Tel est le titre du courrier adressé par le Président d’une importante association à l’ensemble de ses salariés pour justifier son « Plan de Sauvegarde de l’Emploi », terme particulièrement inadapté dans le cas qui nous occupe. Cette courte phrase m’amène à réfléchir sur ces changements et à partager avec vous quelques idées, comme le fait chaque quinzaine depuis presque vingt ans Laurent Lejard dans le journal Yanous qui fête aujourd’hui son cinq centième numéro. Merci cher Laurent, continue à être le « poil à gratter » de tes fidèles lecteurs, tes remarques toujours pertinentes ne laissent personne indifférent !

Prenons donc le train en marche, suivez-moi :
Objectif 1 : « recueillir 100.000€ avant le 31 décembre », courrier électronique adressé aux donateurs le 1er décembre dernier;
Objectif 2 : « mettre à l’abri » un patrimoine de plus de 100 millions d’euros transféré pour cela à une fondation spécifique créée à cet effet;
Objectif 3 : supprimer 29 postes de travail, entraînant 22 licenciements dont 9 déficients visuels qui, compte tenu de leur âge et des métiers très spécialisés qu’ils exercent auront bien du mal à se reclasser;
Objectif 4 : repousser le plus longtemps possible la tenue d’une Assemblée Générale Extraordinaire demandée par six administrateurs en juillet dernier (conformément aux statuts), dans le but de soumettre aux votes des membres la nécessité du Plan de Sauvegarde de l’Emploi et de réexaminer les relations fondation/association. Au cas où ces votes seraient négatifs, ils doivent impérativement intervenir alors qu’on ne pourra plus faire machine arrière;
Objectif 5 : faire croire qu’aveugles et « bien voyants » travaillent ensemble à égalité de pouvoirs et de responsabilités, alors que les premiers ne sont qu’une petite centaine sur 600 membres et que les Directeurs d’établissements ou chefs de services non-voyants ont été remplacés par des salariés non handicapés.

On pourrait encore longtemps poursuivre cette énumération, qui n’est hélas que la face visible de l’iceberg, mais qui nous interroge sur la considération que certains responsables associatifs portent aux personnes qu’ils sont sensés accompagner, soutenir.

Pour faire entendre leurs voix, les usagers de la plus ancienne association française qui prétend « agir pour l’autonomie, avec les personnes aveugles et malvoyantes » ont créé un collectif qui, jusqu’à ce jour, prêche dans le désert. « Les aveugles ne veulent plus de la bienfaisance. Ils revendiquent le droit à l’émancipation, à la dignité, au respect, » écrivent-ils au Président dans un courrier daté du 30 novembre.

Ces attentes sont en parfaite adéquation avec celles proclamés par la loi de 2005 : « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », texte qui vise à l’émancipation de la personne.

Depuis très longtemps, certaines associations ont renoncé à participer à la traditionnelle « Journée Nationale des Associations d’Aveugles » qui, pour beaucoup, véhicule une image plus misérabiliste que positive de la population concernée du fait de l’autorisation de faire la quête sur la voie publique. D’autres y participent toujours et la plus importante a encore recueilli près de 80.000€ en 2016.

La compétition, et j’allais presque dire la guerre, fait rage entre les associations qui font toutes appel à la générosité publique pour financer leurs actions, en invoquant dans leurs campagnes des thèmes porteurs bien connus de tous tels que le don de chiens-guides, l’aide aux jeunes enfants, la recherche médicale ou le « ça peut vous arriver ». En 2016, les 75 plus grosses associations ont perçu 4,5 milliards d’euros, une ressource indispensable pour leur fonctionnement. Mais n’oublions pas que l’Etat est le principal financeur de cette ressource par les déductions fiscales de 66 à 75% accordées aux donateurs. Enfin, selon une enquête récente, alors que les donateurs plus âgés sont souvent fidèles à une association, les plus jeunes ont envie de financer un projet précis. Les associations doivent adapter leurs messages.

Si l’on sait se montrer prolixe pour attirer les dons, on l’est moins pour mettre en avant le caractère indispensable des actions collectives menées par les associations :
– pour défendre nos droits spécifiques dans des domaines aussi variés que l’accessibilité sous toutes ses formes, l’éducation, la formation et l’emploi, l’insertion sociale, la parentalité, seules les associations peuvent valablement faire entendre notre voix, à condition qu’elles laissent toute leur place aux personnes qu’elles représentent : « rien pour nous sans nous » doit être leur devise;
– pour dispenser des enseignements spécifiques tels que l’Aide à la Vie Journalière, les cours de braille, de locomotion ou d’utilisation de l’informatique adaptée, ceci doit être fait par des professionnels formés pour cela et non par des bénévoles qui, malgré leur bonne volonté, n’ont pas, bien souvent, les compétences requises;
– pour favoriser l’accès à la culture et aux loisirs par la production d’ouvrages en formats accessibles, l’organisation de séjours de vacances adaptés, l’adaptation de musées ou sites touristiques;
– pour anticiper les évolutions techniques du matériel adapté et favoriser la « conception universelle »;
– pour, en un mot, favoriser l’insertion sociale et professionnelle des personnes aveugles ou déficientes visuelles.

Dans son éditorial très réaliste paru dans le dernier numéro de « La Canne Blanche », Vincent Michel, Président de la Fédération Des Aveugles et Amblyopes de France et Secrétaire Général de la Confédération Française pour la Promotion Sociale des Aveugles (CFPSAA), évoquait un sujet qui lui est cher depuis toujours : le regroupement des associations, grandes ou plus petites, qui seront plus fortes en agissant ensemble. Il va ainsi dans le sens de l’histoire et de l’évolution de la société. Les exemples étrangers venant d’Espagne, d’Italie, du Royaume-Uni ou des Etats-Unis nous montrent qu’il a raison, souhaitons qu’il soit enfin entendu, nous en reparlerons dans le millième numéro de Yanous !


Philippe Chazal, président d’honneur de la CFPSAA, décembre 2017.

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