« On n’a aucune obligation de le transporter de son domicile jusqu’à son lieu de travail », assène d’entrée Jean-François Gaujour, vice-président aux transports de la communauté d’agglomération du Pays Voironnais, conseiller départemental de l’Isère et maire de Saint-Etienne de Crossey depuis… 35 ans. Le corps du litige s’appelle Jean-René Martin, 56 ans, employé dans un grand magasin à Echirolles, à une quarantaine de kilomètres de sa maison de Merlas, au pied du massif de la Chartreuse. Jusqu’en décembre 2017, le service de transport de porte à porte destiné aux habitants handicapés (TAD PMR) du Pays Voironnais le conduisait de son domicile jusqu’au tramway, et depuis son terminus de Grenoble il était pris en charge par le TAD PMR local jusqu’à son lieu de travail. Une mécanique bien huilée, ancrée dans les habitudes d’un homme autonome qui demande simplement à vivre comme les autres, avec la « pincée » d’aménagements qui va bien.

Mais voilà, il coûterait 4.500 euros chaque mois au Pays Voironnais, trop cher pour une collectivité qui a entrepris de réduire les dépenses d’un TAD PMR plutôt actif : « En 2016, lit-on dans le schéma directeur d’accessibilité des transports agenda d’accessibilité programmée, 2.023 courses ont été effectuées par les adhérents au service adapté (handicap moteur et/ou visuel à plus de 80%, au nombre de 144), soit une progression de 19,42 % par rapport à 2015. 2.256 voyageurs ont été transportés et 21 826 kms effectués. » Conséquence, comme pour d’autres usagers qui s’en sont provisoirement accommodés par crainte d’être exclus du service, Jean-René Martin a été informé qu’il devrait utiliser les transports en commun. « Le mercredi 13 décembre 2017 à 11h 54, précise celui-ci, j’ai reçu un appel de Monsieur Cipro, directeur adjoint du service ‘Mobilités’ du Pays Voironnais m’annonçant qu’à compter du 2 janvier 2018 je ne pourrais plus utiliser le TAD PMR du Pays Voironnais, et qu’il me faudrait à la place utiliser deux lignes régulières : une ligne scolaire qui passe devant mon domicile, pour aller jusqu’à Voiron, et une autre ligne régulière pour aller de Voiron jusqu’au Fontanil pour pouvoir reprendre le tram ensuite. La raison invoquée par Monsieur Cipro : mes trajets sont trop longs et trop nombreux et donc trop coûteux. »

Plus précisément, quatre allers-retours pour 47 semaines de travail. Face au refus de cet usager, une réunion de concertation a été organisée deux semaines plus tard, qui a accouché d’une cote mal taillée : Jean-René Martin sera transporté par le TAD PMR jusqu’à Voiron pour prendre un bus qui le conduit jusqu’au tramway. Bus d’accessibilité très aléatoire, le système d’annonce sonore des arrêts fonctionnant parfois, au gré de la volonté du conducteur ou de l’équipement du véhicule. Résultat, une heure de trajet en plus, quand tout se passe bien. Parce que depuis, cet employé est arrivé quatre fois très en retard au boulot, dont trois avec plus d’une heure. Son patron est encore compréhensif, mais cela va-t-il durer ?

On pourrait décortiquer les arguments de chacun en cherchant du pour et du contre, prendre les transports collectifs comme tout le monde, expérimenter d’autres parcours via le train, changer ses habitudes, mais cette situation pose une question de principe : un TAD PMR a-t-il le droit de sélectionner (discriminer) ses clients handicapés ? Il remplit une mission de service public, repose sur une Délégation de Service Public qui impose des obligations à la collectivité qui le gère. Le règlement de celui du Pays Voironnais ne pose aucune condition autre que le niveau d’invalidité, 80% pour les usagers déficients visuels ce qui est le cas de Jean-René Martin. « Compte tenu des moyens disponibles, les salariés sont prioritaires sur les créneaux d’heures de pointe », précise un règlement qui ajoute : « un report sur le transport régulier accessible pourra être proposé en cas d’existence d’une ligne et d’arrêts accessibles à proximité des origines et destination souhaitées, sauf situation spécifique justifiée. » Si le résultat consiste à doubler le temps total de transport, cette disposition est-elle compatible avec la priorité donnée à un travailleur, à la préservation de la santé et de l’autonomie d’une personne qui contribue à créer de la valeur ajoutée ?

Mais pour Jean-François Gaujour, Jean-René Martin est responsable de ce qui lui arrive : « Il a choisi de changer de lieu de travail et de domicile en s’installant dans ce village. Et en plus il travaille le samedi. » A Merlas, donc, dont le maire, Jean Cailly, se désintéresse totalement de son administré bien qu’il ait participé à la réunion de décembre : « Je n’ai pas le détail de ce qui a été prévu. La question n’a pas été mise à l’ordre du jour du conseil municipal. » Et il n’envisage pas de soutenir l’habitant (et électeur) qu’il devrait pourtant défendre. Résultat, le TAD PMR du pays Voironnais veut bien transporter des clients handicapés, mais pas loin et pas souvent. Ce n’est pas là le premier errement de cette collectivité, son schéma directeur d’accessibilité des transports avait été annulé par le Conseil d’Etat le 26 juin 2012, générant une intéressante jurisprudence qui tarde depuis à resservir. Il n’y a pas si longtemps, en 2014, ce territoire prétendait pourtant postuler à la marque touristique Destination pour Tous signalant des territoires accueillant pour les visiteurs handicapés. Ubu en Isère.

Laurent Lejard, mars 2018.

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