Un local en rez-de-chaussée du quartier de Bercy, dans le 12e arrondissement de Paris, des jeux de sociétés classés dans deux rangements distincts : d’un côté, adaptés pour des joueurs déficients visuels, en face en version du commerce. C’est Accessijeux, association créée par Xavier Mérand, l’un des (très) rares chanteurs aveugles ou malvoyants. « Je voulais être dessinateur, mon grand père faisait des dessins animés, raconte-t-il. J’ai été confronté à la déficience visuelle pendant mes études, il me devenait difficile de dessiner. » Il s’est alors réorienté vers des études plus traditionnelles, tout en se formant au son, et s’est inscrit aux Ateliers Chansons de Paris (devenus depuis la Manufacture chanson), « un Fame à la Ménil’muche [Ménilmontant] ». Il y a appris le chant, la danse, le rythme de 1996 à 1998, et a débuté sa carrière, il avait alors 23 ans. « Dès la sortie de l’école, j’étais lancé dans une grande dynamique. Il y avait des concours, j’ai appris mon métier en chantant dans des bars mais c’était compliqué de devenir professionnel. Je faisais tout, payant les musiciens, réalisant la communication graphique, sans boite de production derrière. Ce que j’ai appris me sert à travailler très vite aujourd’hui. » Au début auteur-compositeur-interprète, il a ensuite confié ses textes à des compositeurs. Sa carrière a été essentiellement parisienne : « J’ai fait peu de concerts en région, surtout dans des événements autour du handicap. Je remplissais les salles à Paris ‘au chapeau’ [quête réalisée en fin de spectacle]. J’étais dans une position un peu casse-gueule, arrivé à la quarantaine il était temps d’évoluer… »

C’est là que démarre la seconde carrière de Xavier Mérand : le jeu en société, une passion qui remonte à l’enfance. « J’ai toujours joué avec mes trois soeurs, au Monopoly, au Cluedo, je dessinais dans ma chambre ou je jouais. Dès que je suis devenu papa, on a repris en famille jusqu’à découvrir Catane, qui révolutionné le jeu de société. Il repose peu sur le hasard mais beaucoup sur la stratégie et la réflexion, on est acteur du jeu en permanence parce que les décisions des autres sont impliquantes pour soi. » Ce retour au jeu de société lui a donné l’envie de faire partager ce plaisir au plus grand nombre, et pour cela d’en adapter aux personnes déficientes visuelles, ce qui l’a conduit à créer l’association Accessijeux. Elle réalise ces adaptations (résumé des règles en braille intégralité en version sonore, stickers tactiles collés sur les cartes ou pions, repères tactiles, etc.) tout en achetant les jeux au prix de gros afin de rester compétitifs par rapport à la version standard. L’association compte près d’une cinquantaine de jeux à son catalogue de vente en ligne. Chacun est présenté en détail, indiquant comment il s’organise selon la capacité visuelle des participants.

Accessijeux participe également à des festivals du jeu, et organise chaque premier jeudi du mois une soirée à la Maison des Associations du 12e qui lui sert également à tester de nouvelles adaptations. « La difficulté pour les joueurs déficients visuels, c’est le déplacement, précise Xavier Mérand. Les personnes déficientes visuelles qui vivent en résidence ne se connaissent pas, peu sortent. On va les chercher avec des bénévoles, pour contourner les difficultés liées aux transports collectifs ou le coût d’un taxi. Une amateure vient de Rueil-Malmaison, elle fait deux heures de transport ! C’est un maintien de la socialisation. On essaye de faire en sorte que ça fonctionne à Paris. » Actuellement, quelques ludothèques en région proposent des jeux adaptés et des animations et sont intéressées par le travail d’Accessijeux. « On attend de pérenniser pour essaimer, » conclut Xavier Mérand.

Propos recueillis par Laurent Lejard, mai 2017.

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