La foudre a frappé les écoles de chiens guides d’aveugles le 8 janvier dernier : ce jour-là, le Conseil d’Etat rendait sa décision sur le recours formé par le Centre Indépendant d’Education (CIE) et l’Union des maîtres-chiens guides d’Europe contre l’arrêté ministériel du 20 mars 2014 qui définit les critères techniques de labellisation, en les annulant ! Les juges ont retenu l’argumentation des plaignants qui contestaient que seuls les chiens élevés en chenil puissent être labellisés, ce qui n’est pas le cas de ceux du CIE. Le Conseil d’Etat a également sanctionné l’Administration pour diffusion tardive du projet d’arrêté aux membres du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées : il est de fait très fréquent que les textes réglementaires, souvent complexes, soient adressés un ou deux jours avant, voire remis en séance…
Ce n’est toutefois pas ce point de droit qui a suscité la colère de quelques associations de personnes déficientes visuelles (tant elles sont contraintes de travailler dans des conditions qu’elles ont maintes fois dénoncées comme inacceptables) mais la suppression du certificat national attestant de l’éducation d’un chien guide : ce document autorisait un animal en phase d’éducation ou « retraité » à entrer librement et gratuitement dans tous les Etablissements Recevant du Public, les Installations Ouvertes au Public, les véhicules de transport, avec dispense du port de la muselière. Rien ne change pour les chiens en circulation ou prochainement remis, leur libre accès sans muselière aux ERP, IOP et transports reste garanti par la présentation, si nécessaire, de la carte d’invalidité du maitre. En revanche, l’aide animalière versée au titre de la Prestation de Compensation du Handicap peut immédiatement être suspendue par les départements puisqu’elle est subordonnée à la labellisation du chien guide : les dispositions de l’arrêté du 20 mars 2014 sont annulées, et comme ce texte abrogeait l’arrêté précédent, aucune réglementation n’est applicable en la matière. Or, l’attribution et le versement de la PCH animalière sont subordonnés à l’éducation d’un chien guide par un centre labellisé.
Mésentente entre centres d’éducation.
Président de l’Association Nationale des Maîtres de Chiens Guides d’Aveugles, Michel Rossetti se veut positif : « Le décret n’est pas annulé. L’arrêté est annulé sur un vice de forme et de procédure, l’État est condamné. Depuis 10 ans, nous sommes favorables à la labellisation qui est un gage de qualité. Maintenant, on se retourne vers l’État pour rétablir des critères de labellisation. Il y a besoin de mettre les textes en conformité. »
Une réunion de travail entre associations et cabinet de la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées était prévue fin janvier, mais elle a été reportée et l’agenda est encore flou: concertation avec les services de l’Etat qui viennent de se faire taper sur les doigts, rédaction d’un nouveau texte, présentation au CNCPH puis publication, l’affaire d’au moins six mois si tout se passe bien. Ce qui n’est pas sûr: tombeuse de l’arrêté du 20 mars 2014, l’Union des maîtres-chiens guides d’Europe n’était pas conviée à la première réunion de travail! « Je veillerai à ce qu’on soit informé suffisamment tôt du nouveau texte réglementaire, s’inquiète son président fondateur, Thierry Kopernik. L’Union n’est pas dans la boucle. » Juriste, il a piloté le recours au Conseil d’Etat en créant une organisation inconnue jusqu’alors dans le petit monde du chien guide.
De son côté, la présidente du Centre Indépendant d’Education (CIE), Marie Lasserre, autre vainqueur de la procédure, s’est mise aux abonnés absents : après avoir accepté une interview, elle n’a pas donné suite. Heureusement, Thierry Kopernik est plus disert : « Je siège au CNCPH et à sa commission éducation scolarité, et en septembre 2013 on avait reçu les projets de texte et la convocation que 48 heures avant de se réunir. Idem pour le décret en séance plénière. Or, la ministre de l’époque [Marie-Arlette Carlotti NDLR] a affirmé qu’elle avait largement consulté. En plénière, les associations ont défendu leur texte. On s’est aperçu que le décret avait été dicté par la Fédération. » Le président de cette Fédération Française des Associations de Chiens guides d’aveugles (FFAC), Paul Charles, est désenchanté : « C’est dommageable que dans le monde restreint des chiens guides on se batte en justice plutôt que de s’entendre. Ce qui nous intéresse, c’est la qualité des chiens produits : où est la limite du travail d’éducateur, le soir il n’est plus salarié, mais il a le chien chez lui. »
Thierry Kopernik est d’un autre avis : « Le CIE ne fait d’éducation des chiens que familiale. En le labellisant, le préfet a reconnu le fait que 10% des chiens sont réformés avec cette forme d’éducation, contre 30 à 50% en chenil. » En effet, le CIE n’était pas labellisé quand il a recouru au Conseil d’Etat, mais l’est devenu avant la décision finale, sans s’être désisté de sa procédure. L’école ayant été créée par des éducateurs dissidents d’établissements de la FFAC, s’agirait-il d’une forme de revanche ? Thierry Kopernik semble le confirmer, quand il affirme : « Le Conseil d’État a censuré les critères de la FFAC et de l’ANMCG. » De même que Paul Charles : « Le CIE, qui a été monté par des éducateurs dissidents de la fédération, se réveille maintenant. On leur a tendu la main il y a trois ans. On a qu’une peur maintenant, c’est la réduction de la PCH aide animalière. Ça donne du grain à moudre à nos gouvernants. » Comme s’ils avaient besoin de prétextes…
Laurent Lejard, février 2016.