’offre et de la demande depuis 2008 et témoignent d’un « optimisme modéré » selon le sondage publié en septembre 2012 par l’association Lire dans le noir : « Ils ont des lecteurs fidèles, estiment qu’il y a un potentiel important, mais peinent à toucher de nouveaux publics », relève-t-elle. Un constat exprimé et confirmé par des éditeurs réunis le 21 novembre dernier à Paris lors d’une rencontre professionnelle organisée en préambule de la remise des prix du livre audio organisée annuellement par Lire dans le noir.

« Nous avons 150 commandes en attente de traitement et provenant de médiathèques, explique Arnaud Mathon, directeur de Livraphone. Leurs responsables nous expliquent que les ouvrages sont très demandés, qu’ils sortent tout le temps. Les médiathèques ont un rôle moteur dans la connaissance et la diffusion des livres sonores, ainsi que les salons du livre, même si les éditeurs de livres sonores ne sont pas attendus ni demandés par les organisateurs de ces salons. Il reste un fort pourcentage de gens qui ne connaissent pas le livre audio. Le travail des bibliothèques à cet égard est fondamental, et celui aussi des libraires, s’ils placent les livres audio dans les rayons. »

Directrice d’Audiolib, Valérie Lévy-Soussan modère cette approche : « Dans le public subsistent des préjugés : le livre sonore est fait pour les aveugles, les malvoyants, parce qu’il y a beaucoup d’ouvrages pour les enfants. Mais le podcast et l’habitude d’écouter sur le web commencent à peser sur les habitudes. » Du côté des bibliothèques, ce sont essentiellement des lecteurs déficients visuels qui empruntent les livres lus : « Le fonds sonore comporte 2.700 livres, explique Margaux Illy de la médiathèque parisienne Marguerite Yourcenar. Les ouvrages sortent beaucoup, sur peu d’abonnés qui trouvent qu’il y a peu de renouvellement, et réécoutent les livres faute de mieux. Les usagers du fonds sonore sont essentiellement des déficients visuels, des personnes malades. Le livre lu est mal connu, les nouveautés sont dédaignées par les abonnés voyants. » Mais il suffit d’offrir un avantage particulier pour ouvrir le livre audio au public voyant : « J’achète beaucoup pour le prêt à domicile, précise Morgane Rohel, bibliothécaire à Houilles (Yvelines). Des gens les prennent en plus du papier, pour une écoute en voiture ou en voyage, en faisant la cuisine. Le prêt de livres sonores vient s’ajouter au nombre de livres papier que les abonnés peuvent emprunter chaque semaine. Mais le budget achats de la bibliothèque est réduit pour les livres audio, 1.100 € pour 56 titres cette année. »

L’intérêt d’accroitre le lectorat, et donc la vente, des livres audio pourrait permettre de peser sur un élément important, leur prix : « Il est le résultat d’un tirage très faible, avec un coefficient obligeant à vendre entre 15 et 20€, au prix du format standard, argumente Paule Du Bouchet, directrice de la collection Ecoutez Lire. L’éditeur fait l’avance de trésorerie, il n’est pas visionnaire. » Un point de vue partagé par Valérie Lévy-Soussan (Audiolib) : « Un livre audio ne doit pas être éloigné du prix du livre papier. Il y a un net progrès : il y a 10 ans, les livres sonores étaient vendus de 30 à 40€ ! L’offre se diversifie mais elle est aussi un frein, il n’y a pas encore assez de choix. En Allemagne, près de 3.000 nouveautés sortent en audio chaque année, en France c’est seulement le dixième. Le prix est très lié à la diffusion, qui repose sur la place des livres en librairies, dans les bibliothèques, les médiathèques qui sont un vecteur d’usage. » Arnaud Mathon (Livraphone) fait d’ailleurs remarquer l’impact des grands distributeurs organisés en chaines de magasins : « Quand une chaîne traite ou place mal un ouvrage, ce sont tous ses établissements qui bloquent, on ne rentre pas, on ne vend pas. » Ce que confirme Valérie Lévy-Soussan, qui relève un obstacle : « Le public est celui des librairies. Quand un libraire est convaincu, il présente le livre. Mais le format CD rend le livre sonore plus facile à voler, ce qui gêne certains libraires. »

Contrairement à ce que l’on pourrait logiquement penser, la création il y a deux ans d’un secteur « livre adapté aux personnes handicapées » géré par des associations agréées ne gène pas les éditeurs : « Je ne vois pas d’interférence entre le secteur adapté et le livre lu », constate Paule Du Bouchet (Gallimard). Pour sa part, Arnaud Mathon est très critique : « Il y a un problème avec le livre adapté, sa piètre qualité. On ne peut pas comparer un acteur lecteur professionnel avec le travail de bénévoles qui lisent au micro des livres papier et, parfois, font des commentaires ! » Un autre intervenant à la table ronde enfonce le clou : « Je constate un amenuisement de la demande des associations face à la structuration du secteur du livre lu. » La preuve est maintenant faite par les éditeurs que la fourniture gratuite de livres adaptés ne concurrence pas un secteur marchand proche de la maturité.

Laurent Lejard, décembre 2012.

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