Question : Nos lecteurs ont fait ta connaissance il y a cinq ans, lorsque tu as fait un stage à Yanous pour découvrir le journalisme… et maintenant tu l’étudies ?

Yvan Wouandji : Je garde un super souvenir de ce stage, franchement ! On avait fait une belle interview, on avait fait tous les wagons du Train de l’emploi !

Question : Et ça t’a donné envie de poursuivre dans le journalisme et la communication ?

Yvan Wouandji : 
Oui ! Là, je suis en 2e année de licence Information et Communication à l’université Paris VIII, à Saint-Denis (93). On traite pas mal d’informations, on voit comment elle est abordée et diffusée, comment les journalistes bossent, quelles sont leurs sources. Selon les médias, l’information peut être traitée différemment comme par exemple l’histoire de Julie Gayet et François Hollande, sur TF1 et France 2 ce n’était pareil. J’espère aller jusqu’au mastère puis faire une bonne école de journalisme, entrer dans la profession, faire des interviews, ça, j’adore ! J’aime bien le contact des gens.

Question : Tu as donc fini le lycée à l’Institut National des Jeunes Aveugles (INJA) de Paris et obtenu le bac dans la foulée?

Yvan Wouandji : 
J’étais en intégration au lycée Buffon (Paris 15e). Franchement, j’aurai dû quitter l’INJA plus tôt! On me disait « Yvan, si tu pars, ça va être dur au contact des voyants. » Ça a été un bonheur, mes meilleures années! J’étais en filière littéraire.

Question : En fait, l’élève compliqué et difficile que certains décrivaient a été tout à fait remarquable au lycée…

Yvan Wouandji :
 C’est ça! Ça s’est très bien passé à Buffon. A l’INJA, on est dans un cocon, à huit élèves par classe, les professeurs n’ont rien à voir avec ceux du lycée Buffon. Là, les professeurs te donnent la possibilité de réussir, te soutiennent, et pourtant on était beaucoup plus nombreux dans la classe. Je n’étais pas handicapé, ils faisaient des efforts, j’avais toujours les documents sur une clé USB ou par mél.

Question : Mais en français, tu as eu moins de la moyenne au bac…

Yvan Wouandji :
 Oui, mais après je me suis rattrapé. J’ai fait du soutien à l’INJA avec une dame très sympathique, âgée de 80 ans, on relisait mes textes, les analysait, elle m’a fait beaucoup progresser. On prenait du temps le week-end, pendant les vacances. Comme mes parents habitent à Rosny-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, j’étais encore en internat à l’INJA mais en y dormant de moins en moins, pour être davantage avec ma famille. Et il y avait les compétitions de cécifoot, les voyages. Tant que tu es autonome, à l’INJA on te laisse le choix d’y dormir ou de rentrer chez toi.

Question : Ta seconde carrière, c’est le cécifoot ?

Yvan Wouandji : Ah oui ! Je joue dans l’équipe de Saint-Mandé (Val-de-Marne). En Ile-de-France, il n’y a que deux clubs, le second c’est celui de l’Association Valentin Haüy [AVH]. Il y a du public pour les matches, c’est très tendance, on en parle pas mal, on le voit davantage dans les médias, à la télé. On invite les gens à venir, il y a beaucoup de bouche à oreille, ça marche bien aussi avec les réseaux sociaux.

Question : Et puis il y a eu cette vidéo diffusée en avril dernier, dribble, cavalcade, traversée du terrain, dribble et but !

Yvan Wouandji :
 C’était pendant un stage de l’équipe de France à Strasbourg, j’y joue depuis 2010, un match contre l’Allemagne. J’ai marqué, franchement je ne m’attendais pas à ce que la vidéo soit reprise sur des grands médias ! Le lendemain, l’entraîneur m’a dit qu’elle avait déjà été vue 6.000 fois [753.000 vues sur You Tube et 53.000 sur Daily Motion depuis, sans compter les nombreux repost NDLR], ça a pris vraiment beaucoup d’ampleur. En plus, deux jours après c’était mon anniversaire !

Question : C’est ce qui a donné l’idée à une radio de t’inviter à commenter un match de football ?

Yvan Wouandji :
 Je suis allé voir le match PSG-Chelsea en ligue des champions, et avec un copain journaliste, on discutait du match, de ce qu’il faisait, je lui ai dit que j’aimais bien son commentaire et que cela me plairait d’être à ses côtés et sentir comment il commente, connaître les coulisses. Deux mois après, il m’a rappelé pour me dire « j’ai une surprise à te faire », moi j’avais oublié, je pensais qu’on avait parlé comme ça mais que ça allait être vachement compliqué. J’étais super heureux, et je dois avoir une bonne étoile, deux jours avant ce match France-Belgique il m’a dit que je commenterai avec lui : on devait être à trois, le duo habituel de commentateurs et moi à côté, je devais peu parler, mais son collègue avait un empêchement personnel et que nous serions tous les deux à l’antenne, ça me donnait un temps de parole important.

Question : Comment commentes-tu un match ?

Yvan Wouandji : 
Forcément, quand tu ne vois pas, tu dois t’appuyer sur autre chose. J’ai mis l’accent sur les clubs, les anecdotes sur les joueurs, les statistiques de jeu, ça a cartonné. Quand un joueur belge a marqué, deux fois, j’ai précisé que c’étaient ses 13e et 14e buts en compétition internationale. En vrai, on s’en fiche un peu, pourtant en fait c’est très important parce que ce n’est pas un buteur mais un milieu de terrain, il était donc étonnant qu’il marque deux fois. J’ai parlé du nombre élevé de sélection de jeunes joueurs, ce qui surprend l’auditeur qui apprend des informations. J’ai donné mon ressenti sur le match, anticipé sur d’éventuels changements, pour moi ça a bien marché. C’était un vrai risque, un pari, on s’est dit qu’on ferait autre chose ensemble. Des auditeurs ont appelé la radio après le match, beaucoup ne savaient pas j’étais aveugle.

Question : Ta troisième carrière c’est la politique ?

Yvan Wouandji : 
On a obtenu la médaille d’argent en cécifoot aux Jeux Paralympiques de Londres en 2012, c’est quelque chose d’énorme dans la vie d’un sportif. Au retour, on a été reçu par le Président de la République, la presse en a parlé et les gens qui ne connaissaient pas le cécifoot l’ont appris. Alors les politiques m’ont sollicité, d’abord le maire de Rosny-sous-Bois, Claude Capillon, qui m’a remis la médaille de la ville, on a discuté et il voulait que j’adhère à son parti [Les Républicains ex-UMP] mais je suis plus Parti Socialiste, progressiste… Et j’ai rencontré Raphaël Bouton [militant sourd, conseiller municipal de Rosny-sous-Bois et suppléant de la députée socialiste Elisabeth Pochon], j’ai eu un coup de coeur pour son parti. Au-delà de la politique, c’est pour faire avancer le handicap dans ma ville, en faisant des démonstrations sur la cécité, parler de l’ouverture aux autres, de la tolérance. J’ai adhéré au PS, été impliqué lors de la campagne pour les élections municipales l’an dernier, on n’a pas été élus mais c’était une belle expérience.

Question : Tu as envie d’aller plus loin ?

Yvan Wouandji : Oui. Ce qui est bien avec la politique, c’est que tu peux donner tes idées, et il y aura forcément des gens qui seront avec toi. Tout le monde ne va pas partager tes opinions, tes idées, mais je sais que certains les partagent. C’est un côté un peu collectif, tu ne te sens pas seul, tu es écouté, supporté, ça m’a donné envie, prôner l’union, dire aux gens qu’il faut s’aimer, que l’immigration n’est pas un fléau. Il y a des gens qui ne sont pas nés ici mais qui ont contribué à l’évolution de la France, qui sont dans ce pays depuis quarante ans et on n’a pas forcément à leur dire qu’il faut qu’ils rentrent chez eux.

Question : C’est ton histoire familiale ?

Yvan Wouandji : 
Pas la mienne, mais j’ai suivi pas mal d’interviews, d’émissions télé, à travers différents témoignages je me suis vu dedans, j’y ai retrouvé ma famille. Je suis né au Cameroun il y a 22 ans, venu en France à l’âge de 10 ans parce que j’étais aveugle, pour me faire soigner. C’est très compliqué aujourd’hui de venir en France si tu es malade, parce que les autorités disent que c’est un prétexte, et une maladie n’est pas toujours facile à prouver, du coup elles pensent que c’est un prétexte pour s’évader.

Question :
 Tu es retourné au Cameroun ?

Yvan Wouandji : 
Oui, plusieurs fois, pour les vacances. J’ai fait des interviewes télé là-bas, pour parler du sport, du handicap, parce qu’en Afrique, le handicap c’est encore compliqué à traiter, à analyser. L’épanouissement des personnes en situation de handicap est compliqué, l’accessibilité est difficile, ainsi que pour accéder à l’éducation, l’école…

Propos recueillis par Laurent Lejard, novembre 2015.

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