Élégant et soigné, Nacer Zorgani veut faire profiter les autres de tous les instants de sa vie d’aveugle. Les beaux, les joyeux, les tristes aussi : il les raconte au public des théâtres parisiens dont le foisonnement lui offre toujours une scène où se produire. Pour exorciser ses peurs certainement, mais aussi communiquer aux gens une philosophie acquise par l’expérience. Écoutons-le :

« Qu’elle soit bête ou intelligente, ambitieuse ou pas, la personne handicapée doit s’accepter elle-même. Souvent, les jeunes handicapés que je croise au travers de mon engagement associatif à la FEDEEH sont enfermés dans cette symbolique, ils ont peur, ils n’osent pas. C’est comme quand j’étais plus jeune, dans un institut pour jeunes aveugles à Marseille, où à la sortie du lycée on m’a proposé de faire standardiste, cadreur de chaises, ou de m’inscrire à l’école de kiné de Paris. Je respecte ces professions mais une personne aveugle ou déficiente visuelle peut prétendre à n’importe quel poste. Moi je fais des PowerPoint, des Excel. »

« Piloter un avion, c’était mon rêve quand j’étais gamin. Quand je suis entré chez Thales, j’étais très heureux, je reviens dans l’aéronautique après avoir modélisé des F14, des Mirage, des Super Étendard. C’était mon seul passe-temps, parce que j’ai eu une enfance assez modeste, avec mes frères et soeur, on était à cinq dans un 25m² à Marseille. Mon père avait fait beaucoup d’argent dans les années 80 avec l’importation en Algérie de véhicules de luxe, il a été le premier à importer une Jaguar à Alger, il voulait monter une concession Mercedes mais quand le terrorisme a éclaté, Mercedes s’est retiré et mon père a perdu beaucoup d’argent. Il a pris toutes les économies qui lui restait et on est venu s’installer à Marseille, derrière la gare, dans un quartier populaire. Je me suis battu pour sortir de la misère sociale, de la misère intellectuelle, de la misère physiologique avec le handicap. J’ai eu des années difficiles où je n’ai pas eu le projet professionnel que je voulais, la vie conjugale que je voulais, j’ai eu des problèmes dans mon couple, avec une grosse dépression nerveuse. »

« Avant je ne comprenais pas les gens qui faisaient une dépression, je me disais ‘mais non c’est dans la tête’, mais quand tu le vis c’est physiologique, on se réveille pour ne pas se lever, on dort tout le temps, on a envie de rien. J’ai eu un déclic quand ma compagne est partie : ‘t’es un garçon intelligent – enfin j’espère – tu as des amis, une famille, un boulot même si ça se passe mal, qu’est-ce que tu pourrais faire aujourd’hui qui te ferait du bien ?’ Mes amis voulait me faire sortir de la maison et m’ont inscrit sans me le dire à un Open Mike dans un théâtre. On va à la soirée et j’entends ‘On accueille tout de suite Nacer’, tiens un mec qui s’appelle Nacer, en fait c’était moi ! Du coup je me retrouve sur scène face à une centaine de personnes et là j’ai décidé de raconter ma vie, mes anecdotes de personne handicapée. C’était le 3 mars 2016. Depuis, j’ai joué sur plus de quarante scènes. Aujourd’hui j’ai envie de témoigner de toute cette expérience de vie à travers le spectacle qui s’appelle ‘Nacer l’handicapable’, parce qu’avant d’être handicapé on est tous capables. L’histoire d’un jeune homme, comment il voit le monde et comment la société le voit, jouer sur cet effet de miroir et montrer que le plus gros handicap qui puisse exister, c’est l’ignorance. »

« Je suis très curieux, j’ai toujours été ouvert aux autres, c’est grâce aux autres que j’ai pu progresser. Le spectacle, je ne veux pas en faire mon métier parce qu’humoriste c’est un métier, ça demande du temps. Moi j’aime le business, j’aime la stratégie, je veux rester dans une entreprise. J’ai débuté grâce à Yassine Belattar qui a repris le Théâtre de dix heures, j’ai fait une vingtaine de fois sa première partie. J’y ai construit des fragments de mon spectacle, pour me roder. L’avantage quand tu vois mal, c’est que quand tu arrives devant un auditoire, tu n’es pas perturbé. Je suis assez libre ! « 

Propos recueillis par Laurent Lejard, mars 2017.

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