Jusqu’à ce qu’elle intègre une formation d’esthétique et soins de beauté, Isabelle Blanco n’a pas travaillé au sens carrière professionnelle du terme. Devenue aveugle à l’âge de 20 ans du fait d’une accumulation de problèmes oculaires, elle a suivi le chemin de nombreuses personnes déficientes visuelles : « J’ai fait beaucoup de formations, dans le tourisme, le secrétariat, j’ai eu un diplôme de secrétaire médicale mais je n’ai jamais trouvé d’emploi. J’ai eu des Contrats Emploi Solidarité par-ci, par-là, qui mènent à pas grand chose. Quand j’ai entendu parler du CAP Esthétique, j’ai décidé de créer mon propre emploi. » Et ce n’est finalement qu’en pleine quarantaine qu’elle a trouvé sa voie : les soins d’esthétique bien-être, qu’elle a appris lors d’une formation spécialement adaptée aux femmes aveugles ou très malvoyantes initiée en région parisienne en 2009 (lire ce reportage). Isabelle Blanco a suivi cette formation dans sa ville de Toulouse, l’année suivante, lors de l’unique stage organisé en région Midi-Pyrénées : « Ça m’a révélé quelque chose que j’aime faire. La formation est assez limitée, on apprend les soins du visage, des mains et des pieds, moi je me suis spécialisée dans les modelages corps. » Précisons que si le modelage ressemble au massage, ce dernier est un acte thérapeutique pratiqué par un kinésithérapeute diplômé.

Travailler à son compte a été une évidence pour Isabelle Blanco : « Il n’y avait comme débouché que de créer ma propre entreprise, parce que comme on n’est pas polyvalente, ce n’est pas la peine d’essayer de se faire embaucher dans un spa ou un centre de beauté. » Effectivement, la cécité empêche de pratiquer la plupart des soins du visage, l’extraction des comédons et autres soins pour lesquels voir est indispensable. Isabelle a commencé à travailler dans une cabine de soins installée dans la boutique de bijoux fantaisie qu’exploitait alors son mari. Depuis qu’il a pris sa retraite, elle a acheté un local que son époux a aménagé, un investissement de 70.000€ financé par un emprunt sur 20 ans contracté à la banque dont elle est bonne cliente, ce qui a bien aidé…

Au quotidien, son mari l’aide dans la gestion et la prise de rendez-vous, Isabelle privilégiant la clientèle féminine et n’acceptant les hommes que sur la demande expresse d’une cliente habituelle : « Pour les hommes, je pratique le shiatsu parce qu’il s’effectue habillé, et le soin du dos. Je ne prends pas des clients qui m’appellent comme ça. » La cécité conduit à être prudente dans une activité qui touche au corps : « Je réalise plusieurs modules de modelages de la tête aux pieds, le californien, le balinais, l’ayurvédique, l’africain. Celui-là est très tonique, rythmé en musique, stimulant, très amusant, je danse autour de la table, mais assez fatigant à faire. Je n’ai pas suivi le massage indien du crâne, je n’aime pas rester longtemps sur une même partie du corps, j’ai appris la réflexologie plantaire mais je ne la pratique pas parce que je trouve ce soin ennuyeux ! Je fais des soins basiques du visage, nettoyage de la peau, gommage, masque, modelage de détente, application de crèmes de beauté. » Si son salon dispose de deux cabines de soins, elle a finalement renoncé à prendre une employée. Elle avait proposé à deux de ses co-stagiaires en formation de s’associer, mais elles ne se sentaient pas assez fortes pour se lancer.

Son activité couvre les frais mais ne lui permet pas de se verser un salaire : « Ce n’est pas vraiment le but, je ne peux pas travailler toute la journée parce que les massages sont fatigants. Vous savez, c’est une passion et il faut que ça le reste ! Si on les fait à la chaine, on peut vite s’écoeurer. » Côté clientèle, pas de surprise : « Je mentionne sur mon site web que je suis non-voyante, alors les clientes qui l’ont consulté ne sont pas surprises. D’autres s’en aperçoivent dès qu’elles entrent mais je n’ai jamais eu de problème, au contraire elles sont ravies. J’ai beaucoup de personnes rondes, qui se sentent à l’aise parce qu’il n’y pas de regard qui les juge ! » Un plaisir partagé entre des clientes apaisées et une esthéticienne qui aime ce qu’elle a choisi de faire…

Laurent Lejard, décembre 2015.

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