Comment vivre dans un monde sans couleurs ? Arthur a consommé tout les stocks de pigments restants dans l’usine des crayons Gaston Cluzel lors de la dernière fabrication avant liquidation, et subitement toutes les couleurs disparaissent de par le monde ! Accompagné de Charlotte, charmante chroniqueuse scientifique aveugle spécialiste des couleurs, et de sa fille Louise, il part à la reconquête de chaque couleur pour rompre la monotonie d’un monde transformé en une gamme de gris, parabole d’une uniformité forgée par la mode et les industriels. Jean-Gabriel Causse, l’auteur de ce roman palpitant dont les deux protagonistes principaux présentent quelques similitudes avec ceux du récent Jules de Didier Van Cauwelaert (qu’il assure n’avoir pas encore lu) s’exprime sur son écriture et le message qu’il souhaite faire passer. Un roman qui a, c’est une première française, été publié au préalable en braille par le Centre de transcription et d’édition en braille (CTEB).

Question : Vous semblez nager dans les couleurs, qu’est-ce qui vous a fait vous y intéresser de manière scientifique ?

Jean-Gabriel Causse : 
J’étais publicitaire et je cherchais un concept. Un jour, j’ai renversé du vin sur mon t-shirt et je me suis dit « tiens, voilà un t-shirt bordeaux, mais si je dis qu’il a la couleur exacte du Château Petrus 89, tout de suite cette couleur va prendre une dimension supplémentaire pour les amateurs de grands vins ! ». J’ai donc lancé la première agence de conseil en communication par la couleur, avec des couleurs assez originales que j’ai cherchées de manière scientifique, telle la couleur exacte des yeux de Mona Lisa par exemple. J’ai travaillé avec Le Louvre pour savoir quelle était la couleur des yeux les plus célèbres au monde… J’ai aussi eu la chance de travailler avec la NASA pour qu’on puisse définir ensemble la couleur de notre planète bleue : on en parle toujours mais c’est quel bleu ? J’ai développé pas mal de couleurs.

Question : Et donc, les yeux de la Joconde sont de quelle couleur ?

Jean-Gabriel Causse :
 Les yeux de Mona Lisa sont une sorte de caramel brun mais si je vous dis marron, ce n’est pas très attractif ! Si je vous dis que c’est la couleur des yeux de Mona Lisa, vous ne la voyez certainement pas de la même façon. Au départ, mon concept par ce qu’il a de symbolique, c’était de lancer des couleurs jusqu’à ce que le pédopsychiatre Marcel Rufo me demande de faire les couleurs de l’Hôpital Salvator à Marseille. Là, je me suis demandé ce que je pourrais mettre dans la chambre d’un enfant dépressif : du rouge qui va l’activer, du bleu pour le calmer ? Voilà à peu près toutes les connaissances que j’avais sur les influences de la couleur. Qu’est-ce que je mets dans un réfectoire où la moitié des jeunes filles sont anorexiques ? J’ai interrogé mes collègues du petit monde de la couleur, personne n’avait de réponse vraiment concrète, j’ai découvert que les scientifiques travaillaient énormément sur le sujet en particulier avec les neurosciences, et qu’il existait un vrai fossé entre ce travail scientifique sur la perception des couleurs et la façon dont nous, les designers, exploitions les couleurs. J’ai trouvé des choses fascinantes dont j’ai fait mon premier livre, L’étonnant pouvoir des couleurs, qui s’est avéré un gros succès parce que personne n’avait comblé ce fossé et voilà comment je suis devenu spécialiste de la couleur.

Question : Pourquoi avoir plongé une aveugle dans ce monde coloré pour en faire une spécialiste de la couleur ?

Jean-Gabriel Causse : 
Après mon essai sur le monde de la couleur, on sentait qu’il y avait quelque chose de très fort et on m’a demandé une suite. J’ai répondu qu’il fallait attendre que les scientifiques travaillent, je n’allais pas inventer des théories. Par contre, ce qui m’a intéressé c’est de faire passer ce message sous la forme d’un roman. J’ai cherché pas mal de scénarios, et je suis allé dans le restaurant Dans le noir où j’ai été accueilli par un aveugle référent. Je ne connaissais pas d’aveugles, inconsciemment j’avais un peu de pitié pour cet aveugle qui m’accueillait, et après avoir passé une heure avec lui et ses collègues où c’est nous qui sommes les vrais handicapés, que l’on comprend qu’ils ont leurs quatre autres sens plus développés que nous, on ne peut s’empêcher de les trouver absolument formidables et quand on sort, on n’a plus du tout cette pitié… Je trouvais cela intéressant, surtout pour ceux qui ne connaissent pas les personnes handicapées, de dire « qu’est-ce qu’elles sont formidables ! » Je me suis dit que cette personne-là pouvait devenir ma spécialiste de la couleur, reprendre le rôle que j’avais dans mon essai, parce que de toute façon, la couleur est une illusion : il n’y a pas deux personnes qui voient exactement les mêmes couleurs, on sait que des couleurs sont hors du spectre visible pour l’homme mais visibles par des animaux, la couleur n’existe que quand on la regarde. Une aveugle ne se fait pas tromper par cette illusion puisqu’elle ne les voit pas. C’était la bonne personne pour parler des influences des couleurs, elle n’a pas besoin de les voir pour comprendre leurs effets. J’ai ensuite rencontré des non-voyants auxquels j’ai demandé « c’est quoi la couleur ? », et c’était passionnant. On leur explique que l’eau est transparente mais pourtant dans une piscine elle devient bleue, c’est bizarre à comprendre. Le vin blanc en fait est plutôt jaune, c’est le lait qui est blanc, etc. Il y a pas mal de choses assez compliquées pour eux à comprendre, surtout pour ceux qui n’ont jamais vu les couleurs, mais en même temps ils ont développé un imaginaire autour des couleurs que je trouve très intéressant.

Question : Doit-on voir dans votre roman une parabole sur la vision ?

Jean-Gabriel Causse : 
Mon message de fond s’adresse plutôt aux voyants, dire que nous avons perdu en Occident depuis une vingtaine d’années l’attrait de la couleur. On n’a jamais vécu dans un monde aussi désaturé, avec autant de couleurs neutres, nos murs sont devenus blancs, nos voitures sont grises, noires ou blanches, on s’habille avec de moins en moins de couleurs et c’est ça que je dénonce. En expliquant que ces couleurs nous font du bien et qu’on a intérêt à vivre dans la couleur. Si les murs de votre bureau sont blancs, sachez que vous avez un risque de burn-out supérieur de 25% : vous vous ennuyez plus vite, vous êtes moins créatif que ceux qui travaillent dans des couleurs froides, moins productif que dans des couleurs chaudes. En fait nos environnements désaturés ou blancs, c’est une erreur. C’est ce contre quoi je me bats.

Question : Publier ce roman avec une version braille, c’est votre idée ou celle de l’éditeur ?

Jean-Gabriel Causse : 
J’ai fait lire le roman avant son impression à des aveugles, pour ne pas écrire de bêtises, je voulais être au plus près de la réalité, et à force de rencontrer, discuter avec des personnes aveugles dont certaines lisaient le braille, je me suis dit que si je pouvais aider j’en serais ravi. Le Centre de transcription et d’édition en braille a accueilli le projet avec beaucoup d’enthousiasme et était ravi de sortir le livre en braille en avant-première. C’était une volonté et en même temps une grande fierté que la première langue de mon roman soit le braille.


Propos recueillis par Laurent Lejard, octobre 2017.


Les crayons de couleurs, par Jean-Gabriel Causse, Flammarion éditeur, 17€ en noir en librairie, 13,99€ en ePub ou PDF chez l’éditeur, et en impression braille intégral ou abrégé au CTEB, 36,50€ pour les particuliers, 73€ pour les organisations.

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